Populisme constitutionnel

27 février 2008

Nicolas Sarkozy a eu raison de choisir comme terrain d’intervention publique le droit, la nouvelle loi sur la rétention de sûreté et les moyens de la mettre en œuvre après la décision du Conseil constitutionnel du 22 février. Il a eu raison de choisir ce domaine, parce qu’il relève par nature du domaine présidentiel. Les Français attendent de lui qu’il cesse d’être un candidat en campagne pour devenir un président en fonction. Qu’il cesse d’être ministre de tout pour devenir président de l’essentiel. Ils ne lui demandent pas des nouvelles de sa situation amoureuse, pas davantage de trancher le conflit des taxis, encore moins d’instaurer des obligations mémorielles à l’école primaire. Cette fois, donc, le Président ne s’est pas trompé de terrain. Mais il s’est trompé sur tout le reste, commettant trois erreurs et une faute.

 

 

Première erreur, la décision du Conseil constitutionnel aurait dû le combler. Le pouvoir en place ne pouvait guère espérer meilleur résultat. Il était en effet quasi inespéré que le juge constitutionnel accepte l’instauration de la possibilité d’un enfermement à vie après avoir purgé sa peine, sans avoir commis le moindre nouvel acte répréhensible, sans avoir fait preuve d’un comportement effectivement dangereux, pour soi ou pour autrui. Il l’a fait en estimant qu’un tel enfermement n’est «ni une peine, ni une sanction ayant le caractère d’une punition». A se demander ce qui serait une peine ou une sanction punitive. Et il était obligé de se livrer à cet audacieux déni de qualification, sans quoi la loi eût été contraire aux principes fondamentaux du droit pénal, consacrés dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : nul ne peut être puni s’il n’a commis un délit. Le chef de l’Etat aurait dû se réjouir d’un sophisme qui permettait à la loi par lui voulue d’entrer un jour, au moins partiellement, en vigueur.

 

Deuxième erreur, non content de s’offusquer de la décision du Conseil en son for intérieur, il fait part de son dépit. Et non content de s’en tenir là, il cherche le moyen de ne pas la respecter, et d’imposer quand même une application immédiate pleinement rétroactive, bien que le Conseil constitutionnel l’ait déclarée contraire à la Constitution. En mettant ainsi en cause une décision du juge constitutionnel suprême dans les vingt-quatre heures qui suivent son prononcé, le chef de l’Etat oublie (pour employer un euphémisme) l’article 62 de la Constitution, selon lequel «les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles». Il oublie également (autre litote) l’article 5 de notre loi fondamentale, qui dispose que «le président de la République veille au respect de la Constitution».

 

Troisième erreur, au lieu de demander discrètement au ministre de la Justice de rechercher d’autres solutions pour les criminels déjà condamnés, le chef de l’Etat s’adresse publiquement au premier président de la Cour de cassation. Ce faisant, il risque d’instituer ce dernier en juge constitutionnel supérieur du Conseil constitutionnel. En toute hypothèse, il oublie (pour poursuivre dans la modération) la suite de l’article 5, disposant qu’«il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics».

 

Ces trois erreurs relèvent donc d’une absence de lecture de la Constitution, ou, à tout le moins, d’une lecture des plus contestables de cette dernière. Elles sont donc fort regrettables de la part de la plus haute autorité politique de l’Etat, qui devrait la respecter et en inspirer le respect. Le plus probable reste cependant qu’elles demeurent sans suite grave du point de vue de l’Etat de droit. Si bienveillant soit-il à l’égard de son requérant, on imaginait mal le premier président de la Cour de cassation proposer d’ignorer ou de violer la décision du Conseil constitutionnel. Il s’y est d’ailleurs refusé.

 

Où l’on en vient à la faute, lourde de tous les dangers. Elle réside dans les justifications apportées par le président de la République lui-même à sa démarche sans précédent. A savoir, le refus de laisser en liberté «des monstres», parce que «le devoir de précaution s’applique pour la nature. Il doit s’appliquer pour les victimes». Voici les grands mots lâchés, qui ne peuvent que susciter l’adhésion immédiate dans notre vidéocratie compassionnelle. «Monstres», «victimes», «précaution». Qui peut souhaiter de nouvelles monstruosités ? Qui peut accepter de nouvelles victimes ? Qui peut leur refuser toute précaution ?

 

Sauf que ce raisonnement correspond exactement à celui qui fut tenu des siècles durant pour justifier les pires supplices en place publique. Celui qui fut tenu, et l’est encore en certains pays, pour justifier le maintien de la peine de mort. Celui qui fut tenu, et l’est encore par certains gouvernements, pour justifier la torture à l’encontre de terroristes ou supposés tels. Placer un devoir de précaution au-dessus des principes constitutionnels, et le souci des victimes au-dessus de la non-rétroactivité de la loi pénale plus dure, c’est rompre avec plus de deux siècles de droit pénal civilisé. Voilà pourquoi il paraît légitime, par-delà toute préférence politique, d’y voir une triste combinaison entre le populisme pénal qui a dicté l’adoption d’une telle loi et le populisme constitutionnel qui veut l’appliquer par-delà les principes supérieurs de notre droit.

Olivier Duhamel professeur agrégé de droit public à Sciences-Po.

Tribune parue sur Liberation.fr le 27 février 2008. 

Rétention de sûreté : Nicolas Sarkozy appelle la Cour de cassation à la rescousse

25 février 2008

 

Au lendemain de la censure partielle par le Conseil constitutionnel de la loi sur la rétention de sûreté, Nicolas Sarkozy a demandé au premier président de la Cour de cassation, vendredi 22 février, de lui faire « toutes les propositions » pour permettre « une application immédiate » du texte. « L’application immédiate de la rétention de sûreté aux criminels déjà condamnés (…) reste un objectif légitime pour la protection des victimes », a assuré le porte-parole de l’Elysée, David Martinon, dans un communiqué faisant part de la décision du chef de l’Etat de se tourner vers la Cour de cassation.

La loi permettant la détention illimitée de criminels supposés dangereux a été validée dans son principe, mais les Sages en ont cependant limité l’impact. Entre autres restrictions, le Conseil a pratiquement interdit son application aux condamnés actuels et aux personnes condamnées pour des faits commis avant la publication de la loi.

L’annonce de la décision présidentielle a provoqué la stupéfaction de l’Union syndicale des magistrats (USM), majoritaire dans la profession. « C’est une décision ahurissante, unique dans l’histoire de la Ve République », a estimé son secrétaire général, Laurent Bedouet. « Jamais un président n’a demandé au président de la Cour de cassation comment contourner une décision du Conseil constitutionnel », a-t-il ajouté. Il a rappelé l’article 62 de la Constitution, qui stipule que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours.

Article paru sur Lemonde.fr le 23 février 2008

Surveiller et punir

25 février 2008

Appelé à se prononcer sur la loi très controversée instaurant la « rétention du sûreté » pour des criminels particulièrement dangereux, le Conseil constitutionnel peut estimer avoir rendu, jeudi 21 février, une décision équilibrée. Il en a, en effet, validé le principe : à l’avenir, les auteurs de certains crimes très graves (viols, pédophilie, meurtre de mineurs) ayant été condamnés à au moins quinze ans de prison et présentant une probabilité élevée de récidive pourront être placés, pour une durée sans cesse renouvelable, dans un centre du sûreté, autrement dit un hôpital-prison.

En revanche, le Conseil constitutionnel a fortement encadré l’application immédiate et rétroactive de cette mesure, défendue bec et ongles par le gouvernement jusqu’au bout de la discussion parlementaire du texte. Il a posé le principe que la rétention de sûreté ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou pour des faits antérieurs à cette publication. Autrement dit, concrètement, cette mesure ne pourra pas être appliquée avant une quinzaine d’années, à une exception cependant : celle de personnes libérées, mais placées sous surveillance de sûreté (bracelet électronique ou injonction de soins, par exemple) et qui ne respecteraient pas ces obligations.

Cet apparent équilibre est trompeur. Sourcilleux sur les modalités d’application, les « juges » constitutionnels n’en ont pas moins entériné une mesure qui bouleverse la philosophie pénale française. Au regard de celle-ci, la loi instaure des peines pour des faits qu’elle prévoit, et le juge ne peut condamner une personne que s’il est démontré qu’elle a commis une infraction. La décision pénale prend en compte la gravité des faits, la personnalité de l’auteur (y compris sa dangerosité), ainsi que les précédentes sanctions dont il a pu être l’objet. L’obligation de la société d’assurer la protection des victimes ne la dispense pas de respecter les droits du prévenu.

C’est ce fondement même de la sanction pénale – et de sa souhaitable valeur rédemptrice pour le condamné – qui est remis en cause par la rétention de sûreté. Les contorsions du Conseil constitutionnel pour expliquer qu’il ne s’agit pas d’une peine mais d’une « mesure de sûreté » ne masquent pas l’essentiel : le lien entre une infraction effectivement commise et l’enfermement de son auteur disparaît, en raison de la « dangerosité » supposée de la personne et des crimes éventuels qu’elle pourrait commettre.

Il est grave que, sous le coup de l’émotion provoquée par des crimes abominables, les responsables politiques et le législateur cèdent à l’unique obsession de surveiller et punir, et installent ainsi un droit nouveau. Il est plus regrettable encore que le Conseil constitutionnel leur emboîte le pas.

Edito paru dans le Monde le 23.02.08.

Les sages ont validé la loi Dati sur l’enfermement à vie en limitant sa rétroactivité.

25 février 2008

oadNbReaction(‘NbOldReactions’,curDocId);

Ni consécration, ni camouflet. Le Conseil constitutionnel, réuni hier pour examiner la loi sur la rétention de sûreté, a décidé d’une censure partielle du texte. Une décision en demi-teinte, qui trahit la difficulté, voire l’impossibilité de préserver les grands principes constitutionnels tout en entérinant un des textes étendards du gouvernement.

Le fondement essentiel de la loi, qui permet l’enfermement à vie des criminels jugés les plus dangereux, a été validé par les onze «sages» (qui n’étaient en fait que huit, en l’absence de Pierre Joxe et des deux anciens présidents de la République Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac). Désormais, une «juridiction régionale de la rétention de sûreté» pourra donc prononcer le placement, à l’issue de leur peine, dans un centre «socio-médico- judiciaire» des auteurs de crimes «graves» ayant été condamnés à au moins quinze ans de prison ferme. Placement pour un an, renouvelable indéfiniment.

 

Obligations. Le Conseil constitutionnel a en outre estimé hier «que la rétention de sûreté n’est pas une peine» mais une «mesure de sûreté» , comme le précise un communiqué. Une interprétation – fortement contestée par les nombreux opposants au texte et les parlementaires socialistes à l’origine de la saisine – qui permet une application rétroactive du texte.

 

Toutefois, le Conseil a tenu à l’encadrer strictement : les détenus condamnés avant 2008 pour des crimes relevant de cette loi ne pourront pas être placés dès la fin de leur peine dans un centre «socio-médico-judiciaire». Ils seront d’abord libérés et placés sous «surveillance de sûreté». Un régime comportant un certain nombre d’obligations définies par les magistrats, «notamment le placement sous surveillance électronique mobile [bracelet] ou l’injonction de soins». C’est seulement s’ils ne respectent pas ces obligations qu’ils pourrontêtre placés «en urgence» en rétention de sûreté.

 

«Déception». «On peut se réjouir du fait que, pour l’essentiel, cette loi ne s’appliquera pas de manière rétroactive», analyse Laurent Bedouet, secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats, même s’il regrette que la loi ne soit «pas totalement censurée». Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature, est plus pessimiste. «C’est une grande déception, car le Conseil valide l’enfermement à vie au motif d’une dangerosité impossible à apprécier. C’est contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui je l’espère sanctionnera le texte.» La garde des Sceaux s’est, elle, immédiatement félicitée que le Conseil constitutionnel ait «validé la rétention de sûreté».

Article d’ONDINE MILLOT paru dans Libération le 21 février 2008

Lettre ouverte aux membres du Conseil constitutionnel

25 février 2008

Vous êtes saisis de la constitutionnalité de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental adoptée définitivement le 8 février 2008 selon la procédure d’urgence, totalement injustifiée en l’espèce…

 

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,

Vous êtes saisis de la constitutionnalité de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental adoptée définitivement le 8 février 2008 selon la procédure d’urgence, totalement injustifiée en l’espèce.
Jamais sans doute un texte de loi n’a à ce point porté atteinte aux principes fondamentaux de notre droit qu’il s’agisse :
- du principe de la légalité des délits et des peines ;
- du principe de la non-application immédiate de la loi pénale plus sévère ;
- du principe de nécessité et de proportionnalité de la peine.

 

C’est à une révolution juridique que conduirait la loi si vous n’en sanctionniez pas l’évidente inconstitutionnalité. Il deviendrait alors possible par le seul jeu de la qualification de mesure de sûreté de contourner les garanties fondamentales entourant le prononcé d’une peine que vous avez vous-même consacrées.

La première question qui se pose est celle de savoir si la rétention de sûreté est une peine ou une mesure de sûreté.
Le code pénal, adopté en 1992 et entré en vigueur en mars 1994, ne connaît pas la catégorie des mesures de sûreté. Volontairement, le législateur de 1992 s’était refusé à distinguer parmi les sanctions pénales celles qui seraient des peines de celles qui seraient des mesures de sûreté. La seule distinction faite dans le code pénal est celle entre peines principales et peines complémentaires. Comme le précise solennellement son exposé des motifs : « Désormais toutes les sanctions pénales seront sans distinction des peines, elles sont d’ailleurs ressenties comme telles par le condamné. »
Seules les mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation dont les mineurs peuvent faire l’objet ainsi que les sanctions éducatives introduites par la loi du 9 septembre 2002 (article 122-8 du code pénal) échappent en partie au régime juridique des peines, précisément parce qu’il s’agit de mesures et sanctions purement éducatives et par définition plus douces que les peines. Le prononcé d’une mesure éducative demeure le principe pour les mineurs, comme vous l’avez rappelé en posant un principal fondamental reconnu par les lois de la République dans votre décision du 29 août 2002.

Si vous acceptiez de faire de la rétention une mesure de sûreté, c’est à une réécriture totale du Titre III du Livre premier du code pénal que le législateur devrait inévitablement se livrer.

La loi sur la rétention de sûreté a été délibérément insérée, non pas dans le code pénal, mais dans le code de procédure pénale comme ce fut le cas pour la surveillance judiciaire introduite par la loi du 12 décembre 2005 aux articles 723-29 et suivants. Le nouveau texte figure aux articles 706-53-13 et suivants, dans le titre relatif aux infractions de nature sexuelle et à la protection des mineurs victimes, alors même qu’il concerne beaucoup d’autres catégories d’infractions et toutes les victimes qu’elles soient majeures ou mineures. Indiscutablement la rétention de sûreté, en outre, n’est pas une mesure d’exécution de la peine comme la surveillance judiciaire mais une peine après la peine, prononcée pour un crime virtuel.

La deuxième question porte sur l’intangible principe de la non rétroactivité de la loi pénale plus sévère qui ne saurait en aucun cas dépendre de la qualification juridique de la rétention de sûreté.

Vous avez vous-mêmes, sans aucune exception et à de nombreuses reprises, considéré que toute sanction ayant le caractère d’une punition ne peut échapper au principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère (DC 30 décembre 1982 n° 82-155). Plus précisément encore à propos des périodes de sûreté introduites par la loi du 9 septembre 1986 vous avez affirmé qu’elles ne pouvaient être appliquées à des infractions commises avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (DC 3 septembre 1986 n° 86-215).

Quant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, elle est également très claire. En construisant dès l’arrêt Engel (23 novembre 1976) le concept de matière pénale, la Cour de Strasbourg a uniformisé le régime juridique des divers types de sanction en notant à propos des sanctions disciplinaires que : « Si les Etats pouvaient à leur guise qualifier une infraction de disciplinaire, plutôt que de pénale, le jeu des clauses fondamentales des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme se trouverait subordonné à leur volonté souveraine ». La même solution est reprise dans l’affaire Oztürk (21 février 1984) où il était simplement question de sanctions administratives. A fortiori, il ne peut en être que de même pour la rétention de sûreté prévue par la loi soumise à votre censure.

La troisième question, tout aussi fondamentale, est celle du prononcé d’une peine après la peine sans infraction. Ce n’est plus le droit sans peine mais la peine sans droit.

Que l’on se place sur le terrain éthique ou juridique, la rétention de sûreté, telle qu’elle est prévue dans la loi émotive adoptée le 8 février 2008, est une sorte de monstre qui inscrirait la France dans un modèle de politique criminelle totalitaire (Cf. M. Delmas-Marty, Les grands systèmes de politique criminelle, PUF, 1992), tel que nous avons pu le connaître aux heures les plus sombres de notre histoire ou tel qu’il fut consacré par le code pénal soviétique de 1926. Seul le mouvement positiviste de la fin du 19ème siècle, déterministe par essence, s’est risqué à fonder des mesures privatives de liberté sur la probabilité de la commission d’une infraction, croyant à l’époque qu’elle pouvait être scientifiquement évaluée, ce que plus aucun spécialiste n’admet aujourd’hui.

Sur le plan éthique, c’est à un bouleversement auquel nous assisterions si vous avalisiez cette loi. Les auteurs de crimes graves, au nom d’une impossible société du risque zéro ou du principe de précaution perverti, seraient enfermés à leur sortie de prison non pas en vertu d’un jugement sanctionnant une nouvelle infraction, mais en raison d’un état considéré comme potentiellement dangereux. C’est pourtant bien la certitude de la libération qui favorise chez le condamné ses efforts de réinsertion. La rétention de sûreté ouvrant la possibilité d’une relégation éternelle fondée sur un simple pronostic est contraire aux valeurs humanistes.

 

Sur le plan juridique, l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est bafoué par la rétention de sûreté : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Comment une peine peut-elle être évidemment nécessaire quand elle est assise sur la seule probabilité ?

 

L’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens est également bafoué : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement par la loi ». Par définition, la rétention de sûreté s’appliquerait à des personnes innocentes, totalement innocentes, pas même suspectées. Ce, pour une durée renouvelable chaque année, sans limitation dans le temps. Et les mineurs, de manière encore plus invraisemblable, sont également visés.

 

Comme l’a écrit Robert Badinter, avec la rétention de sûreté « nous quittons la réalité des faits (le crime commis) pour la plasticité des hypothèses » (Le Monde, 27 novembre 2007).

 

Plus qu’une régression c’est l’effondrement des fondements de notre droit pénal qu’entraînerait l’introduction de la rétention de sûreté dans le code de procédure pénale.

 

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, à notre haute considération.

Signataires :

Thomas Clay, Professeur à l’Université de Versailles — Saint-Quentin
Geneviève Giudicelli-Delage, Professeur à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne
Jean-Paul Jean, Professeur associé à l’Université de Poitiers, Magistrat
Christine Lazerges, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Michel Massé, Professeur à l’Université de Poitiers
Reynald Ottenhof, Professeur émérite de l’Université de Nantes
Pierrette Poncela, Professeur à l’Université Paris X-Nanterre

Michel Debacq, Magistrat
Jean-Pierre Dintilhac, Magistrat
Robert Finielz, Magistrat
Roland Kessous, Magistrat
Pierre Lyon-Caen, Magistrat
Philippe Texier, Magistrat

Henri Leclerc, Avocat
Didier Liger, Avocat
Patrick Maisonneuve, Avocat
Jean-Pierre Mignard, Avocat
Alain Molla, Avocat
Frank Natali, Avocat

Lettre ouverte parue dans Libération le 18 février 2008

Robert Badinter : « Nous sommes dans une période sombre pour notre justice »

24 février 2008

Nicolas Sarkozy a demandé, vendredi 22 février, au premier président de la Cour de cassation de lui faire des « propositions » pour que la rétention de sûreté des criminels dangereux à leur sortie de prison s’applique immédiatement. Le Conseil constitutionnel avait pourtant censuré une telle application, jeudi. Qu’en pensez-vous ?

Il est singulier de demander au plus haut magistrat de France les moyens de contourner une décision du Conseil constitutionnel, dont le respect s’impose à toutes les autorités de la République selon la Constitution elle-même. Si le président entend passer outre la décision du Conseil, une voie lui est ouverte : demander au Parlement la révision de la Constitution. Rendez-vous au Congrès !

Comment interprétez-vous la décision du Conseil constitutionnel ?

Le Conseil constitutionnel a admis la conformité à la Constitution de la rétention de sûreté. Mais, dans le même temps, tout en disant que ce n’est pas une peine, il la traite comme telle, en déclarant qu’elle ne peut être rétroactive. En pratique, le système ne sera pas applicable avant quinze ans. Et même après, sa mise en oeuvre risque d’être problématique. En plus de la censure de la rétroactivité (de la loi pénale la plus dure), le Conseil constitutionnel a fait une réserve d’interprétation importante, en imposant à la juridiction compétente de « vérifier que la personne condamnée a effectivement été en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre ».D’où l’alternative : soit les soins n’ont pas été donnés et le détenu ne pourra pas aller dans un centre de rétention de sûreté ; soit la prise en charge et le traitement sont intervenus – ce qui implique que la prison aura bénéficié de toutes les ressources nécessaires, changement radical par rapport à la situation actuelle – et dans ce cas, il n’y aura sans doute pas lieu de l’envoyer dans un centre de rétention de sûreté. Nous retrouvons là une situation proche de la loi sur l’ADN : le Conseil constitutionnel la valide, mais en fait elle est quasiment inapplicable. De surcroît, d’ici quinze ans, la majorité politique aura sans doute changé.
Le Conseil a donc retiré une partie du venin de la loi. Mais il a accepté le principe de la détention pour dangerosité, hors toute commission d’infraction. Qui ne voit le brouillard dans lequel on va plonger la justice ? On crée l’emprisonnement pour raisons de dangerosité, concept éminemment flou. Une personne sera enfermée, non plus pour les faits qu’elle a commis, mais pour ceux qu’elle pourrait commettre. On perd de vue l’un des fondements d’une société de liberté. On est emprisonné parce que l’on est responsable de ses actes. Nous passons d’une justice de responsabilité à une justice de sûreté. C’est un tournant très grave de notre droit. Les fondements de notre justice sont atteints. Que devient la présomption d’innocence, quand on est le présumé coupable potentiel d’un crime virtuel ?

Mais ce tournant est désormais constitutionnel.
Lorsque j’étais président du Conseil constitutionnel (1986-1995), j’avais posé sur mon bureau une affichette : « Toute loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise. Mais toute loi mauvaise n’est pas nécessairement anticonstitutionnelle. » Le fait que la loi sur la rétention de sûreté ait été jugée conforme à la Constitution ne change pas sa nature : ce sera toujours une mauvaise loi. Il y a eu des heures de gloire pour la justice : la fin de la torture, du bagne, l’abolition de la peine de mort, la possibilité pour un citoyen français de faire un recours à la Cour européenne des droits de l’homme. Aujourd’hui, nous sommes dans une période sombre pour notre justice.

Si la gauche revient au pouvoir, va-t-elle abroger cette loi ?

Quand la gauche reviendra au pouvoir, je souhaite qu’elle supprime cette loi sur la rétention de sûreté. Elle n’en sera pas quitte pour autant. Il faut repenser le traitement des criminels dangereux. Des solutions sont là, inspirées des exemples hollandais et belges.Il faut, dès le début de l’instruction, procéder aux examens pluridisciplinaires nécessaires pour établir un diagnostic de l’auteur présumé du crime. A partir de ce diagnostic, s’il est affecté de troubles graves de la personnalité qui relèvent d’un traitement médico-psychiatrique, il est placé dans une structure hospitalière fermée, pour une durée indéterminée, variant selon son état. Ou bien il apparaît qu’il peut répondre de son acte devant la justice, et on doit utiliser le temps de l’emprisonnement, de longue durée s’agissant de criminels, aux traitements nécessaires. Il ne faut pas que la prison soit un temps mort. Cela vaut pour tous les prisonniers et encore plus pour tous ceux qui sont atteints de troubles de la personnalité. Mais cela demande un investissement important, auquel la France ne s’est pas résolue.

Craignez-vous un nouveau durcissement de la loi ?

Le prochain fait divers saisissant nous le dira. Lorsqu’un crime grave aura été commis par une personne qui aura tué ou violé plusieurs années auparavant, mais n’aura été condamnée qu’à une peine de dix ans par exemple, au lieu des quinze ans prévus par la loi, on demandera l’abaissement de ce seuil à ce niveau. Ainsi, par touches successives, on verra s’étendre le domaine de la rétention de sûreté.


Propos recueillis par Alain Salles, article paru dans Le Monde du 24.02.08

Moins de 18 ans et 18 infractions en moyenne

24 février 2008

Au tribunal pour enfants de Paris, la justice n’hésite pas à recourir à des peines de prison contre les délinquants.

 

C’est une étude rare. Elle se penche sur les mineurs délinquants multirécidivistes. Ceux dont Nicolas Sarkozy prétend qu’ils bénéficient d’une «quasi-impunité garantie», alors que, selon lui, «le premier problème de sécurité qu’il nous reste aujourd’hui à résoudre, c’est l’affaire des mineurs». En réalité, les mineurs représentent 18 % des délinquants mis en cause en France.

 

 

L’enquête réalisée entre septembre 2007 et janvier 2008 au tribunal pour enfants de Paris (1) a exploré le parcours de ces jeunes «multiréitérants» en se focalisant sur ceux qui cumulent plus de 10 infractions. Ils sont 44 et totalisent 808 infractions (soit 18 chacun en moyenne). Des jeunes envers qui la justice n’est pas aussi laxiste qu’il n’y paraît. Voici leur photographie.

 

Qui sont-ils ?

 

Près de la moitié des 44 mineurs sont domiciliés dans les XIX et XXe arrondissements. Parmi eux, seulement deux filles. Plus d’un tiers vivent avec leurs deux parents. Quand ils sont présents, 44 % des pères travaillent, et 17 % sont chômeurs. Les mères sont 46 % à exercer une profession. Elles sont femmes de ménage (8), gardiennes d’immeuble (2), assistantes maternelles (2) ; les pères, agents d’entretien (2), aides-soignants (2), chauffeurs de taxi (2), cuisinier… Une partie de la famille est déjà connue de la justice pénale. Dans un quart des cas, c’est la fratrie qui a eu maille à partir avec le tribunal. Dans 11 % des cas, c’est le père, la mère dans 5 %.

 

Alors qu’on parle souvent de «parents démissionnaires», l’étude montre au contraire qu’ils «ne minimisent pas les conséquences de la délinquance de leurs enfants». Par exemple, dans sept familles, les parents ont mis en place des «séjours de rupture pour éloigner leur enfant délinquant de ses fréquentations nocives», c’est-à-dire un exil dans le pays d’origine (près d’un tiers des mineurs impliqués est originaire du Maghreb, un peu moins d’Afrique subsaharienne).

 

Quatre jeunes sur 5 sont déscolarisés. Et depuis longtemps : 90 % le sont depuis plus d’un an. Ils ont été exclus pour comportement difficile (8 sur 44), absentéisme (5). Deux ont quitté les bancs de l’école pour cause de problèmes «psychiatriques». Mais selon les éducateurs rattachés au tribunal pour enfants, 7 sont atteints de ce type de traumatisme. Seuls 4 mineurs déclarent avoir arrêté délibérément leurs études. Dans quelles classes étaient-ils ?

 

On ne le sait que pour 26 d’entre eux. La moitié suivait une formation de type «remise à niveau» (7 ont fréquenté une classe relais). Les autres suivaient une formation professionnelle (BEP ou CAP) dans la vente, la pâtisserie, le métier de tailleur de pierres, la comptabilité. Enfin 5 suivaient des études générales en 5e, 4e ou 3e.

 

Qu’ont-ils fait ?

 

Les atteintes aux biens sont les plus nombreuses (363 infractions sur 808). Pour 4 sur 5, il s’agit de vols : vols simples (20 %) vols aggravés (80 %). Dans 90 % des vols aggravés, la circonstance aggravante est la réunion (action à plusieurs). «La dimension collective est donc très prégnante dans la délinquance juvénile, constate l’étude, les mineurs multiréitérants agissent souvent les uns avec les autres.»

 

Environ 45 % des infractions commises sont des atteintes aux personnes. Dans 20 % des cas il s’agit de violences physiques gratuites. Mais celles-ci ne présentent «pas de caractère objectif de gravité» puisque 68 % n’ont pas entraîné d’ITT (interruption temporaire de travail), et 22 % des ITT sont inférieures ou égales à 8 jours. Près de la moitié des violences sont motivées par l’appropriation. 25 % concernent les stupéfiants (dont 19 % au moins relèvent du simple usage personnel). Enfin, les atteintes à l’autorité de l’Etat (outrages, violences et rébellion) représentent 12 % du total des infractions. Dans cette catégorie on compte 4 mineurs accusés d’entrave à la circulation dans les halls d’immeuble.

 

Comment la justice a-t-elle répondu ?

 

Les résultats de cette étude montrent que les juges des enfants exploitent la totalité de l’éventail des peines disponibles. L’étude «contredit frontalement l’idée reçue selon laquelle les mineurs délinquants jouissent d’une totale impunité pour leurs actes répréhensibles». A regarder les chiffres cela saute aux yeux : 68 % des mineurs concernés ont été condamnés à une peine de prison ferme, 36 % ont été placés une fois au moins en détention provisoire.

 

Parmi les 351 décisions de justice prononcées, on compte 165 peines, 146 mesures éducatives. Des alternatives aux poursuites ont également été proposées dans 28 cas.

 

La plupart des mineurs délinquants de cette enquête relèvent également de la protection de l’enfance. 38 mineurs sur 44 ont été – ou étaient – suivis en assistance éducative plus d’un an avant la saisine pénale du juge des enfants. En moyenne, ils avaient 10 ans et 2 mois au moment de la mise en place d’un suivi d’assistance éducative. Et 13 ans à la première infraction.

 

(1) «Etude sur les mineurs multiréitérants du ressort du tribunal pour enfants de Paris», Pauline Marcel, IEP-Paris.

 

Article de Charlotte Rotman paru dans Libération le 18 février 2008

La surpopulation carcérale : le juge Serge Portelli

15 février 2008

Le nombre de détenus a augmenté l’an dernier de 6% en France…

Les prisonniers sont passés de 60 à 64 000, et notamment en raison de la hausse des courtes peines pour infractions routières. Ce sont des chauffards jugés en comparution immédiate, et généralement emprisonnés pour quelques semaines ou quelques mois. Des espaces spéciaux pour les courtes peines vont être aménagés pour eux dans les grandes prisons.

L’administration pénitentiaire assure vouloir mettre en place des programmes de prévention de la récidive.

Pour en parler, le juge Serge Portelli. Il vient de publier Récidiviste.

Entretien avec Bernard Thomasson sur France Info le 12 février 2008.

 

 

 

 

 

Dati à la prison de Meyzieu : rien de nouveau à l’ombre

11 février 2008

La Garde des Sceaux, Rachida Dati , s’est rendue samedi après-midi à l’établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Meyzieu, à côté de Lyon. Un prison où un adolescent s’était pendu une semaine plus tôt. La ministre voulait « soutenir l’ensemble des personnels ». Les nombreuses questions que se posent les adultes qui travaillent à l’intérieur ne l’ont visiblement pas effleurée. Elle ne pointe aucun dysfonctionnement. « Leur travail et la structure de l’établissement » ne sont « absolument pas remis en cause ». L’EMP est « adapté »

 

 

Les personnels s’interrogent heureusement un peu plus. Depuis l’ouverture du centre, en juin 2007, ils ont « réduit un peu la voilure ». Au départ, les adolescents suivaient des activités de 9h du matin à 8h du soir. Soixante heures au total par semaine, ce qui était « très violent pour certains jeunes livré au désoeuvrement jusque-là », admet un responsable de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Les activités s’achèvent désormais à 17h30, les mercredi sont banalisés et les week-end allégés.

 

A demi-mots, tout en défendant la structure et les personnels, le responsable de la PJJ reconnaît qu’il a fallu s’adapter au lancement à marche forcée. Des programmes de recrutement en urgence d’éducateurs ont été lancés. Certains sortaient tout juste de l’ANPE et des cessions de formations ont été organisées pour des éducs qui n’avaient jamais travaillé pour la PJJ. Les nouveaux débarquaient dans un EPM où les premiers mineurs avaient décidé, avant même leur transfèrement, de mettre l’établissement à l’envers.

 

Le manque de formation de certains posait plus de problème dans un centre nouveau, où surveillants et éducs doivent de surcroît travailler en « binômes ». C’est l’une des particularité des EPM. Quatre cultures professionnelles y cohabitent (pénitentiaire, PJJ, santé et éducation nationale) sans que l’ensemble soit placé sous la seule autorité du directeur. La tentation peut être plus forte pour des adolescents de s’engouffrer dans les failles que laissent les adultes entre eux.

 

Les professionnels s’interrogent aussi sur le cadre lui-même et ses ambiguïtés. L’EPM est organisé en « unités de vie » semblables à des foyers, avec activités et éducateurs. Mais l’ensemble est clos de mur et l’établissement est bien une prison. Des adolescents constitués de failles psychologiques ont peut-être parfois des difficultés à se situer dans ce cadre. Ils s’y trouvent de surcroît en permanence sous le regard des autres, du fait de la multiplicité d’activités collectives. Cela génère aussi plus de tension.

 

Dans ce contexte, le petit Julien était décrit comme un pensionnaire « courtois » par les surveillants. Il n’allait cependant pas bien, a changé cinq fois d’unité et fait deux tentatives de suicide en six semaines. « Vu son pédigré, je ne vois de toute façon pas comment il pouvait échapper à la prison », glisse un responsable de la PJJ. Un cadre de la pénitentiaire explique pour sa part que l’adolescent ne supportait pas l’enfermement. Jusqu’à se suicider. Il a été enterré samedi à Casablanca. Au moment où Rachida Dati visitait l’EPM.
Ol.B.

Article paru sur LibéLyon le 10 février 2008. 

Retour sur la vie de Julien, qui s’est pendu en prison à Meyzieu

11 février 2008

On dirait une chambre d’enfant. Un lit bateau en bois, un poster de Charlot au mur, un singe en peluche près de l’oreiller. Julien avait 16 ans. Il s’est pendu samedi 2 février, dans sa cellule de l’établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Meyzieu. Il y était incarcéré depuis un mois et demi. Rachida Dati, en visite ce samedi à l’EPM, a demandé une enquête administrative. Le père de Julien aussi veut comprendre. Pourquoi son fils est mort dans cette prison, pourquoi il y est resté malgré plusieurs tentatives de suicide…

 

Julien, 16 ans depuis septembre, est né d’un père qui s’appelait Mohamed mais a changé pour Sébastien, et d’une mère fragile, partie lorsque l’enfant avait huit mois. Elle a voulu le revoir, lorsqu’il avait 9 ans, mais il a refusé, a sauté par la fenêtre le jour où elle est venue. Il vivait chez son père et sa belle-mère, avec ses quatre frères, dans une assez grande maison d’un lotissement de Montélimar. «Il ne parlait pas beaucoup, dit Sébastien, technicien en radio protection dans des centrales nucléaires. Il était moyen à l’école, mais poli, respectueux. Il était gâté à la maison, il ne manquait de rien.» De rien sauf d’une mère.

 

 

Tentatives.

 

Les actes de petite délinquance ont commencé voilà quatre ans, le père datant précisément la rupture. «En cinquième, raconte-t-il, il a fait une bêtise. Il a baissé son pantalon dans la cour. Le collège m’a prévenu.» Et le soir, Sébastien a frappé son fils. Celui-ci s’est plaint le lendemain à l’infirmerie du collège. «Une assistante sociale est venue à la maison, poursuit Sébastien. J’ai été convoqué par un juge pour enfant.» Une mesure d’éducation en milieu ouvert a été décidée et le père s’est senti destitué. «J’avais perdu toute crédibilité, dit-il. Je ne pouvais plus intervenir. Si je me fâchais, il me disait que je n’avais pas le droit.»

 

Le garçon entame un parcours de petit voyou. Vole un scooter un jour, casse une vitre le lendemain pour piquer un CD, dérobe du linge dans un jardin. Le juge l’envoie chez un psychiatre, mais Julien ne parle pas. «Plus personne n’avait de prise, dit le père. Il faisait n’importe quoi pour se faire remarquer. Je savais que c’était des appels au secours, mais comment l’aider?» Les convocations au commissariat se multiplient, sans conséquence, puis l’addition tombe, à l’automne 2007. Julien, 16 ans depuis septembre, écope de deux mois de prison ferme, le 28 novembre.

 

Un aménagement de peine est cependant envisagé pour lui éviter l’incarcération. Mais le procureur en décide autrement. Après un incident dans le centre de placement immédiat où se trouve Julien, il l’envoie à l’EPM de Meyzieu. La loi Perben II de mars 2004 autorise le parquet à passer outre l’avis des juges et des éducateurs pour envoyer un mineur en détention, en cas «d’urgence motivée par un risque pour les personnes ou les biens». Alain Fort, l’avocat de la famille, dénonce «l’utilisation croissante de ce texte épouvantable pour contourner les aménagements de peine».

 

Julien se démet l’épaule au bout de quelques jours. En essayant de se pendre, expliquait lundi la direction interrégionale de l’administration pénitentiaire. L’administration centrale affirme à présent qu’il avait glissé. Elle indique en revanche qu’une tentative a bien eu lieu le 26 décembre. Le père est prévenu par les médecins. Il obtient un premier permis de visite le 5 janvier. «Julien ne supportait pas d’être là-bas», dit-il.

 

Le garçon change quatre fois d’unité de vie. «Les personnels ont bataillé pour essayer de le sauver, affirme l’administration pénitentiaire. Il était dans la transgression absolue, dans la volonté suicidaire maximale.» Un EPM était-il l’endroit idéal, pour un adolescent suicidaire? Dès le 14 janvier, une place est réservée pour Julien dans un centre éducatif renforcé, en Haute-Loire. «Il m’en a parlé la dernière fois que je l’ai vu, raconte le père. C’était le 16janvier. C’était une question de jours, il avait hâte de partir. Pour la première fois, il m’a fait des excuses pour tout ce qui était arrivé. Je suis reparti soulagé.»

 

 

«Privé de parloir».

 

Neuf jours plus tard, Julien est toujours à l’EPM. Il met le feu à ses vêtements et sa cellule prend feu. L’administration pénitentiaire envoie alors une lettre au père pour lui demander s’il a une assurance, et Julien passe devant un juge, qui prend un mandat de dépôtest décidé. Il ne peut plus quitter l’EMP. «Le vendredi qui a suivi, une éducatrice m’a téléphoné, raconte le père. Elle m’a expliqué que Julien était privé de parloir pour une semaine.» L’administration conteste ce point. Le lendemain, un surveillant a découvert l’adolescent à midi, un drap serré autour du cou. Le père a passé son dimanche auprès de lui. «Il semblait dormir, raconte-t-il. Son cœur battait encore, mais son cerveau était mort.» Il a prévenu la mère, qui a pu passer l’après-midi auprès de ce fils qu’elle n’avait jamais revu. Puis lundi, le père a demandé aux médecins de débrancher les appareils qui maintenaient leur fils en vie.
Ol.B.

Article paru sur LibéLyon le 9 février 2008. 

1...1213141516...18