Archive de la catégorie ‘Rétention de sûreté’

Loi sur la Rétention de Sûreté

Jeudi 8 mai 2008

Mercredi 14 mai à partir de 19h

à l’Antre Autre (11 rue Terme, Lyon 1er, métro Hôtel de Ville)

le Génépi organise une soirée d’information

à propos de la loi sur la rétention de sûreté.

La soirée s’ouvrira sur la projection du film Rétention de sûreté, une peine infinie, de Thomas Lacoste, puis sera suivie d’une discussion avec les bénévoles du Génépi pour mieux comprendre la réforme et ses enjeux.

La loi sur la rétention de sûreté:

Le 25 février 2008 a été promulguée la loi sur la rétention de sûreté et sur la déclaration d’irresponsabilité pénale, après un vote en procédure d’urgence au Parlement et la saisine du Conseil constitutionnel. Pendant toute la procédure d’adoption, elle a fait l’objet de vives polémiques, tant sur le mode de procédure que sur les conséquences pénales du texte.

Si elle ne sera effectivement en application que dans une quinzaine d’années, cette loi a néanmoins des conséquences majeures sur les politiques pénales et carcérales et sur les principes fondamentaux du droit.

Rétention de sûreté, une peine infinie:

Huit intervenants, praticiens, militants et chercheurs prennent ici la parole pour déconstruire méticuleusement ce populisme pénal prôné par le chef de l’Etat, qui a dicté l’adoption de la loi sur la Rétention de sûreté, et le populisme constitutionnel qui veut l’appliquer par-delà les principes supérieurs de notre droit.

Moins cher que l’hôpital, la prison

Mardi 29 avril 2008

« J’ai suivi un jeune schizophrène condamné à quatre ans d’emprisonnement, après comparution immédiate, pour une tentative de braquage avec une arme ridicule. Il sortait d’un hôpital psychiatrique. L’expertise a conclu à sa responsabilité pénale. Nous avons demandé une contre-expertise, qui a donné un résultat contraire. Mais le magistrat s’en est tenu à sa première décision. » L’histoire que raconte M. Joseph Minervini, psychiatre à temps partiel dans l’unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) de la maison d’arrêt de Besançon, n’a malheureusement rien d’une anecdote. Elle révèle les mutations concomitantes du milieu carcéral et du dispositif hospitalier de soins psychiatriques. Selon ce médecin, le jeune homme aurait dû, « compte tenu de sa faible dangerosité et de son état de santé », continuer à être suivi par l’hôpital dont il dépendait, non se retrouver en prison.

 

Dès 2000, l’ex-président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP), M. Evry Archer, annonçait que 40 % des entrants présentaient des troubles ou des maladies psychiatriques avérées. En décembre 2004, une étude épidémiologique signalera à son tour que 8 hommes détenus sur 10, et 7 femmes sur 10, souffrent d’au moins un trouble psychiatrique (1). Selon cette étude, 24 % d’entre eux souffrent de troubles psychotiques, 56 % de pathologies anxiogènes et 47 % de problèmes dépressifs. En outre, 20 % ont déjà été suivis par le secteur de psychiatrie générale.

 

Parmi les raisons de cette recrudescence des malades mentaux dans les prisons, la réforme du code pénal de 1993 qui établit, par l’article 122-1, la responsabilité pénale des personnes dont le discernement « est altéré au moment des faits ». En clair, on considère que la conscience de leur acte a pu être modifiée par la maladie, mais qu’elle n’a pas été abolie. Une nuance délicate qui permet, certes, une reconnaissance du crime pour la victime, mais fait passer au second plan la nécessité du soin psychiatrique pour le condamné. De fait, des vagues de condamnés, qui auraient pu, avant 1993, être jugés irresponsables et suivis par la psychiatrie générale, ou dans une unité pour malades difficiles (UMD), se retrouvent à présent en prison. La proportion des accusés jugés irresponsables au moment des faits, qui s’élevait à 17 % en 1980, est ainsi tombée à 0,17 % en 2001.

 

La présence du personnel psychiatrique hospitalier en milieu carcéral rassure. Depuis 1986, les détenus malades mentaux ont accès aux soins pendant leur incarcération. Sur le papier, 463 lits d’hospitalisation sont ouverts et répartis à l’intérieur de 26 maisons d’arrêt et centres pénitentiaires. Ces services médico-psychologiques régionaux (SMPR), rattachés à des centres hospitaliers, sont dotés de psychiatres et de personnel infirmier. Si l’état du détenu devient incompatible avec l’emprisonnement et qu’il refuse les soins, les psychiatres des SMPR ne peuvent le contraindre, mais ils ont dorénavant la possibilité de le faire admettre d’office dans l’hôpital de rattachement ou dans l’une des quatre UMD que compte l’Hexagone.

 

Il est communément admis que les SMPR améliorent la situation des établissements pénitentiaires qui les hébergent. Dans les autres, les UCSA n’assurent, depuis 1994, que des prises en charge inférieures à 48 heures. Le revers de la médaille est le recours plus fréquent à la prison pour régler des situations qui ressortissent au trouble à l’ordre public (lire « Et même la folie a cessé d’être innocente »).

 

Loin du cliché du condamné en assises pour homicide ou viol, à l’occasion de faits divers sanglants, un nombre croissant de psychotiques arrivent à présent dans le milieu carcéral : 40 % des détenus concernés par ces troubles font l’objet d’une condamnation en correctionnelle.

 

« Face à la saturation des structures de psychiatrie, comme les hôpitaux ou les centres médico-psychologiques [CMP], nombre de patients restent sans soins et entrent dans une spirale de petits délits qui les mène en prison », explique, en 2004, M. Michel Laurent, alors psychiatre à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, avant d’ajouter qu’il lui est fréquemment arrivé de « recevoir des détenus qui, à leur arrivée, sont complètement délirants et déstructurés, et qui n’auraient jamais dû se retrouver en prison ». Même constat à Besançon : « Certains de nos patients ont un profil de malades avant d’être des délinquants, explique M. Minervini. Ils étaient en situation d’errance ou de grande précarité. Ils ont commis de petits larcins. Ou bien ils se sont battus et terminent en correctionnelle ou en comparution immédiate. Ils arrivent en prison sans avoir subi d’expertise. »

 

Autre réalité tout aussi alarmante : le soin en milieu carcéral peut devenir un argument pour prolonger la détention. « Pour des patients très difficiles, le juge d’application des peines invoque parfois la qualité du suivi thérapeutique et la crainte d’un manque de prise en charge à l’extérieur pour refuser un aménagement de peine », s’alarme M. Laurent. Entouré de 4 psychiatres et de 9 infirmiers, il a eu à suivre entre 200 et 350 détenus de manière permanente sur une année. Soit près d’un tiers des détenus. A côté des situations de toxicomanie, de délinquance sexuelle, d’alcoolisme et de troubles mentaux, il évalue à une quarantaine le nombre de détenus souffrant d’une psychose schizophrénique. Des malades qui passent d’un état « stabilisé » à des phases de paranoïa, de bouffées délirantes, d’agressivité, ou bien à des phases d’extrême angoisse pouvant mener au suicide.

 

S’il se considère comme bien loti « comparé aux autres SMPR [qu’il a] visités », son constat est sans appel : « Nous suivons des détenus-patients qui ont besoin d’une prise en charge soutenue. Nous ne pouvons pas tous les faire hospitaliser d’office à l’hôpital de rattachement, et certains n’ont pas non plus le profil de l’UMD. »

 

Indispensable puisqu’il offre des soins aux détenus malades, ce système est débordé. Selon la dernière enquête épidémiologique, la proportion de psychotiques à tendance schizophrénique atteint maintenant 10 % dans les établissements pénitentiaires (2). La population carcérale étant proche de 59 000 personnes, cela signifie que presque 6 000 détenus auraient besoin d’un suivi plus soutenu. Un raz de marée, compte tenu des 463 places officiellement décomptées dans les SMPR.

 

A cela s’ajoutent des obstacles matériels. Sur le papier, le service de Bois-d’Arcy compte 11 lits d’hospitalisation, « mais en réalité, nous n’en avons aucun », déplore M. Laurent. Question de budget, d’exiguïté des locaux, le SMPR n’assure même pas l’équivalent d’un hôpital de jour, qui garderait les détenus à la journée. La situation de Bois-d’Arcy n’est pas une exception. Le SMPR de Châteauroux n’est pas encore équipé de lits malgré les 13 places qui lui sont imparties, car, entre autres raisons, les postes de psychiatre ne sont pas pourvus. Plusieurs services doivent fermer faute de personnel ou de travaux, comme cela a été le cas à Caen. A Nantes, la situation pourrait paraître meilleure : le SMPR situé dans l’enceinte du centre pénitentiaire compte 16 lits d’hospitalisation à temps plein. Un des psychiatres constate pourtant : « Cela n’a rien à voir avec une hospitalisation normale. Les soins ne sont dispensés que dans la journée. Pendant la nuit, il y a un médecin d’astreinte mais pas de personnel soignant. »

 

Cette réalité inquiétante va à l’encontre de garanties octroyées par la législation, puisque, depuis 1994, la loi sur l’accès aux soins des détenus impose un principe d’égalité de soins entre le pénitentiaire et l’extérieur. Sur les 26 SMPR, seuls ceux de Fresnes et de Marseille disposent d’une surveillance médicale nocturne permettant d’atteindre l’objectif d’hospitalisation effective. Dans les autres cas, une bouffée délirante aiguë ou une tentative de suicide peut à tout moment devenir tragique.

 

Alors, pourquoi garder en prison des détenus malades ? Pour l’équipe des psychiatres nantais, une piste de réponse apparaît clairement : « Les détenus-patients sont hébergés dans des cellules que l’on ne peut qualifier de chambres d’hospitalisation, même si curieusement le forfait hospitalier s’y applique, alors que l’administration pénitentiaire fournit chichement le gîte et le couvert. » Une journée en détention ne coûte que 150 euros, quand une journée en hôpital psychiatrique revient à 480 euros…

 

Du côté du ministère de la justice, on reconnaît la saturation. Dès le 15 décembre 2003, le ministre de la justice Dominique Perben concédait : « Le dispositif sanitaire [hospitalisation d’office, UMD et SMPR] se révèle insuffisant en matière de prise en charge des troubles mentaux compte tenu de l’ampleur des besoins (3). » La loi de programmation 2002 prévoit la création de véritables hôpitaux psychiatriques pour détenus — les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA).

 

Le projet ressemble à une bouffée d’oxygène. Mais le rêve pourrait être de courte durée. « D’où viendra le personnel ? Car il faudra bien créer des postes de soignant », remarque Mme Françoise Huck, vice-présidente de l’ASPMP. La question n’a rien d’anodin : les hôpitaux psychiatriques dénoncent eux-mêmes leur manque de personnel. Quant aux places offertes par ces 17 futures UHSA, d’abord estimées à 144, elles devraient finalement atteindre, selon les annonces du ministère de la justice, un total de 700 d’ici à 2010, dont 450 dès 2008. Les SMPR, eux, risquent d’en faire les frais. Ils pourraient perdre leur 463 places d’hospitalisation pour un recentrage sur des soins ambulatoires ne dépassant pas quarante-huit heures. Si les négociations se poursuivent sur ce point, le nombre de lits dans ces services devrait être revu à la baisse.

 

Destinées en premier lieu à soulager les établissements pénitentiaires, ces UHSA n’infléchiront pas la tendance à emprisonner des malades mentaux. Elles pourraient même l’accentuer. Psychiatre intervenant aux Baumettes, à Marseille, M. Jean-Marc Chabanne se demande, comme nombre de ses collègues, si « la recréation des asiles, par l’instrumentalisation de la psychiatrie, n’est pas à l’œuvre en instituant ces nouveaux lieux de soins spécialisés pour malades mentaux détenus » et si les experts psychiatres n’auront pas tendance à recourir à l’incarcération car, « quelle que soit leur conclusion, ils auront la certitude que le patient sera soigné en milieu sécurisé ».

 

Ce dispositif risque même de « créer une psychiatrie pénitentiaire pour les malades agités que la psychiatrie générale n’est plus en mesure ou ne veut plus prendre en charge », dénonce un membre de l’ASPMP.

 

Lors d’une audition d’enquête parlementaire, en 2001, M. Archer, psychiatre au SMPR de Loos, dans le Nord, avertissait : « Il ne faudrait pas que la présence des dispositifs de soins psychiatriques dans les prisons en vienne à cautionner le retour à une fonction asilaire de la prison. » Cette crainte est en passe de devenir un fait accompli.

Article de Virginie Jourdan paru sur monde-diplomatique.fr en juillet 2006.

Une mort qui relance le débat sur la récidive

Mardi 29 avril 2008

Samedi, la chancellerie se félicitait de sa loi de 2007 sur les peines planchers. 
Si les soupçons contre Bruno C. sont avérés [dans l'affaire du meurtre de l'étudiante suédoise], la polémique sur le traitement pénal des criminels récidivistes va s’enrichir d’un nouvel épisode. Cela n’a pas échappé à la chancellerie qui, dès samedi, a pris l’initiative de publier un communiqué pour se féliciter de la «priorité» mise «depuis un an» par le gouvernement sur la lutte contre la récidive. Les services de Rachida Dati, la garde des Sceaux, ont aussi rappelé que «ce type de crime [sexuel] est souvent le fait de récidivistes et de criminels dangereux», avant de souligner que la loi antirécidive du 10 août 2007, instaurant des peines planchers pour les récidivistes, avait été appliquée «7 843 fois». La chancellerie a aussi mis en avant la loi du 28 février dernier relative à la rétention de sûreté qui instaure pour les criminels les plus dangereux une mesure de rétention à l’issue de leur peine.

Des syndicalistes n’ont pas tardé à réagir, dont Serge Portelli, membre du Syndicat de la magistrature et spécialiste de la récidive, qui a jugé «choquant pour ne pas dire indécent que le ministère de la Justice profite d’un crime odieux pour faire de la publicité sur des lois qui sont plus que problématiques car extrêmement discutables au niveau des droits de l’homme et des principes généraux du droit». Concernant la loi sur les peines planchers, Serge Portelli estime qu’elle vise, dans la grande majorité des cas, des petits délinquants, et que concernant les criminels dangereux cette loi prévoit «des peines qui sont très largement inférieures à celles qui sont appliquées d’habitude par les cours d’assises dès qu’elles ont à juger un récidiviste».

 

Le parcours de Bruno C. est un cas d’école en matière de délinquant sexuel multirécidiviste. A 51 ans, il a passé une vingtaine d’années derrière les barreaux. Si sa première condamnation, alors qu’il avait 15 ans, concerne un vol à main armée, les peines les plus lourdes ont été prononcées pour des crimes sexuels. En 1979, il est condamné à six ans de réclusion pour le rapt et le viol d’une femme de 22 ans. Début 1983, alors qu’il est sorti de prison depuis moins de deux ans, il enlève et viole une auto-stoppeuse de 21 ans, puis une fillette de 12 ans. Pour ces deux viols Bruno C. écope de dix-huit de prison, dont il ressort en 1999. Pourtant, et c’est l’une des zones d’ombre de l’enquête, l’empreinte génétique de Bruno C. n’apparaît pas dans le fichier national des empreintes génétiques (Fnaeg). A la lumière des débats actuels, on peut imaginer que si la loi sur la rétention de sûreté avait existé en 1999, Bruno C. aurait peut-être été concerné. A 42 ans, il aurait alors été enfermé en raison de sa potentielle dangerosité. Impensable, dénoncent les détracteurs de cette loi, qui estiment qu’il faut surtout soigner ce type de délinquant en prison. Libre, il a pu récidiver, répliquent les défenseurs de ce texte.

Article paru sur Libération.fr lundi 28 avril 2008. 

Le bien commun

Dimanche 6 avril 2008

Mercredi 2 avril, l’émission Le bien commun d’Antoine Garapon sur France Culture était consacrée à la loi sur la rétention de sûreté, avec Henri Leclerc (avocat et président de la Ligue des droits de l’homme) et Paul Cassia (professeur de droit public à Paris-1 et membre de l’Institut).

 
 
   

Rétention de sûreté, une peine infinie

Samedi 5 avril 2008

Rétention de sûreté, Une peine infinie

Un film de Thomas Lacoste pour l’Autre campagne et le Syndicat de la Magistrature en quatre chapitres, avec Jean Bérard, historien, Université de Paris VIII, membre de l’Observatoire international des prisons (OIP) ; Jean-Pierre Boucher, juge de l’application des peines au Tribunal de Grande Instance de La Rochelle et ancien président du Syndicat de la magistrature ; Christian Charrière-Bournazel, avocat et bâtonnier de Paris ; Sophie Desbruyères, conseillère d’insertion et de probation (CIP), secrétaire nationale du syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaires (Snepap-FSU) ; Claude-Olivier Doron, philosophe, AMN Paris VII (REHSEIS) et secrétaire éditorial des Cahiers du Centre Canguilhem ; Véronique Mao, surveillante pénitentiaire, secrétaire nationale de l’Union générale des surveillants pénitentiaires (UGSP-CGT) ; Emmanuelle Perreux, juge de l’application des peines au Tribunal de Grande Instance de Périgueux et présidente du Syndicat de la magistrature et Daniel Zagury, psychiatre, chef de service au Centre psychiatrique du Bois-de-Bondy, expert auprès de la Cour d’appel de Paris :

Chapitre 1: http://www.dailymotion.com/video/x4sh72

Chapitre 2: http://www.dailymotion.com/video/x4sha6

Chapitre 3: http://www.dailymotion.com/video/x4shgj

Chapitre 4: http://www.dailymotion.com/video/x4shgj

Le site de l’Autre campagne.

Fous à délier

Mercredi 2 avril 2008

Christiane de Beaurepaire. Cette psychiatre à la prison de Fresnes se dresse contre les internements de malades mentaux, qui atteindraient 25 % de la population pénale.

Christiane de Beaurepaire, psychiatre, a passé les quinze dernières années de sa vie professionnelle à Fresnes. «Une longue peine», plaisante-t-elle. A laquelle elle échappe tous les soirs, certes. Elle dit : «Si l’on veut régler le problème de la surpopulation dans les prisons, c’est très simple : il faut les vider de toutes les personnes qui n’ont rien à y faire. Malades mentaux, sans-papiers, sans-domicile, vieillards déments, jeunes en errance, toxicomanes… et remplacer la prison par des structures appropriées.» Elle précise : «Je vous rappelle que le code pénal proscrit l’hébergement des malades mentaux des établissements pénitentiaires. Avec plus de 25 % de détenus qui souffrent de troubles avérés – schizophrénie, paranoïa, psychose, dépression grave -, nous prenons quelques libertés avec la loi.» En effet, si son discernement n’est qu’«altéré», le schizophrène assassin atterrit en milieu carcéral «avec une sanction pénale d’autant plus lourde qu’il est malade et qu’on juge non pas le bonhomme, mais sa dangerosité». Et si sa capacité de discernement est abolie ? «On se heurte alors à la pénurie des services psychiatriques.» Le docteur de Beaurepaire est célèbre pour son «discernementomètre». Depuis des années, elle questionne les experts judiciaires en charge d’évaluer l’intégrité du discernement, et donc d’envoyer ou non les fous en prison : «Tu me le montres, ton discernementomètre ? A quoi ressemble-t-il ?» Elle remarque avec une pointe d’ironie : «Comme c’est curieux ! Aujourd’hui, on peut voyager dans le temps. La prison tient lieu de l’asile décrit par Michel Foucault. On pratique le grand enfermement tel qu’il l’était à la Salpêtrière au XVIIe siècle.»

 

Elle est en fin de carrière et n’a plus rien à perdre. Elle revendique sa part de naïveté qui a agi «comme une protection». Elle est arrivée à Fresnes sans vocation carcérale préalable, parce que les postes de chef de service hospitalier étaient rares et qu’il fallait bien gagner sa vie. Elle se définit comme «opiniâtre abandonnique», c’est-à-dire une femme aussi têtue que capable de lâcher prise quand tout va pour le mieux. Si elle était un personnage de conte, ce serait la petite sirène «qui agit sans jamais en tirer de bénéfice et qui paie très cher de sa personne».«On n’avait aucune appartenance à quoi que ce soit, et pourtant, m’a traversé l’esprit, jeune fille, d’aller faire mon service en Israël.» Son père, médecin, jouait du piano, sa mère chantait, c’est ainsi qu’ils se sont rencontrés. Lycéenne, elle est un «brillant élément» qui risque le renvoi pour ses frasques. Un exemple : l’exploration d’un souterrain interdit qui mène au lycée de garçons. «J’ai toujours été attirée par les transgressions.» Jeune médecin, elle n’imaginait pas travailler ailleurs qu’en psychiatrie infantile. C’était dans les années 70, elle avait créé une structure, dans le Loiret, «une maison où l’on recevait et intégrait à l’école toutes sortes d’enfants, y compris autistiques. J’y ai été heureuse. Et par amour, j’ai fait l’une des grosses bêtises de ma vie, j’ai quitté l’affaire.»«Rien de mieux que la Normandie pour éprouver l’ennui.» Mais même au cœur de la grisaille, elle trouve le moyen d’expérimenter. La SNCF lui demande une étude sur ce qui pousse les ouvriers d’entretien à se jeter sur les voies la nuit. Sont-ils suicidaires ? L’objectif de la direction du personnel est de diminuer les risques, notamment à l’embauche. A toute heure de l’aube, elle parcourt les voies pour interviewer des cheminots. Conclusion de l’étude : «L’excès de conscience professionnelle est en cause. Ces agents sont si concentrés qu’ils n’entendent pas la corne. Le train passe, ils y restent.» A la suite de l’étude, la SNCF change son système d’avertissement du passage des trains. Sa curiosité ressemble à une boule à facettes. A la manière de Raymond Queneau qui écrit le même texte en variant les registres, elle rédige trois fois son étude sur la prise de risque des cheminots, en changeant d’habit. La première version, phénoménologique, est à usage de la SNCF. La seconde est un mémoire de psychopathologie de la vie quotidienne. Et le troisième, un autre mémoire universitaire par le biais de la philosophie de l’action. De même dans sa pratique de psychiatre : «Pas d’intégrisme. Psychanalyse, génétique et pharmacopée ne s’opposent pas. J’ai une mallette avec différents outils, qui ne servent pas au même moment et n’ont pas la même fonction.» Elle vient d’un milieu juif athée sans le sou. Christiane de Beaurepaire a l’esprit d’aventure. La voilà donc qui se morfond à Caen aux côtés de la personne qu’elle aime.

 

Christiane de Beaurepaire se souvient de ses débuts à Fresnes et de sa sensation contradictoire d’avoir enfin trouvé sa place. «J’étais saisie par cette architecture XIXe siècle et la diversité des rencontres et des pathologies. Cette impression d’être une infirmière dans la brousse. Ça avait son charme. A l’hôpital général de Fresnes, il y avait encore des nouveau-nés avec leur mère. Mais aussi beaucoup de malades du sida. Ils mouraient, faute de soins. Des cafards dégoulinaient des murs et des religieuses veillaient.» Au bout de quinze jours, elle craque : trop d’horreurs, aucun moyen. Pour ne pas démissionner, elle se passionne. Elle crée l’unité de psychiatrie de liaison à Fresnes, puis, il y a cinq ans, une consultation externe pour les patients libérés. Avec, entre autres, des rendez-vous pour les auteurs de violence sexuelle qui ont purgé leur peine et demeurent sous obligation de soins. Christiane de Beaurepaire est sans illusion : «Mes patients pédophiles potentiellement dangereux seront évidemment « datisés », mis en rétention de sûreté.» Elle ajoute : «Soigner un humain, ce n’est pas comme installer une nouvelle chaudière, le risque zéro n’existe pas. Mais plus on suit un malade sur une longue durée, plus on sait repérer quand il est inquiétant et prendre les mesures nécessaires pour éviter un drame.» Que propose-t-elle ? Qu’on regarde vers le Canada où existent des centres spécialisés dans le cadre d’une convention entre la justice et la santé. «Dans cette organisation, les soins sont prioritaires, ont lieu hors détention, et débutent dès le jugement, en milieu fermé.» C’est parce qu’elle a développé la structure psychiatrique de Fresnes que Christiane de Beaurepaire est légitime pour affirmer que les soins psychiatriques ne devraient pas avoir lieu en milieu carcéral. «Bien sûr, la détention déclenche souvent des troubles mentaux, et un service psychiatrique, aussi insuffisant soit-il, est nécessaire. Pour autant, il est inhumain d’envoyer des malades mentaux en prison. Comment peut-on imaginer qu’une personne qui souffre de dépersonnalisation survive à la violence pénitentiaire, qui rend encore plus malade si c’est possible ? »

 

Christiane de Beaurepaire assène peut-être des évidences, mais elles ne sont pas dans l’air du temps. A propos de la loi sur la récidive, promulguée par Rachida Dati : «Toutes les études montrent que plus on va en prison, plus on y revient. La seule manière de lutter contre la récidive est non pas la réinsertion – car les détenus sont rarement préalablement insérés -, mais l’insertion.» Elle s’interroge : «Est-ce qu’un pays qui déresponsabilise la délinquance financière mais qui met en prison les enfants et les malades mentaux est encore une démocratie ?»

Portrait d’Anne Diaktine paru sur Libération.fr le mardi 2 avril 2008.

Le Conseil constitutionnel

Samedi 1 mars 2008

« Après l’invalidation partielle de la loi par le Conseil constitutionnel sur la rétention de sûreté, qui rendait la loi inapplicable avant quinze ans, Nicolas Sarkozy a demandé l’aide de la Cour de cassation. Après les déclarations tonitruantes du président de la République, il s’agit de tenter d’y voir clair sur un sujet compliqué et une décision contradictoire. En compagnie de Guy Carcassonne, Jean-Marie Colombani et Jean-Claude Casanova reviennent sur la loi, elle-même et les questions qu’elle pose : quel est le rôle des mesures de surveillance de sûreté, en quoi la rétroactivité intervient-elle, comment elle peut-être une relégation masquée, en quelle manière, elle peut s’apparenter aux lettres de cachets, comment les exemples étrangers renseignent sur l’apport des soins et du suivi psychiatriques, avec l’appui de structures et de moyens adaptés, pourquoi avoir sollicité le président de la Cour de cassation, quand d’autres possibilités existent pour faire réviser des articles qui ont été annulés ? Ils reviendront également sur la proposition de la Commission Balladur de réformer le Conseil constitutionnel, notamment sur la question du mode de nomination et sur celle révolutionnaire de l’introduction de l’inconstitutionnalité. Enfin, l’attitude du président de la République pose la question de l’art et la manière de décider en démocratie, où il s’agit de ne pas perdre de vue la construction d’un consensus. »

Guy Carcassonne. Professeur à l’Université Paris X-Nanterre et chroniqueur au Point, invité de l’émission « la Rumeur du monde » sur France Culture, le 1er mars 2008.

Rétention de sûreté: une loi qui menace nos principes

Mercredi 27 février 2008

Quand se termine un match de football, certains joueurs déçus du résultat voudraient sans doute reprendre le ballon et retourner jouer dans l’espoir d’en modifier le résultat. Mais quand l’arbitre a donné le coup de sifflet final, tout le monde rentre dans les vestiaires, satisfait ou non, tout simplement parce que c’est l’arbitre qui a le dernier mot.

 

En politique c’est apparemment différent. Même quand l’arbitre a sifflé la fin du match, on peut repartir pour une nouvelle période, a condition bien sur de ne pas accorder trop d’importance aux règles…

 

Le Conseil constitutionnel vient de rendre sa décision à propos de la loi créant la « rétention de sûreté », c’est à dire le maintien en centre de sûreté pour les condamnés ayant purgé leur peine et considérés comme dangereux et potentiellement récidivistes.

 

Le raisonnement des neuf Sages

 

Le conseil constitutionnel a raisonné par étapes.

 

Il a d’abord avalisé le principe de cette rétention. Cette issue n’était pourtant pas certaine. En effet, la constitution prévoyant que « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit » et que « tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable » (articles 8 et 9 de la déclaration des droits de l’homme de 1789, intégrée à notre constitution), il semblait possible de conclure que l’enfermement d’un individu qui n’a commis aucun nouveau délit et dont il n’est pas certain qu’il récidive s’il est remis en liberté n’est pas conforme à ces principes constitutionnels. Le conseil s’en sort en décidant que la rétention n’est pas une « mesure répressive » ni « une peine » ni une « sanction ayant le caractère d’une punition ». Cela est un peu déroutant s’agissant d’un enferment, autorisé par une cour d’assises, décidé par des juges, et appliqué à des délinquants parce qu’ils sont considérés comme potentiellement récidivistes. Ceux qui seront enfermés des années seront toutefois réconfortés de savoir que ce n’est pas une peine qui leur est infligée.

 

Non-rétroactivité de la peine

 

Dans un deuxième temps, le conseil a refusé que le nouveau mécanisme s’applique directement à des personnes ayant commis des infractions avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Il a indiqué dans sa décision que la rétention,

« eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite, et au fait qu’elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l’objet d’une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ».

C’est, sans utiliser le mot, la réaffirmation du principe de « non rétroactivité » de la peine, appliquée ici à une mesure de sûreté maximale. Pour faire simple, si vous commettez une infraction, vous ne pouvez être condamné qu’aux sanctions applicables ce jour là. Si plus tard une peine plus sévère est décidée pour cette catégorie d’infraction, elle ne peut pas vous être appliquée rétroactivement. Le conseil, ayant affirmé que la rétention de sûreté n’est pas une peine, aurait peut-être pu conclure que le principe de non rétroactivité ne s’applique pas à elle. Mais, en motivant par la gravité de cette mesure de « sûreté », il lui a appliqué le principe fondamental applicable aux peines. En résumé, il est un principe nouveau dans notre droit fondamental: aucune mesure nouvelle, peine ou mesure de sûreté, ne peut être appliquée rétroactivement quand elle porte considérablement atteinte aux libertés individuelles.

 

L’accès à des soins adaptés

 

Enfin, constatant que la nouvelle loi rappelle le caractère impératif d’une prise en charge psychiatrique pour tout condamné qui en a besoin, pendant le temps d’exécution de cette peine, le conseil affirme que:

« il appartiendra dès lors à la juridiction régionale de la rétention de sûreté de vérifier que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de la peine, de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre ».

Ce point est très important. Il serait en effet injuste, et proprement ahurissant, qu’un individu soit condamné à rester enfermer non pas tant parce que sa dangerosité persiste mais parce que les soins susceptibles de modifier positivement sa personnalité ne lui ont pas été sérieusement proposés. Mais si à l’avenir, contrairement aux manques criants et dénoncés par tous les professionnels hier et aujourd’hui, des soins efficaces sont proposés et permettent de réduire le risque de récidive, le nouveau mécanisme restera-t-il utile pour plus d’une petite poignée d’individus véritablement irrécupérables?

 

En tous cas, il sera intéressant d’observer comment la juridiction chargée de décider d’une éventuelle rétention vérifiera la façon dont, pendant des années, tous les établissements pénitentiaires dans lesquels le condamné concerné aura purgé sa peine auront travaillé à l’amélioration de sa personnalité. Une salutaire plongée au coeur de l’administration pénitentiaire s’annonce…

 

Ceci étant dit, le débat ne s’arrête pas là! Ce qui retient notre attention aujourd’hui, c’est aussi et surtout la réaction du président de la république qui, mécontent que la loi ne s’applique pas à tous les condamnés tout de suite, ainsi qu’il le souhaitait, avient de proclamer qu’il allait écrire au président de la cour de cassation pour « faire des propositions afin que tous les criminels dangereux condamnés avant l’entrée en vigueur de la loi soient effectivement empêchés de récidiver » (Interview de Rachida Dati, Le Figaro du 22 février).

 

Une demande déplacée

 

Cette demande adressée au premier magistrat de France est surprenante à plusieurs titres.

 

Elle l’est d’abord parce qu’une loi vient d’être votée, que la volonté du gouvernement était dès le départ de l’appliquer immédiatement à toutes les personnes déjà condamnées et en cours d’exécution de peine, et que l’on peut penser (espérer ?) qu’il existe au ministère de la justice, à l’assemblée nationale et au sénat un bataillon de juristes de talent qui, déjà, ont pu réfléchir et donner leur avis sur la question de l’applicabilité immédiate d’une disposition pénale plus sévère et, plus largement, sur les mécanismes juridiques envisageables pour protéger la société des individus dangereux. La compétence était-elle absente à tous les stades de l’élaboration de la loi?

 

Elle l’est ensuite parce que le conseil constitutionnel a rappelé un principe fondamental de notre droit, celui de la non rétroactivité des dispositions pénales plus sévères, principe tellement essentiel qu’il apparaît comme intouchable dans tout système juridique démocratique. On sait que la rétention n’est pas une peine sinon elle serait inconstitutionnelle faute d’infraction préalable, on sait que c’est une mesure de sûreté contraignante et le conseil constitutionnel vient de dire définitivement que de ce fait elle ne peut pas s’appliquer rétroactivement. Alors de quoi peut-on encore débattre?

 

Deux autres questions

 

Mais l’essentiel est encore ailleurs. Et deux autres questions se posent.

 

Ce qui se passe peut inquiéter ceux qui sont attachés à une répartition équilibrée des pouvoirs dans une société réellement démocratique, une société ou l’émotion ne prend pas systématiquement le pas sur la réflexion, ou le bon plaisir du gouvernant ne permet pas de renverser les principes de droit les plus fondamentaux.

 

Enfin, il se passe avec la rétention de sûreté ce qui s’est déjà passé il y a peu avec les peines augmentées pour les récidivistes, et un peu avant encore avec l’aggravation des sanctions contre les mineurs. Se focaliser sur l’après infraction, c’est abandonner le terrain de l’avant infraction, s’est, consciemment ou non, reconnaître une incapacité collective à s’interroger sur le parcours des individus quand ils commencent à commettre des actes de délinquance, c’est refuser de traquer les défaillances du soutien, de l’accompagnement et de la solidarité. Se focaliser sur l’enfermement du condamné une fois sa peine purgée, c’est fermer les yeux sur les carences de notre système carcéral qui, d’innombrables professionnels l’ont déjà souligné, est d’une pauvreté insupportable et manque cruellement de personnel. Se focaliser sur le délinquant et le potentiellement dangereux, constitue une stratégie qui permet de ne plus s’interroger sur soi, sur les politiques mises en place, sur les dysfonctionnements d’une société, en faisant de l’individu qui dérape le seul responsable de tout.

 

Le débat sur la rétention de sûreté n’est pas qu’un débat de juriste. Aujourd’hui certains ont pris la pioche et s’en prennent au fondations de notre maison commune.

 

Ce qui se passe est bien plus grave qu’il n’y paraît.

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Robert Badinter aux Matins de France Culture

Mercredi 27 février 2008

« Justice au sommaire de l’émission ce matin avec l’ancien Garde des Sceaux Robert Badinter. Il est l’un des opposants les plus déterminés à la loi sur la rétention de sûreté. Cette loi permettra d’enfermer une personne non pour les faits qu’elle a commis, mais pour ceux qu’elle aurait pu commettre.
« Nous passons d’une justice de responsabilité à une justice de sûreté » déplorait récemment l’ancien Garde des Sceaux. Ce matin, il apporte son regard sur la confusion actuelle qui entoure la loi, de la décision du Conseil Constitutionnel à la démarche de Nicolas Sarkozy de faire appel au Premier président de la Cour de Cassation. »

Émission diffusée sur France culture le 27 février 2008.

Populisme constitutionnel

Mercredi 27 février 2008

Nicolas Sarkozy a eu raison de choisir comme terrain d’intervention publique le droit, la nouvelle loi sur la rétention de sûreté et les moyens de la mettre en œuvre après la décision du Conseil constitutionnel du 22 février. Il a eu raison de choisir ce domaine, parce qu’il relève par nature du domaine présidentiel. Les Français attendent de lui qu’il cesse d’être un candidat en campagne pour devenir un président en fonction. Qu’il cesse d’être ministre de tout pour devenir président de l’essentiel. Ils ne lui demandent pas des nouvelles de sa situation amoureuse, pas davantage de trancher le conflit des taxis, encore moins d’instaurer des obligations mémorielles à l’école primaire. Cette fois, donc, le Président ne s’est pas trompé de terrain. Mais il s’est trompé sur tout le reste, commettant trois erreurs et une faute.

 

 

Première erreur, la décision du Conseil constitutionnel aurait dû le combler. Le pouvoir en place ne pouvait guère espérer meilleur résultat. Il était en effet quasi inespéré que le juge constitutionnel accepte l’instauration de la possibilité d’un enfermement à vie après avoir purgé sa peine, sans avoir commis le moindre nouvel acte répréhensible, sans avoir fait preuve d’un comportement effectivement dangereux, pour soi ou pour autrui. Il l’a fait en estimant qu’un tel enfermement n’est «ni une peine, ni une sanction ayant le caractère d’une punition». A se demander ce qui serait une peine ou une sanction punitive. Et il était obligé de se livrer à cet audacieux déni de qualification, sans quoi la loi eût été contraire aux principes fondamentaux du droit pénal, consacrés dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : nul ne peut être puni s’il n’a commis un délit. Le chef de l’Etat aurait dû se réjouir d’un sophisme qui permettait à la loi par lui voulue d’entrer un jour, au moins partiellement, en vigueur.

 

Deuxième erreur, non content de s’offusquer de la décision du Conseil en son for intérieur, il fait part de son dépit. Et non content de s’en tenir là, il cherche le moyen de ne pas la respecter, et d’imposer quand même une application immédiate pleinement rétroactive, bien que le Conseil constitutionnel l’ait déclarée contraire à la Constitution. En mettant ainsi en cause une décision du juge constitutionnel suprême dans les vingt-quatre heures qui suivent son prononcé, le chef de l’Etat oublie (pour employer un euphémisme) l’article 62 de la Constitution, selon lequel «les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles». Il oublie également (autre litote) l’article 5 de notre loi fondamentale, qui dispose que «le président de la République veille au respect de la Constitution».

 

Troisième erreur, au lieu de demander discrètement au ministre de la Justice de rechercher d’autres solutions pour les criminels déjà condamnés, le chef de l’Etat s’adresse publiquement au premier président de la Cour de cassation. Ce faisant, il risque d’instituer ce dernier en juge constitutionnel supérieur du Conseil constitutionnel. En toute hypothèse, il oublie (pour poursuivre dans la modération) la suite de l’article 5, disposant qu’«il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics».

 

Ces trois erreurs relèvent donc d’une absence de lecture de la Constitution, ou, à tout le moins, d’une lecture des plus contestables de cette dernière. Elles sont donc fort regrettables de la part de la plus haute autorité politique de l’Etat, qui devrait la respecter et en inspirer le respect. Le plus probable reste cependant qu’elles demeurent sans suite grave du point de vue de l’Etat de droit. Si bienveillant soit-il à l’égard de son requérant, on imaginait mal le premier président de la Cour de cassation proposer d’ignorer ou de violer la décision du Conseil constitutionnel. Il s’y est d’ailleurs refusé.

 

Où l’on en vient à la faute, lourde de tous les dangers. Elle réside dans les justifications apportées par le président de la République lui-même à sa démarche sans précédent. A savoir, le refus de laisser en liberté «des monstres», parce que «le devoir de précaution s’applique pour la nature. Il doit s’appliquer pour les victimes». Voici les grands mots lâchés, qui ne peuvent que susciter l’adhésion immédiate dans notre vidéocratie compassionnelle. «Monstres», «victimes», «précaution». Qui peut souhaiter de nouvelles monstruosités ? Qui peut accepter de nouvelles victimes ? Qui peut leur refuser toute précaution ?

 

Sauf que ce raisonnement correspond exactement à celui qui fut tenu des siècles durant pour justifier les pires supplices en place publique. Celui qui fut tenu, et l’est encore en certains pays, pour justifier le maintien de la peine de mort. Celui qui fut tenu, et l’est encore par certains gouvernements, pour justifier la torture à l’encontre de terroristes ou supposés tels. Placer un devoir de précaution au-dessus des principes constitutionnels, et le souci des victimes au-dessus de la non-rétroactivité de la loi pénale plus dure, c’est rompre avec plus de deux siècles de droit pénal civilisé. Voilà pourquoi il paraît légitime, par-delà toute préférence politique, d’y voir une triste combinaison entre le populisme pénal qui a dicté l’adoption d’une telle loi et le populisme constitutionnel qui veut l’appliquer par-delà les principes supérieurs de notre droit.

Olivier Duhamel professeur agrégé de droit public à Sciences-Po.

Tribune parue sur Liberation.fr le 27 février 2008. 

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