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Rachida Dati veut développer « la prison hors les murs »

Lundi 28 juillet 2008

Le projet de loi pénitentiaire a été soumis au conseil des ministres, lundi 28 juillet. Il sera débattu à l’automne. Très attendu, dans un contexte de surpopulation carcérale, il est critiqué pour ses insuffisances par les associations d’aide aux détenus et les syndicats de surveillants de prison, à l’exception de FO, pour son manque d’ambition. La ministre de la justice, Rachida Dati, défend son texte et répond à la gauche, qui avait renoncé à présenter un tel projet avant l’élection présidentielle de 2002.

Quels sont les principaux objectifs du projet de loi pénitentiaire ?

Nous proposons une nouvelle conception de la prison : une prison moderne, digne, et une nouvelle vision de la privation de liberté avec la prison « hors les murs ». Le fait de condamner, de sanctionner, de priver de liberté peut prendre d’autres formes que l’emprisonnement.

Aujourd’hui, l’objectif est de lutter contre la récidive par la réinsertion de la personne condamnée. Cela passe par le développement des aménagements de peines, grâce à la surveillance électronique et l’assignation à résidence des personnes en attente de jugement, mais également par la construction de prisons plus dignes. C’est aussi une loi qui concerne à la fois les personnels et les détenus. L’amélioration des conditions de vie des détenus permettra d’améliorer les conditions de travail de l’ensemble des personnels.

Comment cette loi va-t-elle lutter contre la surpopulation des prisons, alors que le nombre de détenus a atteint un nouveau record avec 64 250 personnes pour 50 806 places ?

La surpopulation est une réalité. Il ne faut pas prendre le problème à l’envers : nous devons d’abord assurer la sécurité des Français en condamnant les délinquants. Il y a une vertu à la fermeté : la certitude de l’exécution des condamnations est dissuasive. Le problème de la surpopulation a été mal anticipé.

Le premier programme d’ampleur a été entrepris par Albin Chalandon en 1987 avec la construction de 13 000 places. Entre 1997 et 2002, alors même que la délinquance augmentait, le nombre de places de prison a diminué de 4 %. En 2002, les constructions ont été relancées.

Un programme sans précédent de 13 200 nouvelles places est engagé, c’est-à-dire 63 000 places disponibles en 2012. Nous avons un objectif : qu’il n’y ait plus de surpopulation carcérale en 2012. Cet objectif sera atteint, d’une part, par la réalisation du programme de construction, et, d’autre part, par le développement des aménagements de peines tels que le placement sous surveillance électronique, la libération conditionnelle, la semi-liberté ou le placement extérieur.

Je rappelle qu’entre 2002 et 2007 il y avait en moyenne 2000 peines aménagées par an, avec des grâces collectives annuelles, une loi d’amnistie et des réductions de peines automatiques. Depuis 2007, la population pénale a certes augmenté, mais au 1er juillet 2008, nous avons plus de 6000 peines aménagées, et cela en l’absence de grâce collective et de loi d’amnistie, et avec la disparition du caractère automatique des réductions de peine.

Notre politique est de lutter contre la récidive en réinsérant les personnes détenues, et non pas de réguler la population carcérale par des sorties « sèches ». La loi pénitentiaire créera des nouveaux outils qui permettront d’améliorer la réinsertion des détenus de manière durable.

Il faut des moyens financiers et humains pour assurer la surveillance des 14 6000 personnes placées sous main de justice en dehors de la prison (contrôle judiciaire, sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt général, libération conditionnelle). Comment seront-ils assurés ?

La modernisation du système pénitentiaire sera intégralement financée. Les personnels, les constructions, les 12 000 bracelets électroniques. Déjà, le nombre de conseillers d’insertion et de probation (CIP) a doublé en cinq ans.

La loi pénitentiaire, qui donne de nouveaux droits aux détenus, permettra d’améliorer leur travail. Par exemple, le fait d’élire domicile pour le détenu dans son établissement pénitentiaire lui permettra d’effectuer directement des démarches administratives actuellement réalisées par les conseillers.

Il y a eu de nombreuses réactions de déception après la présentation de l’avant-projet de loi, notamment en ce qui concerne les droits accordés aux détenus, jugés insuffisants… Sur l’exercice des droits des détenus, nous partons de très loin. Cette loi consacre et organise l’exercice de nombreux droits pour les personnes détenues : élection de domicile au lieu de détention, accès aux prestations sociales, accès au téléphone, exercice du droit de vote, bénéfice d’une formation professionnelle. Une personne privée de liberté n’est pas privée de ses droits fondamentaux.

Cela n’avait jamais été fait auparavant, y compris par ceux qui nous critiquent aujourd’hui. C’est notre majorité qui a institué un contrôleur général des lieux privatifs de liberté. C’est le président de la République qui a nommé à cette fonction Jean-Marie Delarue, personnalité indépendante unanimement saluée.

L’idée d’un revenu minimum pour les prisonniers n’a pas été retenue, alors que vous sembliez y être favorable. Pourquoi ?

Nous sommes favorables à une aide ponctuelle, financière ou en nature, notamment pour les détenus les plus démunis, mais nous ne souhaitons pas l’instauration d’une mesure d’assistance généralisée. Je préfère donner la priorité à la réinsertion par le travail ou la formation professionnelle. Le travail est aussi un facteur de dignité.

Propos recueillis par Alain Salles, entretien paru sur LeMonde.fr le 28 juillet 2008.

Lucien Léger, ex-plus ancien détenu de France, est mort

Mardi 22 juillet 2008

Il avait passé quarante et un ans en prison pour l’enlèvement et le meurtre d’un garçon de 11 ans en 1964. En liberté conditionnelle depuis 2005, Lucien Léger, 71 ans, a été retrouvé mort, vendredi 18 juillet, à son domicile de Laon, dans l’Aisne.

« Nous avons été avisés par les pompiers, eux-mêmes prévenus par des voisins, alertés par des odeurs suspectes provenant de son appartement », a-t-on précisé au commissariat de Laon, précisant qu’on « s’[orientait] plus vers une mort naturelle ». Selon les premiers éléments de l’enquête, Lucien Léger serait mort « depuis une quinzaine de jours ».

Longtemps resté dans les annales pour l’affaire dite « de l’étrangleur », Lucien Léger est, au fil des années et de ses treize demandes de libération conditionnelle sans réponse, devenu « le plus vieux prisonnier de France », figure du débat autour des longues peines d’enfermement.

Dépèche AFP parue le 18 juillet 2008


Lucien Léger n’eut longtemps qu’un seul visage. Celui d’un petit homme brun à l’oeil sombre, arrêté en 1964 pour le meurtre d’un enfant, et qui avait fait trembler la France quarante jours durant en inondant journalistes et policiers de messages signés « l’Etrangleur ».

Quarante et un ans plus tard, lorsqu’il sort de prison, les cheveux blanchis mais le regard toujours aussi intense, il est devenu le symbole du combat contre les longues peines. C’est à Laon (Aisne), au domicile où il vivait en liberté conditionnelle, qu’il a été retrouvé mort, vendredi 18 juillet. Vraisemblablement depuis plusieurs jours et de « cause naturelle », selon les premiers éléments de l’enquête.

Né le 30 mars 1937 dans une modeste famille ardennaise, Lucien Léger entre dans les annales judiciaires au printemps 1964. Le 27 mai, un enfant de 11 ans, Luc Taron, a été étranglé près de Paris. Bientôt, celui qui, selon les enquêteurs, ne peut être que le coupable envoie des lettres aux parents, à la police, à la presse : il annonce d’autres crimes, se décrit comme « la graine qui pousse dans le printemps des monstres » et signe « l’Etrangleur », 58 fois.

La psychose est déjà bien installée lorsqu’apparaît un témoin étrange : Lucien Léger, infirmier à Villejuif (Val-de-Marne), qui prétend que l’assassin lui a volé sa voiture. L’histoire, qu’il raconte volontiers devant les photographes, intrigue les enquêteurs. Ils perquisitionnent chez lui, l’interrogent. Au bout de quelques heures, Léger avoue qu’il a rencontré l’enfant dans le métro, à Paris, et qu’il l’a emmené en voiture dans le bois de Verrières, puis étranglé, sans expliquer son geste.

Mais quand son procès s’ouvre, en mai 1966, à Versailles, Lucien Léger a encore une autre histoire à raconter aux juges et aux jurés, au public qui se dispute les places de la salle d’audience, aux meilleurs chroniqueurs judiciaires : il a écrit les messages de « l’Etrangleur », certes, mais c’est un mystérieux « Monsieur Henri » qui a tué l’enfant. Malgré les exhortations du président de la cour d’assises, André Braunschweig, et de Me Albert Naud, son avocat, qui tentent de lui éviter la peine de mort, l’accusé refuse de donner plus de détails.

Le jury ne croit pas à son scénario, mais écoute les experts, qui expliquent son comportement par « une crise de vedettisme » et concluent à une certaine « atténuation de sa responsabilité ». Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, Léger ménage un dernier coup de théâtre en donnant l’adresse du fameux Henri. Après une ultime et vaine vérification, la porte de la prison se referme sur lui, pour longtemps.

En 1979, il dépose la première des treize demandes de libération conditionnelle qui lui seront toutes refusées. Est-ce la crainte de réveiller la psychose de « l’Etrangleur » ou la haine d’Yves Taron, qui avait promis de tuer le meurtrier de son fils s’il était libéré ? Ce n’est qu’en 2005, à sa quatorzième requête, que Lucien Léger, devenu le plus ancien détenu de France, retrouve la liberté.

Il a étudié le droit en prison, et son propre dossier, sans relâche. Depuis sa libération, il continuait à militer contre les longues peines auprès de ceux, nombreux, qui l’avaient soutenu. En avril, il était encore devant la Cour européenne des droits de l’homme, afin d’obtenir, en appel, une condamnation de la France pour « traitement inhumain et dégradant et détention arbitraire ». Il promettait aussi de nouvelles révélations sur son affaire. Il était redevenu brun.

Article d’Isabelle Talès paru dans Le Monde le 19 juillet 2008.

Un bien triste record

Vendredi 18 juillet 2008

Avec un nombre de personnes détenues écrouées jamais atteint auparavant, l’été en prison promet d’être difficile. Au 1er juin 2008, il y avait en effet 63 838 personnes incarcérées, du jamais vu, pour 50 807 places opérationnelles (source : statistique mensuelle de la population détenue écrouée, ministère de la Justice).
Pourtant, il y a maintenant environ 18 mois, Nicolas Sarkozy, dans son programme de campagne, déclarait, au point 2, intitulé « une démocratie irréprochable » : « je veux également réformer en profondeur nos prisons pour qu’elles soient un lieu de préparation à la réinsertion, pas un lieu d’aggravation de la relégation » Quid de ces intentions ?

 

 Entre le vote de la loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, le 18 octobre 2007, et la nomination à ce poste de Jean-Marie Delarue, le 11 juin 2008, 8 mois se sont écoulés… Un tel délai n’est pas le signe d’une volonté politique forte.
La loi pénitentiaire, initialement promise pour l’automne 2007 a été repoussée à maintes reprises et serait peut-être votée à l’automne 2008. Curieusement, l’échéance de l’automne 2007 a pourtant été prétexte à précipiter les travaux du comité d’orientation restreint (COR). Le COR aurait-il été ainsi manipulé ? Le projet, transmis courant juin, pour avis, au conseil constitutionnel est décevant. L’assignation à résidence, en tant qu’alternative au placement en détention provisoire, risque de rester un vœu pieux, faute de moyens. Des mesures de ce type existent déjà et sont pourtant trop peu utilisées. Les alternatives à l’incarcération qui seraient désormais possibles pour des peines de 2 ans maximum pourraient rester lettre morte si aucun moyen n’est alloué.
Vider les prisons d’un côté, ou en tout cas tenter de le faire, mais les remplir de l’autre par le biais de lois répressives, comme la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, instituant les peines planchers, n’est-il pas contradictoire ? Le projet de loi prévoit en outre un report à 2013 de l’application du principe de l’encellulement individuel. La loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière avait déjà reporté au 12 juin 2008 l’application de ce principe. Respecter la loi est simple, s’il suffit de la modifier !
Le décret du 10 juin 2008 relatif à l’encellulement individuel, soit 2 jours à peine avant l’échéance où il y aurait eu transgression de la loi, est une supercherie. Toute personne peut éventuellement prétendre à être seule en cellule à condition, pour commencer, d’en faire la demande. L’administration pénitentiaire a 2 mois pour faire une proposition d’incarcération dans un établissement où des places sont disponibles, sans qu’aucune précision ne soit apportée sur la distance éventuelle avec les proches ayant un permis de visite. Si la personne accepte la proposition faite, il faut encore que le magistrat saisi du dossier de l’information donne son accord, ce qu’il n’est pas obligé de faire s’il souhaite que la personne reste à proximité pour faciliter la tenue des auditions.
Le seul mérite de ce décret est d’autoriser désormais les visites lorsque les personnes sont placées au quartier disciplinaire. S’agirait-il d’une sorte de contrepartie ?

 

 Avec ce triste record de 63 838 personnes incarcérées, un taux de surpopulation jamais atteint non plus, la suppression depuis 2 étés des grâces présidentielles du 14 juillet, des lois de plus en plus répressives, un projet de loi pénitentiaire visiblement réduit au strict minimum, un décret relatif à l’encellulement individuel qui fait reculer la valeur même du principe, cet été en prison a de quoi préoccuper, en dépit des déclarations du président de la République alors qu’il était candidat. Les personnes incarcérées aujourd’hui sortiront demain et il est nécessaire qu’elles puissent se réintégrer progressivement dans de bonnes conditions, c’est-à-dire en ayant fait du temps passé en prison un temps potentiellement utile. En outre, on ne répétera jamais assez que, quel soit l’acte commis, il y a un respect inconditionnel dû à la personne. L’encellulement à plusieurs, lorsqu’il n’est pas souhaité, bafoue par définition ce principe.

 

Communiqué de la rédaction de Ban Public, Juillet 2008.

Sans doute pas de grâces collectives cette année

Jeudi 3 juillet 2008

L’article 133-7 du code pénal précise que la grâce, individuelle ou collective, permet de dispenser de l’exécution d’une peine. Jusqu’en 2006, à l’approche du 14 juillet, un décret de grâce collective était habituellement pris, permettant de désengorger les prisons au début de l’été. En 2007, le 8 juillet, le président de la République a annoncé qu’il n’y aurait pas de grâce collective. L’argument principal alors présenté était que « le droit de grâce » ne peut servir « à gérer les prisons ». Il y a donc fort à parier qu’il n’y aura pas non plus de grâce en 2008, sinon à être en contradiction avec les déclarations précédentes. Mais le problème des prisons a-t-il pour autant été géré depuis l’année dernière ?

 

 Le nombre de personnes écrouées détenues était de 63 838 au 1er juin 2008, soit 23,6 % d’augmentation sur 1 an du nombre de personnes incarcérées en surnombre. Les principales décisions prises dans les domaines pénal et pénitentiaire, durant l’année écoulée, sont les suivantes : la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs qui instaure des peines minimales obligatoires en cas de récidive et la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Par la loi du 30 octobre 2007 un contrôleur général des lieux de privation de liberté a été nommé. Cependant, le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la 5e république prévoit un défenseur des droits des citoyens à qui pourrait s’adresser « toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public ». Dans ces conditions, que deviendra le contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Les lois récemment votées conduisent à enfermer plus, sans forcément faire du temps d’incarcération un temps potentiellement utile et sans renforcer le contrôle extérieur, pourtant indispensable à tout lieu d’enfermement. Est-ce cela « gérer le problème des prisons » ? Certes, les travaux sur la loi pénitentiaire ont débuté, mais l’échéance du débat parlementaire a sans cesse été repoussée.

 

 Le niveau actuel de surpopulation carcérale est alarmant, en particulier en cette période de l’année singulièrement explosive avec les effets conjugués de la chaleur, de la promiscuité et de l’oisiveté accrue. La surpopulation entraîne forcément une mauvaise préparation à la sortie, puisque l’accès aux activités (travail et formation) est de fait restreint. Par ailleurs, les rendez-vous au parloir sont difficiles à obtenir ; ils sont pourtant essentiels au maintien des liens familiaux et sociaux. Une sortie mal préparée fait le lit de la récidive. Ne pas tout mettre en œuvre pour faire du temps passé en prison un temps utile pour préparer le retour dans la société, pour limiter des risques de récidive, n’est pas une politique respectueuse des victimes pourtant sans cesse instrumentalisées dans le discours.

 

Communiqué de la rédaction de Ban Public, Juillet 2008.

Les services de renseignement pourront ficher les mineurs de plus de 13 ans

Mercredi 2 juillet 2008

Avec la création de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), fusion de la DST (direction de la surveillance du territoire) et des renseignements généraux (RG), mardi 1er juillet, est également apparu un nouveau fichier policier, créé spécialement pour l’occasion. Baptisé Edvige – pour exploitation documentaire et valorisation de l’information générale –, il contiendra toutes les informations récoltées dans le cadre du renseignement dit en « milieu ouvert » et, fait nouveau, il autorisera le fichage des mineurs dès l’âge de 13 ans s’ils sont considérés comme étant « susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ».

Les données des RG ne concernaient jusqu’à alors que les personnes majeures, les mineurs ne pouvant être répertoriés que dans des bases de données recensant des infractions (le fichier STIC de la police), des auteurs d’infractions (le fichier Fijais en matière sexuelle) ou des empreintes.

« MUTATIONS DE LA DÉLINQUANCE JUVÉNILE »

 

Le décret officialisant la création d’Edvige précise que les « données à caractère personnel » concernant « des personnes physiques âgées de 13 ans et plus » seront collectées sur des « individus, groupes, organisations et personnes morales (…) susceptibles de porter atteinte à l’ordre public », ainsi que sur des personnes « ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique », ou jouant un « rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif ». Les données peuvent concerner l’état civil, l’adresse, les numéros de téléphone et adresses électroniques, voire les « signes physiques particuliers et objectifs » et « le comportement ». Elles pourront être conservées pour une durée maximale de cinq ans dans le cadre d’une enquête administrative.

 

Le fait de permettre le fichage de mineurs a valu au gouvernement un avis de réserve de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui demande notamment « l’adoption de garanties renforcées » et un encadrement afin que cette pratique conserve « un caractère exceptionnel et une durée de conservation spécifique ». Selon la Commission, le ministère de l’intérieur a justifié la création de ce fichier pour faire face « aux mutations affectant la délinquance juvénile ».

 

Selon le décret, les données contenues dans le fichier Edvige, placées sous contrôle de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), ainsi que la toute nouvelle sous-direction de l’information générale (SDIG), ne pourront faire l’objet « d’aucune interconnexion, aucun rapprochement ni aucune forme de mise en relation avec d’autres traitements ou fichiers », et notamment avec la future banque de données qui apparaîtra après le rapprochement entre police et gendarmerie, en janvier 2009.

 

Article paru sur LeMonde.fr le 1er juillet 2008.

Faire passer les prisons pour des écoles

Vendredi 27 juin 2008

Parmi les sept établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), prévus par la loi Perben I de septembre 2002, cinq ont été ouverts à grand renfort d’une communication gouvernementale démagogique. Ainsi, le précédent garde des Sceaux se plaisait à proclamer que l’objectif des EPM serait «de faire tourner la détention autour de la salle de classe». Non ! L’objectif des EPM est bien d’augmenter l’incarcération et invoquer la salle de classe est une façon de minimiser le poids des murs, du système disciplinaire, de l’isolement et le but punitif de la prison.

 

 

Plus récemment, malgré le suicide d’un adolescent à l’EPM de Meyzieu le 2 février, Rachida Dati l’actuelle garde des Sceaux en rajoutait dans la banalisation. Elle affirmait «il faut pérenniser ce type de structures, elles ont fait leurs preuves». La ministre, obnubilée par la promotion de ces nouvelles prisons, en tire avant l’heure un bilan positif. Le suicide d’un adolescent n’est qu’un accident regrettable lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre une politique de répression toujours plus forte à l’égard des mineurs délinquants. Dans le droit fil des propos du président de la République qui déclarait, pendant la campagne électorale, qu’un adolescent très grand et violent ne pouvait être considéré comme un mineur, sa ministre de la Justice annonce pour 2008 une refondation de l’ordonnance de 1945. Au prétexte d’un changement de nature de la délinquance des mineurs, elle propose d’appliquer aux plus âgés le droit pénal des majeurs, et d’infliger des peines à des enfants de plus en plus jeunes. Trahissant l’esprit de l’ordonnance de 1945, le gouvernement fait le choix de répondre aux actes délictueux par la seule logique de l’enfermement, écartant la nécessaire recherche des causes de ces passages à l’acte qui seule pourrait en éviter la réitération.

 

La création de nouvelles prisons encourage l’incarcération, allant jusqu’à lui conférer des vertus de réinsertion. Depuis l’ouverture du premier EPM début 2007, de nombreux incidents violents se sont multipliés dans ces établissements entraînant des opérations de maintien de l’ordre, des mesures d’isolement pour les jeunes et des consignes de silence en direction des personnels. Ce climat de violence est accentué par la prégnance des activités intensives et obligatoires. Les mouvements de rébellion qui éclatent dans les EPM, focalisent les personnels sur les moyens disciplinaires pour soumettre les mineurs. Alors, la souffrance des adolescents, renforcée par l’enfermement, ne peut être entendue.

 

Les adolescents qui commettent des délits ont vécu des difficultés profondes et anciennes, des situations de violence et de prise de risque. L’incarcération, qui est une rupture supplémentaire, renforce les risques de passages à l’acte violent contre les autres ou contre eux-mêmes. Ceux qui parlent d’éducation par la prison font semblant d’oublier qu’elle renforce toujours l’exclusion et favorise la récidive. Pour des jeunes en situation d’exclusion sociale, le risque existe pour beaucoup d’entre eux de se construire une identité de délinquant et de se réfugier dans un statut de «taulard». Fernand Déligny disait : «Etre un vaurien vaut mieux que n’être rien.»

 

L’ordonnance de 1945, posait le principe du caractère exceptionnel de l’incarcération. C’est à partir du constat des effets pathogènes des lieux d’enfermement que les centres d’observation pour mineurs dans les prisons ont été fermés dans les années 70. Déjà, à l’époque de la création de ces centres, ils avaient été présentés comme innovants en raison de la présence d’éducateurs de la PJJ. Que ce soit au nom d’une observation des mineurs comme hier, d’une amélioration des conditions de détention comme aujourd’hui les «prisons modernes» ont toujours conduit à une augmentation de l’incarcération. Les quatre premiers EPM sont aujourd’hui complets, dans certaines régions les quartiers mineurs des prisons restants sont saturés.

 

Ainsi, le gouvernement privilégie l’incarcération des adolescents en créant les EPM au détriment des structures éducatives. Un seul de ces EPM de soixante places équivaudrait à six foyers éducatifs de dix places et huit services d’insertion professionnels pour 250 mineurs ainsi que dix services de milieu ouvert soit 1 500 jeunes suivis. Ce sont là des modalités de prise en charge éducative qui ont fait la preuve de leur efficacité. C’est aussi ce que préconise la Convention internationale des droits de l’enfant qui impose la recherche de solutions éducatives pour les jeunes délinquants. Il existe en France un à deux millions d’enfants pauvres, la précarité et l’exclusion s’aggravent. Ce sont là des facteurs qui détruisent le lien social, accentuent l’isolement et le repli des familles, multipliant ainsi les risques de passage à l’acte au moment si tourmenté de l’adolescence. Au lieu de renforcer l’accompagnement éducatif et social qui peut limiter les répercussions négatives de la précarité sur la construction psychique des adolescents, le choix est fait d’ajouter l’exclusion de l’incarcération à l’exclusion sociale.

 

Nous soutenons que les moyens pour l’accompagnement éducatif doivent primer sur les dispositifs d’enfermement. Nous dénonçons une politique qui réduit les jeunes délinquants à leurs seuls passages à l’acte, les enfermant ainsi dans une identité de délinquant. Nous dénonçons une politique qui, en s’appuyant sur le déterminisme social et comportemental, décrète l’inéducabilité de certains adolescents et ce faisant nie leurs possibilités de reconstruction et de perspectives d’avenir. Nous nous opposons à une réforme de l’ordonnance de 1945 qui mettrait fin à la spécificité de la justice des mineurs et à la primauté de l’éducation sur la répression à l’égard des jeunes auteurs de délits. Nous réaffirmons que les établissements pénitentiaires pour mineurs ne sont pas des structures éducatives, ce sont des prisons destinées à faciliter le recours à l’incarcération ; parce que nous avons une autre ambition pour la jeunesse nous appelons à leur fermeture et au redéploiement des budgets au bénéfice des structures réellement éducatives.

Maria INES (co-secrétaire nationale du SNPES-PJJ/FSU), Jean-Pierre DUBOIS (président de la Ligue des droits de l’homme) et Hélène FRANCO (secrétaire générale du Syndicat de la magistrature).

Rebonds paru sur Libération.fr le 28 juin 2008.

Le projet de loi pénitentiaire

Lundi 23 juin 2008

 

La loi pénitentiaire, initialement promise pour l’automne 2007, a été repoussée à maintes reprises et serait peut-être votée à l’automne 2008. Curieusement, l’échéance de l’automne 2007 a pourtant été prétexte à précipiter les travaux du comité d’orientation restreint (COR). Le COR aurait-il été ainsi manipulé ?

 

Dans l’exposé des motifs du projet, il est affirmé que « la personne détenue conserve l’intégralité de ses droits fondamentaux, sous réserve des restrictions que commandent les impératifs de sécurité des personnes et des établissements pénitentiaires ». Autrement dit, d’emblée, il est question de restriction des droits fondamentaux.

 

Le projet s’organise autour de 5 chapitres : clarifier les missions du service public pénitentiaire, régir la condition juridique de la personne détenue, améliorer la condition des personnels, renforcer la sécurité juridique en élevant au niveau législatif les principes fondamentaux relatifs aux régimes de détention et prévenir la récidive des personnes placées sous main de Justice.

 

Les missions du service public pénitentiaire sont rappelées. Quelques modifications sont proposées dans le fonctionnement de certains modes de contrôle ou d’intervention extérieure. Les commissions de surveillance seraient supprimées et remplacées, d’une part, au niveau de chaque établissement, par le conseil d’évaluation, censé être plus efficace, et, d’autre part, au niveau départemental, par une commission de suivi des politiques pénitentiaires. La convention signée le 25 janvier 2007 entre le Médiateur de la république et l’administration pénitentiaire, ayant pour objectif la tenue de permanences de délégués du médiateur, dans tous les établissements, serait renforcée par la voie législative.

 

Le chapitre consacré aux conditions juridiques de la personne détenue est l’occasion d’affirmer que les personnes conservent leurs droits aux prestations sociales, ce qui passe notamment par la possibilité d’être domicilié à l’adresse de l’établissement pénitentiaire. Cette domiciliation est censée favoriser l’inscription sur les listes électorales de la commune où se trouve la prison. Autrement dit, rien de très nouveau : les personnes ne pourront pas plus qu’actuellement voter de façon directe, sauf à bénéficier des dispositions du décret du 16 novembre 2007, permettant de solliciter une permission de sortir à la seule fin d’exercer son droit de vote.

 

Concernant le travail, il est écrit : « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail », ce qui est déjà inscrit dans l’article 717-3 du code de procédure pénal (CPP). Un « acte d’engagement professionnel » tiendra lieu de pseudo contrat, mais « il n’autorise pas à se prévaloir des dispositions du code du travail, à l’exception des mesures d’hygiène et de sécurité ». Alors même qu’il est clairement dit que la personne détenue conserve l’intégralité de ses droits fondamentaux, elle est traitée, du point de vue de ses relations de travail, selon un régime totalement différent de ce qui se pratique à l’extérieur.

 

Les propositions en matière de droit au maintien des liens familiaux ne présentent pas davantage d’avancées notoires. Il est rappelé que les parloirs ont lieu sous surveillance et qu’il est possible d’accéder à une unité de visite familiale (UVF) pour les personnes qui ne sont pas éligibles à une permission de sortir. Mais, à ce jour, seulement 7 établissements sur 192 sont dotés d’UVF…

 

L’accès au téléphone serait certes étendu aux personnes en détention provisoire, mais selon des modalités qui seront définies ultérieurement par décret en conseil d’Etat. La personne incarcérée a désormais le droit à sa propre image, sur la base d’un consentement éclairé, avec toutefois d’importantes restrictions. L’administration pénitentiaire peut en effet s’opposer à la diffusion de l’image en question.

 

 

Il est à noter qu’aucune modification n’est apportée quant à la durée maximale du placement au quartier disciplinaire.

 

Le personnel pénitentiaire serait désormais guidé dans sa pratique quotidienne par un code de déontologie, comportant notamment l’obligation du respect des droits fondamentaux de la personne. Un agent devrait signaler tout manquement à ces règles. L’agent pourra-t-il signaler le non respect par l’administration de la dignité et de l’intimité de la personne faute de pouvoir placer celle-ci en cellule individuelle ? La loi devrait en outre porter création d’une réserve civile volontaire pénitentiaire.

 

Le principe de l’encellulement individuel n’est plus posé nettement, puisque l’article 716 du CPP serait ainsi rédigé : »les personnes mises en examen, prévenus et accusés sont placés au régime de l’emprisonnement de jour et de nuit, soit en cellule individuelle, soit en cellule collective [...]. Les personnes mises en examen, prévenus ou accusés qui en font la demande sont placés en cellule individuelle ».

 

Il est proposé un certain nombre de dispositions pour favoriser le recours aux alternatives à la détention provisoire et aux aménagements des peines privatives de liberté. L’assignation à résidence avec surveillance électronique serait possible lorsque la personne encourt une peine d’emprisonnement d’au moins 2 ans. Des mesures de ce type existent déjà (le contrôle judiciaire sous le régime du placement sous surveillance électronique fixe, instauré par la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice) mais sont sous utilisées, faute de moyens. Les alternatives à l’incarcération et les aménagements de peine prononcés au moment du jugement seraient possibles pour des peines allant jusqu’à 2 ans, au lieu d’1 an actuellement. Si cette disposition n’est pas elle aussi accompagnée de moyens, elle risque de rester lettre morte.

 

Ban Public estime très insuffisantes les avancées proposées dans le cadre du projet de loi pénitentiaire. En outre, le texte est un véritable recul sur certains points, comme le droit à l’encellulement individuel. Il ne peut y avoir deux types de normes, selon que les personnes sont des citoyens incarcérés ou des citoyens libres. Les citoyens de la « société libre » eux-mêmes subissent des limitations à leur liberté, des « ingérences » selon la terminologie de la Convention européenne des droits de l’homme, fondées sur les nécessités de l’ordre public. Ces ingérences doivent être identiques pour les personnes incarcérées et pour les personnes libres. Le droit commun doit être appliqué dans toutes ses déclinaisons (droit du travail, droit de la famille par exemple), à tous.

 

Communiqué de la rédaction de Ban Public de Juin 2007.

 

 

17 nouvelles UVF pour 2012.

Lundi 23 juin 2008

Petit progrès sur fond d’état déplorable des prisons françaises, les Unités de visites familiales (UVF), créées en septembre 2003, existent aujourd’hui dans sept centres de détention (Poissy, Saint-Martin-de-Ré, Rennes, Liancourt, Meaux, Avignon-Le Pontet et Toulon-La Farlède). Le projet de loi pénitentiaire que la ministre de la Justice, Rachida Dati, doit présenter très bientôt en Conseil des ministres pose le principe du «droit au maintien des liens familiaux» et de l’accès aux UVF «dans les établissements qui en sont dotés» pour les «condamnés à plus de deux ans» . Parmi les 19 nouveaux établissements pénitentiaires pour adultes qui doivent ouvrir d’ici 2012, 17 seront dotés de ces UVF.

L’évasion en cellule familiale

La prison d’Avignon abrite l’une des sept Unités de visites familiales de France. Dans ces appartements aménagés dans la prison, un détenu peut retrouver ses proches pour quelques heures, ou quelques jours.

Ils ne se quittent pas des yeux, ne se lâchent pas les mains. On dirait qu’ils ne voient rien d’autre, ni les papillons colorés sur les murs, ni les barreaux aux fenêtres. Ni la jolie terrasse au soleil, ni le grillage qui l’enserre. Une télévision allumée bavarde seule dans un coin. «C’est pour faire un peu maison» , sourit Alice.

 

Michel et Alice (1) sont «ensemble», comme ils disent, depuis treize ans. Dont dix de prison pour Michel. Ce matin d’avril, ils se retrouvent pour leur deuxième rencontre en Unité de visites familiales (UVF) au centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet, où est incarcéré Michel.

 

Il est 10 heures du matin. Ils ont six heures devant eux. La prochaine fois, ce sera vingt-quatre, puis quarante-huit ou soixante-douze heures, s’ils en font la demande. Entre cette bulle d’intimité dans un appartement coquet et les habituels parloirs de trois quarts d’heure bruyants et étroitement surveillés auxquels ils ont eu droit jusque-là, c’est «le jour et la nuit», résume Alice.

 

Elle est belle, mince, blonde et hâlée, paraît dix ans de moins que son âge (54 ans). Il a 60 ans, la carrure et le visage d’un bel homme, le teint gris et le regard voilé de ceux qui vivent enfermés.

 

Alice a dormi cette nuit dans le bus qui l’amène d’Espagne, mais cela ne se voit pas. Elle s’est «pomponnée», rit-elle, en noir et blanc chic, maquillage soigné, boucles d’oreilles dorées. Lui aussi visiblement, qui confie que «l’UVF, on se le fait cent fois dans sa tête avant, cent fois dans sa tête après». Les habits, rebondit Alice, «c’est un indice sur ce que pensent les femmes qui rendent visite à leur mari en prison. Certaines sont sexy, apprêtées. D’autres… Je peux vous dire en les regardant qu’elles ne sont plus amoureuses. Elles sont là parce qu’elles se sentent obligées».

 

La conversation est un gai mélange de français, d’espagnol et d’anglais, où ce n’est pas un problème de se couper la parole ni de parler en même temps. Alice est anglaise, Michel est français. Ils se sont rencontrés en Espagne, où elle habite depuis ses 18 ans, où lui s’était exilé en 1989 pour cause d’«ennuis avec la justice».

 

«Surveillants de l’amour»

 

Alice est gérante d’un piano-bar. Il est venu boire un verre un soir. Ils ont flirté pendant des mois, une séduction «à l’ancienne». Puis se sont installés, en 1995, dans deux maisons côte à côte, elle avec ses deux enfants, lui voyageant souvent «pour affaires» en Amérique latine. Du commerce d’import-export, disait-il. Un trafic international de cocaïne, a dit la justice, qui, l’accusant également de braquages commis au début des années 80, l’a condamné à vingt ans de prison.

 

L’arrestation de Michel, en 1998, les a surpris. «Elle ne savait pas grand-chose de mon passé, raconte-t-il. Elle ne connaissait même pas mon vrai nom.» «Quand on l’a arrêté, coupe-t-elle, c’était un choc, mais je ne me suis pas sentie trahie. Il ne m’avait pas menti, puisque je ne lui avais jamais posé de questions.» 

 

Il est midi. Michel s’est installé derrière le comptoir de la cuisine américaine. Il prépare un brunch, parce que c’est ainsi qu’ils mangeaient tous les deux «avant». «Alice travaille la nuit, explique-t-il, alors pour elle, midi, c’est l’heure du petit déjeuner.» On s’éclipse pour les laisser seuls.

 

Derrière la porte de l’appartement, un long couloir blanc, et plusieurs portes : l’autre appartement, un F3 quasiment identique ; la salle d’attente, où patientent les familles ; la salle de fouille où transitent les détenus ; et le local des surveillants. Ils sont deux aujourd’hui : Xavier, 38 ans, et Isabelle, 47 ans, volontaires pour travailler en UVF. «C’est un autre rapport avec les détenus, dit Xavier. Ils sont cordiaux, et même vraiment gentils avec nous. Il y en a un qui nous appelle « les surveillants de l’amour » «Depuis seize ans que je suis dans la pénitentiaire, enchaîne Isabelle, on me parle de réinsertion. Et franchement, quand on passe la journée à ouvrir et fermer des portes, la réinsertion, je ne vois pas trop où elle est. Ici… c’est différent. On leur apporte vraiment quelque chose.»

 

Avec l’aide du conseiller d’insertion et de probation (CIP) et du psychologue, Xavier et Isabelle gèrent les demandes d’UVF.«Quatre-vingt-dix pour cent des réponses sont positives, explique Sophie Masselin, directrice adjointe du centre pénitentiaire d’Avignon Le Pontet. Mais on fait une enquête pour chaque dossier.» Le CIP doit s’assurer de l’existence d’une relation amoureuse ou familiale. Et vérifier que les futurs visiteurs sont au courant du motif et de la durée de l’incarcération. «On veut éviter de fausses projections», explique Sophie Masselin. Seuls les enfants, qui ne peuvent venir qu’accompagnés, ne sont pas toujours très bien informés. «On entend souvent les mères dire : « Voilà, c’est là que travaille Papa! », raconte Christophe Prat, psychologue. Mais les enfants voient les serrures, les surveillants en uniforme… On n’oblige à rien, mais on conseille la vérité.»

Avec l’aide du conseiller d’insertion et de probation (CIP) et du psychologue, Xavier et Isabelle gèrent les demandes d’UVF. «Quatre-vingt-dix pour cent des réponses sont positives,Mais on fait une enquête pour chaque dossier.» Le CIP doit s’assurer de l’existence d’une relation amoureuse ou familiale. Et vérifier que les futurs visiteurs sont au courant du motif et de la durée de l’incarcération. «On veut éviter de fausses projections», explique Sophie Masselin. Seuls les enfants, qui ne peuvent venir qu’accompagnés, ne sont pas toujours très bien informés. «On entend souvent les mères dire : « Voilà, c’est là que travaille Papa! »raconte Christophe Prat, psychologue. ,Mais les enfants voient les serrures, les surveillants en uniforme… On n’oblige à rien, mais on conseille la vérité.» explique Sophie Masselin, directrice adjointe du centre pénitentiaire d’Avignon Le Pontet. 

 

Dans la grande pièce des surveillants se trouvent deux immenses frigos, où est stockée la nourriture. Les détenus commandent à l’avance, via le système des «cantines», de quoi nourrir leurs visiteurs. «Ils veulent tellement bien faire qu’ils prévoient des tonnes» , raconte Isabelle. Elle se souvient d’un détenu qui, pour une journée avec sa femme et ses deux enfants, avait acheté «deux pizzas, trois poulets, un kilo de poivrons, cinq kilos de pommes de terre…» La famille est repartie avec les restes.

 

Trois fois par jour, les surveillants passent une tête dans les appartements. «Pour apporter le pain et voir aussi l’atmosphère, explique Xavier. C’est déjà arrivé que les choses se passent mal.» Dix minutes avant, ils annoncent leur venue par interphone. Le dispositif fonctionne dans les deux sens : les détenus et leurs proches peuvent appeler l’extérieur.

 

Tous les deux mois

 

Retour à l’appartement UVF 2. Il est 14 heures. Alice et Michel prennent le café sur la terrasse. Ils parlent de leur «prochain UVF»… dans deux jours. Théoriquement, ces journées en appartement ne sont autorisées que tous les deux mois mais, du fait de la présence de Libération, celle d’aujourd’hui ne compte pas. Michel s’est porté volontaire pour nous recevoir : «Il y a beaucoup de choses qui vont mal en prison. Quand il y a quelque chose de bien, il faut l’encourager.»

 

Après son arrestation, Michel a été incarcéré deux ans et demi en Espagne. Il a ensuite été extradé et, puisque lié au grand banditisme, classé DPS (détenu particulièrement surveillé), donc régulièrement transféré d’un établissement à un autre. Pour lui comme pour Alice, la transition fut rude. «Je connais toutes les prisons de France, soupire-t-elle. Parfois, ils ne me prévenaient même pas qu’ils l’avaient déplacé. Je faisais le trajet d’Espagne, et je trouvais un parloir vide.»

 

Ce n’est qu’en 2007, à l’issue de ses nombreux procès (assises, appel et cassation), que Michel a pu «se poser» au centre de détention d’Avignon. Devenu expert en comparaison des conditions de vie carcérales, il affirme la supériorité des prisons espagnoles : «Je gérais mon entreprise depuis ma cellule. J’avais mon téléphone portable pour travailler, appeler Alice, et même mon juge !» Seul avantage de la France : nos fameux UVF. En Espagne, le système équivalent s’appelle «vis-à-vis», et dure au maximum deux heures, tous les quinze jours. «Il y a le vis-à-vis « familial », avec deux fauteuils, décrit-il. Ou « intime  » : une chambre glauque, avec juste la place pour un lit et une douche. On a l’impression d’être au bordel. C’est humiliant.»

 

Plus timide sur ces questions, Michel se laisse déborder par Alice. «Le sexe, bien sûr que c’est important, rit-elle. Quand on a eu notre premier UVF, il y a deux mois, cela faisait huit ans, depuis l’Espagne, qu’on n’avait pas couché ensemble. On était tellement nerveux, on faisait tout pour éviter le lit !»

 

Michel pense que l’abstinence finit par «détraquer» les détenus. «Après dix ans de prison, j’en connais qui sont devenus obsédés, obnubilés par leurs fantasmes.»

 

Quand on lui demande s’il ne préférerait pas sortir en permission, il hausse les épaules. Les permissions, il a testé il y a longtemps. «C’est le stress. Il faut passer voir untel, puis untel, on n’a pas le temps de se poser, de profiter des gens. Et puis il y a l’angoisse de savoir qu’il va falloir retourner en prison, ne surtout pas être en retard.»

 

Alice passe son bras autour des épaules de Michel. Voici maintenant huit ans que, tous les deux mois, elle grimpe dans un bus de nuit espagnol, et se retrouve le matin aux portes d’une prison française. «Au tout début, à Grasse, j’ai rencontré une femme qui venait voir son mari depuis huit ans, se souvient-elle. Je me suis dit que moi, jamais je ne tiendrais aussi longtemps.»

 

Régulièrement, au téléphone, il la taquine. «Il me demande si je l’aime, il me dit qu’il m’attend…» Elle se tourne vers lui : «Non mais eh, oh, d’abord, c’est moi qui t’attends, et puis franchement, tu crois que je serais là si je ne t’aimais pas ?»

 

Elle dit que le plus dur, c’est le regard des autres, ces taxis qui refusent la course quand elle indique la destination prison, ces amis qui lui répètent qu’elle gâche sa vie. «J’ai essayé de m’intéresser à d’autres hommes. Quand on travaille dans un bar de nuit, ce ne sont pas les occasions qui manquent. Mais je n’y arrive pas.»

 

Elle n’arrive pas non plus à lui en vouloir. «Quand je me suis mariée, il y a longtemps, je croyais que j’étais amoureuse… Et puis je me suis rendu compte que je ne connaissais pas mon mari. Avec Michel, malgré tout ce qui est arrivé, je n’ai jamais eu ce sentiment. Personne ne me connaît, ne me comprend aussi bien que lui.»

 

L’interphone grésille, la voix du surveillant est douce : «Bonjour, votre UVF va se terminer dans vingt-cinq minutes.» Avec les remises de peine, Michel peut espérer sortir dans cinq ans. On leur demande s’ils ont des projets. «On a le projet de rester ensemble» , sourit Alice.

 

 

(1) Les prénoms ont été modifiés.

Article de Ondine Millot paru sur Libération.fr le 19 juin 2008. 

Huntsville, Prison City

Lundi 23 juin 2008

C’est la capitale de l’  » industrie carcérale « . Une petite ville du Texas dont l’économie repose sur ses prisons. Un homme y a été exécuté mercredi 11 juin. Le 406e depuis le rétablissement de la peine de mort, en 1976.

C’est fini, la mort a retrouvé ses droits. Ce mercredi 11 juin, les exécutions ont repris à Huntsville, Texas. Les familles du condamné et de sa victime quittent l’établissement pénitentiaire et se dirigent vers leurs voitures, au parking. Les policiers retirent les banderoles interdisant l’accès à la rue. La poignée de militants opposés à la peine capitale éteignent leurs bougies. Il est 18 heures passées de quelques minutes et Karl Chamberlain, arrêté voilà plus d’une dizaine d’années pour le viol et le meurtre d’une jeune femme, vient d’être exécuté. La petite ville de ce Sud profond des Etats-Unis, elle, a retrouvé ses habitudes.

 

Depuis huit mois, la chambre d’exécution du Texas, plantée au cœur de cette cité pavillonnaire, avait suspendu ses activités. Huit longs mois pendant lesquels les juges de la Cour suprême des Etats-Unis avaient imposé un moratoire. Ils avaient accepté d’examiner le bien-fondé de la méthode d’exécution par injection létale. Le 14 avril, ils ont estimé ce procédé conforme à la Constitution. Depuis, les exécutions ont recommencé comme si de rien n’était. Les candidats à la Maison Blanche n’ont pas évoqué le sujet. L’opinion publique a regardé ailleurs.

 

La Géorgie a été la première à prendre en compte la décision de la Cour suprême, en reprenant les exécutions le 6 mai. Le Mississippi a suivi le 21, la Virginie le 27. Et maintenant le Texas, à Huntsville, épicentre des exécutions de l’Etat le plus actif en termes de peine de mort.

 

C’est ici, dans cette prison massive de briques rouges appelée The Walls ( » les murs « ), plantée en face du siège de l’administration pénitentiaire de l’Etat, que les condamnés à la peine capitale par les juridictions texanes sont tués. Ici, que, dans un rituel immuable, le jour de leur exécution, ils sont transférés en camionnette, vers midi, depuis la prison de Polunsky Unit, à Livingston, à une trentaine de kilomètres. Vingt-six mises à mort en 2007 ; 406 depuis le rétablissement de la peine capitale aux Etats-Unis en 1976.

 

Avec le temps, la petite Huntsville est devenue la capitale de l’industrie carcérale. Une ville en vase clos, de quelque 22 000 habitants pour 15 000 prisonniers. Sept maisons d’arrêt. Deux en projet. A Prison City, comme on la surnomme, près d’une famille sur deux compte en son sein un membre travaillant pour le système pénitentiaire. Les autorités judiciaires locales n’en finissent pas de former des gardiens de prison. D’après les relevés officiels, ils seraient près de 5 000 en activité.

 

Malgré la chaleur, les habitants d’Huntsville ne portent pas d’habits blancs de peur d’être confondus avec les prisonniers. On les croise parfois aux coins des rues, sur les pelouses, les jardins, vêtus de blanc des pieds à la tête. Par petits groupes, en plein jour, encadrés par des matons, ils réparent, nettoient, bêchent, taillent. La ville fleurit sous les coups de ciseaux des condamnés.  » Un moyen de sortir à l’air libre pour les moins dangereux, explique un gardien armé. La majorité de la population s’accommode de la situation. « 

 

Drôle d’atmosphère. Cette cité sans relief, presque vide, et dont la plus grande attraction est le Musée de la prison, le Texas Prison Museum, avec ses photos d’archives et sa chaise électrique, organise son quotidien au rythme de ses colonies pénitentiaires. Au très traditionnel Cafe Texan, le matin, les vieux sirotent leur breuvage noirâtre, cigarette aux lèvres, en évoquant autour de leur petit déjeuner les délits et petits larcins de la veille relayés en boucle par la radio locale.

 

«  En cas d’évasion, un proche est toujours là pour nous prévenir par téléphone ou Texto, explique Emilie, employée d’une entreprise de nettoyage de la ville. On rassemble alors les enfants et on s’enferme chez soi jusqu’à la fin de l’alerte. «  A Huntsville, c’est tous les jours un peu La Nuit du chasseur.

 

11 heures. Des colonnes de détenus viennent d’être libérées. Tous passent par The Walls, au coeur du centre-ville. Un ballet quasi quotidien. Des grappes d’ex-prisonniers, un sac de plastique pour seul bagage, se dirigent presque machinalement vers la station de bus, accompagnés d’un proche, d’un membre de la famille, des enfants. L’administration d’Huntsville gère 100 000 personnes en liberté conditionnelle, plus du triple en liberté surveillée. Ici, sur ce trottoir, c’est tout le Texas que l’on croise, jeunes et moins jeunes, tatoués, Blancs, Africains-Américains et Latinos.

 

Ce jour-là, personne ne s’arrêtera pour boire un verre au Stardust Room Southern Pub, situé un bloc plus loin, derrière les autocars. Au bar, on sert de la bière, mais aussi le lethal injection drink, ( » cocktail d’injection létale « ). Une spécialité locale à base de curaçao et de rhum.

 

Une infirmière sort de The Walls. Elle vient de terminer sa journée auprès des prisonniers de droit commun. Son job, dit-elle, consiste à prendre la tension des détenus, à soigner le cas échéant.  » Je travaille dans les bas-fonds de notre société, lâche la jeune femme. J’aide comme je peux, à mon niveau. Mais je ne suis pas une militante. Je ferme les yeux. Je me tais. « 

 

Les jours d’exécution, les rues autour de la prison s’animent un peu, l’après-midi. Le condamné est amené à l’intérieur sous bonne escorte. On le nourrit avec un dernier repas qu’il aura lui-même choisi. On le  » prépare « , comme on dit. Avec 60 % des exécutions américaines effectués derrières ces remparts en 2007, Huntsville est la ville où se concentre le plus grand nombre d’exécutions en Occident. Celle qui possède le plus grand savoir-faire. Les équipes chargées de la besogne, les execution squads, sont si bien entraînées que des spécialistes d’autres Etats viennent parfois sur place. Et ceux d’Huntsville ont déjà loué leurs services pour des exécutions en dehors du Texas.

 

Une heure environ avant l’exécution, c’est-à-dire vers 17 heures, un petit groupe d’opposants à la peine de mort s’installe à quelques mètres de la porte d’entrée de The Walls. Ils sont une demi-douzaine. Presque toujours les mêmes. Deux ou trois dames âgées  » réunies par la foi « , un ou deux étudiants, parfois un journaliste, un curieux, et Dennis Longmire.

 

C’est lui que les médias viennent voir au moment des exécutions importantes. Ce professeur de justice criminelle est la mémoire des lieux et la mauvaise conscience du système. Catholique fervent, il trouve le temps, depuis des années, de venir ici avec son chapelet et sa bougie. Une fois, une femme lui a craché dessus. Plus rarement, il a essuyé quelques insultes. Rien de plus. Sinon de l’indifférence.

 

 » Les gens veulent croire que la peine de mort produit un effet dissuasif, dit-il. Ici, elle donne du travail et fait marcher le système. «  Dennis Longmire rappelle l’histoire violente du Texas, les lynchages qu’on y pratiquait encore au début du XXe siècle.  » Il y a une mentalité issue de la guerre civile, une culture de la violence, et cette idée bien ancrée qu’il faut utiliser la violence pour se protéger. « 

 

Les débats à la Cour suprême l’ont laissé de marbre.  » De nouveaux recours auront lieu, mais ils ne changeront rien. Tout n’a été qu’une discussion sur la forme et non pas sur le fond « , tranche-t-il. D’après les sondages, le nombre d’individus soutenant la peine de mort diminue légèrement dans le pays, mais reste à un niveau élevé au Texas avec 75 % à 80 % de partisans. Et encore plus à Huntsville, d’après Dennis.

 

Valerie Hermington, elle, ne manifeste pas. Etudiante en criminologie à l’université Sam-Houston, à deux blocs de The Walls, elle reconnaît ne pas savoir lorsqu’une exécution a lieu,  » comme tous – ses – camarades « . Elle affirme pourtant débattre fréquemment de la peine de mort et du système carcéral en classe,  » même si la grande majorité y est favorable « .  » Il est difficile de croire que le système peut se tromper « , dit-elle.

 

Aumônier pendant près de quinze ans à la prison The Walls, Carroll Pickett a quitté Huntsville pour Lake Conroe, une petite ville distante d’une cinquantaine de kilomètres. L’homme a changé. Il dit avoir assisté 95 condamnés à mort. A chaque fois, il a prié avec eux, écouté leurs dernières paroles, observé comment le liquide létal s’introduisait dans leurs veines. Convaincu alors que la peine capitale était juste, il croyait  » que chaque individu avait besoin de mourir avec un ami « .

 

Avec sa voix basse et douce, il affirme avoir été angoissé par son travail, avant d’admettre finalement que la peine de mort ne servait  » ni la justice ni la moralité « . Dans un récent documentaire, At the Death House Door ( » A la porte de la maison de la mort « ), il explique avoir été persuadé que certains condamnés qu’il avait accompagnés jusqu’au bout étaient innocents.  » Le système est cassé. Les exécutions ne font pas baisser la criminalité et les sentences sont appliquées de façon inégale, glisse-t-il. Aucune critique au sein de l’administration pénitentiaire n’est possible, ce serait risquer de perdre son emploi. C’est aussi ça le système. « 

 

Il est maintenant 19 heures. Les voitures des proches de la victime et du condamné à mort exécuté ont quitté les lieux. The Walls fait silence. Les gardiens paraissent immobiles dans leurs miradors. Les rues d’Huntsville sont désertes. L’exécution suivante est prévue pour la semaine prochaine, le 17 juin. Même heure.

 

Article de Nicolas Bourcier, envoyé spécial, paru dans Le Monde le 14 juin 2008.

Ce soir ou jamais

Mercredi 18 juin 2008

Jeudi 12 juin, l’émission Ce soir ou jamais présentée par Frédéric Taddei sur France 3 était notamment consacrée aux prisons françaises, avec Claude d’Harcourt (directeur de l’Administration pénitentiaire), Thierry Levy (avocat), Bernard Bolze (militant associatif, « Trop c’est trop  ») et Florence Aubenas (journaliste).

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