Archive de la catégorie ‘Conditions de détention’

17 nouvelles UVF pour 2012.

Lundi 23 juin 2008

Petit progrès sur fond d’état déplorable des prisons françaises, les Unités de visites familiales (UVF), créées en septembre 2003, existent aujourd’hui dans sept centres de détention (Poissy, Saint-Martin-de-Ré, Rennes, Liancourt, Meaux, Avignon-Le Pontet et Toulon-La Farlède). Le projet de loi pénitentiaire que la ministre de la Justice, Rachida Dati, doit présenter très bientôt en Conseil des ministres pose le principe du «droit au maintien des liens familiaux» et de l’accès aux UVF «dans les établissements qui en sont dotés» pour les «condamnés à plus de deux ans» . Parmi les 19 nouveaux établissements pénitentiaires pour adultes qui doivent ouvrir d’ici 2012, 17 seront dotés de ces UVF.

L’évasion en cellule familiale

La prison d’Avignon abrite l’une des sept Unités de visites familiales de France. Dans ces appartements aménagés dans la prison, un détenu peut retrouver ses proches pour quelques heures, ou quelques jours.

Ils ne se quittent pas des yeux, ne se lâchent pas les mains. On dirait qu’ils ne voient rien d’autre, ni les papillons colorés sur les murs, ni les barreaux aux fenêtres. Ni la jolie terrasse au soleil, ni le grillage qui l’enserre. Une télévision allumée bavarde seule dans un coin. «C’est pour faire un peu maison» , sourit Alice.

 

Michel et Alice (1) sont «ensemble», comme ils disent, depuis treize ans. Dont dix de prison pour Michel. Ce matin d’avril, ils se retrouvent pour leur deuxième rencontre en Unité de visites familiales (UVF) au centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet, où est incarcéré Michel.

 

Il est 10 heures du matin. Ils ont six heures devant eux. La prochaine fois, ce sera vingt-quatre, puis quarante-huit ou soixante-douze heures, s’ils en font la demande. Entre cette bulle d’intimité dans un appartement coquet et les habituels parloirs de trois quarts d’heure bruyants et étroitement surveillés auxquels ils ont eu droit jusque-là, c’est «le jour et la nuit», résume Alice.

 

Elle est belle, mince, blonde et hâlée, paraît dix ans de moins que son âge (54 ans). Il a 60 ans, la carrure et le visage d’un bel homme, le teint gris et le regard voilé de ceux qui vivent enfermés.

 

Alice a dormi cette nuit dans le bus qui l’amène d’Espagne, mais cela ne se voit pas. Elle s’est «pomponnée», rit-elle, en noir et blanc chic, maquillage soigné, boucles d’oreilles dorées. Lui aussi visiblement, qui confie que «l’UVF, on se le fait cent fois dans sa tête avant, cent fois dans sa tête après». Les habits, rebondit Alice, «c’est un indice sur ce que pensent les femmes qui rendent visite à leur mari en prison. Certaines sont sexy, apprêtées. D’autres… Je peux vous dire en les regardant qu’elles ne sont plus amoureuses. Elles sont là parce qu’elles se sentent obligées».

 

La conversation est un gai mélange de français, d’espagnol et d’anglais, où ce n’est pas un problème de se couper la parole ni de parler en même temps. Alice est anglaise, Michel est français. Ils se sont rencontrés en Espagne, où elle habite depuis ses 18 ans, où lui s’était exilé en 1989 pour cause d’«ennuis avec la justice».

 

«Surveillants de l’amour»

 

Alice est gérante d’un piano-bar. Il est venu boire un verre un soir. Ils ont flirté pendant des mois, une séduction «à l’ancienne». Puis se sont installés, en 1995, dans deux maisons côte à côte, elle avec ses deux enfants, lui voyageant souvent «pour affaires» en Amérique latine. Du commerce d’import-export, disait-il. Un trafic international de cocaïne, a dit la justice, qui, l’accusant également de braquages commis au début des années 80, l’a condamné à vingt ans de prison.

 

L’arrestation de Michel, en 1998, les a surpris. «Elle ne savait pas grand-chose de mon passé, raconte-t-il. Elle ne connaissait même pas mon vrai nom.» «Quand on l’a arrêté, coupe-t-elle, c’était un choc, mais je ne me suis pas sentie trahie. Il ne m’avait pas menti, puisque je ne lui avais jamais posé de questions.» 

 

Il est midi. Michel s’est installé derrière le comptoir de la cuisine américaine. Il prépare un brunch, parce que c’est ainsi qu’ils mangeaient tous les deux «avant». «Alice travaille la nuit, explique-t-il, alors pour elle, midi, c’est l’heure du petit déjeuner.» On s’éclipse pour les laisser seuls.

 

Derrière la porte de l’appartement, un long couloir blanc, et plusieurs portes : l’autre appartement, un F3 quasiment identique ; la salle d’attente, où patientent les familles ; la salle de fouille où transitent les détenus ; et le local des surveillants. Ils sont deux aujourd’hui : Xavier, 38 ans, et Isabelle, 47 ans, volontaires pour travailler en UVF. «C’est un autre rapport avec les détenus, dit Xavier. Ils sont cordiaux, et même vraiment gentils avec nous. Il y en a un qui nous appelle « les surveillants de l’amour » «Depuis seize ans que je suis dans la pénitentiaire, enchaîne Isabelle, on me parle de réinsertion. Et franchement, quand on passe la journée à ouvrir et fermer des portes, la réinsertion, je ne vois pas trop où elle est. Ici… c’est différent. On leur apporte vraiment quelque chose.»

 

Avec l’aide du conseiller d’insertion et de probation (CIP) et du psychologue, Xavier et Isabelle gèrent les demandes d’UVF.«Quatre-vingt-dix pour cent des réponses sont positives, explique Sophie Masselin, directrice adjointe du centre pénitentiaire d’Avignon Le Pontet. Mais on fait une enquête pour chaque dossier.» Le CIP doit s’assurer de l’existence d’une relation amoureuse ou familiale. Et vérifier que les futurs visiteurs sont au courant du motif et de la durée de l’incarcération. «On veut éviter de fausses projections», explique Sophie Masselin. Seuls les enfants, qui ne peuvent venir qu’accompagnés, ne sont pas toujours très bien informés. «On entend souvent les mères dire : « Voilà, c’est là que travaille Papa! », raconte Christophe Prat, psychologue. Mais les enfants voient les serrures, les surveillants en uniforme… On n’oblige à rien, mais on conseille la vérité.»

Avec l’aide du conseiller d’insertion et de probation (CIP) et du psychologue, Xavier et Isabelle gèrent les demandes d’UVF. «Quatre-vingt-dix pour cent des réponses sont positives,Mais on fait une enquête pour chaque dossier.» Le CIP doit s’assurer de l’existence d’une relation amoureuse ou familiale. Et vérifier que les futurs visiteurs sont au courant du motif et de la durée de l’incarcération. «On veut éviter de fausses projections», explique Sophie Masselin. Seuls les enfants, qui ne peuvent venir qu’accompagnés, ne sont pas toujours très bien informés. «On entend souvent les mères dire : « Voilà, c’est là que travaille Papa! »raconte Christophe Prat, psychologue. ,Mais les enfants voient les serrures, les surveillants en uniforme… On n’oblige à rien, mais on conseille la vérité.» explique Sophie Masselin, directrice adjointe du centre pénitentiaire d’Avignon Le Pontet. 

 

Dans la grande pièce des surveillants se trouvent deux immenses frigos, où est stockée la nourriture. Les détenus commandent à l’avance, via le système des «cantines», de quoi nourrir leurs visiteurs. «Ils veulent tellement bien faire qu’ils prévoient des tonnes» , raconte Isabelle. Elle se souvient d’un détenu qui, pour une journée avec sa femme et ses deux enfants, avait acheté «deux pizzas, trois poulets, un kilo de poivrons, cinq kilos de pommes de terre…» La famille est repartie avec les restes.

 

Trois fois par jour, les surveillants passent une tête dans les appartements. «Pour apporter le pain et voir aussi l’atmosphère, explique Xavier. C’est déjà arrivé que les choses se passent mal.» Dix minutes avant, ils annoncent leur venue par interphone. Le dispositif fonctionne dans les deux sens : les détenus et leurs proches peuvent appeler l’extérieur.

 

Tous les deux mois

 

Retour à l’appartement UVF 2. Il est 14 heures. Alice et Michel prennent le café sur la terrasse. Ils parlent de leur «prochain UVF»… dans deux jours. Théoriquement, ces journées en appartement ne sont autorisées que tous les deux mois mais, du fait de la présence de Libération, celle d’aujourd’hui ne compte pas. Michel s’est porté volontaire pour nous recevoir : «Il y a beaucoup de choses qui vont mal en prison. Quand il y a quelque chose de bien, il faut l’encourager.»

 

Après son arrestation, Michel a été incarcéré deux ans et demi en Espagne. Il a ensuite été extradé et, puisque lié au grand banditisme, classé DPS (détenu particulièrement surveillé), donc régulièrement transféré d’un établissement à un autre. Pour lui comme pour Alice, la transition fut rude. «Je connais toutes les prisons de France, soupire-t-elle. Parfois, ils ne me prévenaient même pas qu’ils l’avaient déplacé. Je faisais le trajet d’Espagne, et je trouvais un parloir vide.»

 

Ce n’est qu’en 2007, à l’issue de ses nombreux procès (assises, appel et cassation), que Michel a pu «se poser» au centre de détention d’Avignon. Devenu expert en comparaison des conditions de vie carcérales, il affirme la supériorité des prisons espagnoles : «Je gérais mon entreprise depuis ma cellule. J’avais mon téléphone portable pour travailler, appeler Alice, et même mon juge !» Seul avantage de la France : nos fameux UVF. En Espagne, le système équivalent s’appelle «vis-à-vis», et dure au maximum deux heures, tous les quinze jours. «Il y a le vis-à-vis « familial », avec deux fauteuils, décrit-il. Ou « intime  » : une chambre glauque, avec juste la place pour un lit et une douche. On a l’impression d’être au bordel. C’est humiliant.»

 

Plus timide sur ces questions, Michel se laisse déborder par Alice. «Le sexe, bien sûr que c’est important, rit-elle. Quand on a eu notre premier UVF, il y a deux mois, cela faisait huit ans, depuis l’Espagne, qu’on n’avait pas couché ensemble. On était tellement nerveux, on faisait tout pour éviter le lit !»

 

Michel pense que l’abstinence finit par «détraquer» les détenus. «Après dix ans de prison, j’en connais qui sont devenus obsédés, obnubilés par leurs fantasmes.»

 

Quand on lui demande s’il ne préférerait pas sortir en permission, il hausse les épaules. Les permissions, il a testé il y a longtemps. «C’est le stress. Il faut passer voir untel, puis untel, on n’a pas le temps de se poser, de profiter des gens. Et puis il y a l’angoisse de savoir qu’il va falloir retourner en prison, ne surtout pas être en retard.»

 

Alice passe son bras autour des épaules de Michel. Voici maintenant huit ans que, tous les deux mois, elle grimpe dans un bus de nuit espagnol, et se retrouve le matin aux portes d’une prison française. «Au tout début, à Grasse, j’ai rencontré une femme qui venait voir son mari depuis huit ans, se souvient-elle. Je me suis dit que moi, jamais je ne tiendrais aussi longtemps.»

 

Régulièrement, au téléphone, il la taquine. «Il me demande si je l’aime, il me dit qu’il m’attend…» Elle se tourne vers lui : «Non mais eh, oh, d’abord, c’est moi qui t’attends, et puis franchement, tu crois que je serais là si je ne t’aimais pas ?»

 

Elle dit que le plus dur, c’est le regard des autres, ces taxis qui refusent la course quand elle indique la destination prison, ces amis qui lui répètent qu’elle gâche sa vie. «J’ai essayé de m’intéresser à d’autres hommes. Quand on travaille dans un bar de nuit, ce ne sont pas les occasions qui manquent. Mais je n’y arrive pas.»

 

Elle n’arrive pas non plus à lui en vouloir. «Quand je me suis mariée, il y a longtemps, je croyais que j’étais amoureuse… Et puis je me suis rendu compte que je ne connaissais pas mon mari. Avec Michel, malgré tout ce qui est arrivé, je n’ai jamais eu ce sentiment. Personne ne me connaît, ne me comprend aussi bien que lui.»

 

L’interphone grésille, la voix du surveillant est douce : «Bonjour, votre UVF va se terminer dans vingt-cinq minutes.» Avec les remises de peine, Michel peut espérer sortir dans cinq ans. On leur demande s’ils ont des projets. «On a le projet de rester ensemble» , sourit Alice.

 

 

(1) Les prénoms ont été modifiés.

Article de Ondine Millot paru sur Libération.fr le 19 juin 2008. 

Ce soir ou jamais

Mercredi 18 juin 2008

Jeudi 12 juin, l’émission Ce soir ou jamais présentée par Frédéric Taddei sur France 3 était notamment consacrée aux prisons françaises, avec Claude d’Harcourt (directeur de l’Administration pénitentiaire), Thierry Levy (avocat), Bernard Bolze (militant associatif, « Trop c’est trop  ») et Florence Aubenas (journaliste).

Silence, on incarcère !

Mercredi 11 juin 2008

Le 14 novembre 2006, le Parisien publiait un témoignage intitulé «Libéré hier, il raconte ses dix-huit mois à Fleury-Mérogis», dans lequel «Guy-Charles», à peine sorti de maison d’arrêt, confiait à la journaliste Elisabeth Fleury ce que chacun sait des conditions de détention : trafics omniprésents («en prison, tout ce qui est interdit circule») ; nécessité d’appartenir à un «clan» pour survivre («si t’as pas de clan, pas d’allié, t’es mort») ; violences sexuelles subies par ce qu’il est commun d’appeler les «serveuses» («des gars paumés, qui ne savent plus très bien où ils en sont. Tout le monde sait ce qu’ils subissent, y compris les surveillants, mais on ferme les yeux»).

 

 

Le lendemain, M. Guy Canivet, alors premier magistrat de France, convenait dans un entretien accordé à ce même quotidien que, si l’expression de «Guy-Charles» était «brutale»,«tous les phénomènes qu’il dénonce sont vrais. Les trafics, le maquage, les violences : tous les pénitentiaires connaissent ces maux». Il invitait le parquet à se saisir de cette affaire. De son côté, le directeur de l’administration pénitentiaire assurait «n’avoir jamais entendu un tableau aussi noir».

 

Deux jours plus tard, M. Jean-François Pascal, procureur d’Evry, ouvrait une enquête préliminaire «sur la base des déclarations de ce détenu afin de déterminer la réalité des faits dénoncés, d’une extrême gravité». Les investigations se soldaient, treize jours plus tard, par un classement sans suite habilement motivé : «Il a refusé de donner des noms ou des dates […]. Faute d’éléments probants, je suis obligé de suspendre l’enquête.»

 

Trois mois plus tard, 339 surveillants de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis déposaient plainte avec constitution de partie civile contre le Parisien et la journaliste Elisabeth Fleury des chefs de diffamation et complicité de diffamation envers un fonctionnaire. Pour avoir publié les propos de «Guy-Charles», une journaliste et le représentant d’un quotidien national comparaîtront donc demain devant le tribunal correctionnel d’Evry, comme ce fut le cas pour Patrick Dils, qui, après quinze années d’incarcération et un acquittement, révéla dans un livre avoir été violé en détention. Dénoncer, ou simplement rapporter ce que tous les professionnels et les parlementaires ont depuis longtemps observé et décrit, constitue un délit, et, conséquemment, conduit devant un tribunal correctionnel.

Est-il nécessaire de rappeler que l’espace de vie dont jouit un détenu français est de 2,4 à 4  m² ? Que le taux moyen de surpopulation des maisons d’arrêt françaises est de 140 % ? Que la maison d’arrêt de Villepinte est contrainte de supprimer des parloirs famille en raison d’un taux de surpopulation excédant les 150 % ? Que des experts mandatés par le tribunal administratif de Versailles ont constaté l’extrême insalubrité du quartier disciplinaire de Fleury-Mérogis ? Qu’un détenu de cet établissement pénitentiaire a été mis en examen, en mars, pour avoir violé l’un de ses codétenus ? Que l’on compte en France, depuis ces cinq dernières années, un suicide ou une mort suspecte en détention tous les trois à quatre jours ?

C’est une évidence : la violence de l’enfermement décrite par «Guy-Charles» ou Patrick Dils s’abat toujours et d’abord sur une catégorie précise de la population carcérale, les «indigents» : les plus pauvres, les plus fragiles et les plus isolés. La pauvreté à quatre ou plus dans 9 m2 crée des dépendances qui conduisent effectivement aux rackets, aux violences verbales et physiques, aux sévices sexuels. Les fameuses «zones de non droit», expression que d’aucuns se plaisent à utiliser pour désigner «les banlieues», existent bel et bien, oui : au sein même de nos maisons d’arrêt et de nos centres de détention. La France, avec plus de 63 000 détenus pour à peine 50 000 places, connaît son niveau d’incarcération le plus important depuis 1945. Pour faire face à la surpopulation, Rachida Dati a récemment répété que «le premier moyen, c’est de construire de nouvelles places de prisons». Or, sept nouvelles structures vont ou ont déjà vu le jour en 2008, parmi lesquelles trois pour mineurs et quatre pour adultes, correspondant à plus de 3 000 places. Construire de nouveaux établissements pour les remplir aussi vite : telle est donc la ligne de conduite de la garde des Sceaux. Qu’importe si la haine et la violence y sont grandissantes, et si les plus faibles y sont livrés aux plus forts.

En mai dernier, après sept mois de tergiversations, la Chancellerie annonçait la prochaine nomination du futur «contrôleur général des lieux privatifs de liberté» en la personne du conseiller d’Etat Jean-Marie Delarue. Prisons, locaux de garde à vue, centres de rétention, hôpitaux psychiatriques : au total, ledit contrôleur général aura pour charge de veiller sur 5 800 lieux d’enfermement. Au même moment, Rachida Dati assurait que le très attendu projet de loi pénitentiaire serait examiné «cette année, bien sûr». Rappelons que ce texte ne vise qu’à permettre l’application sur notre territoire des règles pénitentiaires européennes adoptées il y a déjà deux ans. Ces mesures permettront-elles aux citoyens de savoir enfin ce qui se passe derrière les barreaux où, du fait de la multiplication des lois répressives, ils sont de plus en plus nombreux à séjourner ? L’administration pénitentiaire, confrontée ces derniers temps à une vague de protestation de ses propres agents, excédés de leurs conditions de travail, se résoudra-t-elle enfin à jouer le jeu de la transparence ? On peut en douter. Dans un document de travail transmis par ses services en octobre, on pouvait ainsi lire que «les règles pénitentiaires européennes sont pour l’essentiel déjà transcrites dans notre réglementation»,«les prisons françaises ne sont pas une honte», et que «la France gère bien ses prisons». Le prétendra-t-elle encore, devant les juges d’Evry, demain ? Les avocats de la journaliste Elisabeth Fleury et du Parisien n’ont qu’à bien se tenir. Silence, on incarcère.

Hélène Franco secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, Jean-Yves Le Borgne président de l’Association des avocats pénalistes, dominique Verdeilhan vice-président de l’Association des journalistes de la presse judiciaire (AJPJ) Et Marie Dosé, Eric Dupond-Moretti, Philippe Lemaire, Patrick Maisonneuve, Hervé Temime avocats à la Cour.

Rebond paru sur Libération.fr le 9 juin 200.

Au moins 1 000 détenus dorment à terre sur des matelas dans les prisons surpeuplées

Mercredi 11 juin 2008

Les prisons débordent. Les détenus s’agitent. Les surveillants manifestent leur exaspération dans plusieurs régions. Les instances internationales s’inquiètent de la situation française. Au 1er mai, l’administration recensait 63 645 personnes incarcérées, pour 50 631 places. Dans les faits, le nombre de détenus en surnombre approche 14 000. Le syndicat de surveillants UFAP (Union fédérale autonome pénitentiaire) a entrepris de recenser les matelas placés à terre dans des cellules déjà suroccupées par des lits superposés. Le décompte n’est pas terminé. Mais il montre déjà que plus de 1 000 prisonniers dorment par terre. L’administration refuse de commenter ce point.

La maison d’arrêt de Meaux (Seine-et-Marne) connaît un taux d’occupation de 165 % trois ans après son ouverture, selon les syndicats. Dans cette prison moderne, où les douches et les WC sont placés dans les cellules et séparés, l’administration a dû ajouter 110 matelas. Près d’un détenu sur huit dort par terre. Les syndicats CGT, FO et UFAP organisent un mouvement de protestation jeudi 22 mai. Trois agents ont été brûlés après qu’un détenu a mis le feu à sa cellule.

Le 16 mai, les surveillants de Bordeaux-Gradignan (Gironde) manifestaient contre l’insécurité en dénonçant un taux d’occupation de 200 %. Une semaine plus tôt, plusieurs détenus de la prison de Saint-Quentin Fallavier (Isère) avaient refusé de réintégrer leur cellule, pour protester contre le nouveau système de cantine, confié à une entreprise privée. Le secrétaire général adjoint de l’UFAP, Stéphane Barraut, dénonce « un cocktail explosif » dans les prisons. L’administration pénitentiaire tempère, en soulignant qu’il n’y a pas d’augmentation du nombre d’incidents depuis le début de l’année. Les travailleurs sociaux de l’administration pénitentiaire ont, enfin, lancé un mouvement de protestation, contre une réforme statutaire.

Avec 63 645 détenus, la population carcérale frôle, à quelques unités près, le record du 1erjuillet 2004. La loi d’amnistie avait alors fait retomber le chiffre à 58 000 le mois suivant. La situation est différente aujourd’hui. L’absence d’amnistie en juillet 2007, puis l’instauration des peines planchers pour les récidivistes, en août, ont fait monter le nombre de détenus de 3 000 en un an. Secrétaire général de FO direction pénitentiaire, Michel Beuzon constate, en outre,« depuis un an », une meilleure exécution des condamnations pour les petits délits : « On voit des personnes qu’on ne voyait plus ces dernières années, qui viennent pour un court séjour. » Il s’inquiète aussi du nombre de détenus qui auraient « plus de place dans des structures psychiatriques. Ils ne supportent pas l’enfermement et sont confrontés à une promiscuité difficile pour tout le monde ». 

La ministre de la justice insiste sur la progression des aménagements de peine et sur les placements sous bracelet électronique. Au 1er avril, 3 509 personnes effectuaient ainsi leur peine hors de la prison, contre 2 519, un an plus tôt. Promise, bien que toujours pas inscrite au calendrier parlementaire, la loi pénitentiaire devrait aussi faciliter les aménagements de peine. La chancellerie souligne que le plan de construction et de rénovation de 13 200 places, décidé en 2002, suit son cours. En 2012, les prisons devraient compter 63 500 places… soit le nombre de détenus actuel.

Mais l’administration attend 80 000 prisonniers d’ici à 2 017. L’annonce, lundi 19 mai, par Rachida Dati, d’un décret pour organiser les demandes d’encellulement individuel a été accueilli avec scepticisme. « Certains détenus ne souhaitent pas être seuls, mais c’est une minorité », constate Stéphane Barraut, de l’UFAP.

La France a été interpellée à l’ONU, le 14 mai, sur l’état de ses prisons, par le Canada, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède. Le commissaire européen aux droits de l’homme, Thomas Hammerberg, est en visite en France. Le nom tant attendu du contrôleur général des lieux privatifs de liberté pourrait être dévoilé à l’occasion de cette visite qui s’achève vendredi 23 mai.

Article d’Alain Salles paru sur LeMonde.fr le 21 mai 2008.

La surpopulation carcérale montrée du doigt

Mercredi 11 juin 2008

Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, s’inquiète de la situation des prisons, des mineurs et des immigrés, en France. Deux ans après le rapport remarqué de son prédécesseur, Alvaro Gil-Robles, il devrait publier un rapport sur la France, mi-juillet, peu après le début de la présidence française de l’Union européenne.

« Si peu a été fait face à la surpopulation carcérale, alors que le problème est dénoncé depuis de nombreuses années ! regrette-t-il, vendredi 23 mai, à Paris. Au contraire, la situation s’aggrave, il y a un manque de volonté politique pour résoudre ce problème. » Autre inquiétude : les mineurs délinquants. « La France peut emprisonner des mineurs dès l’âge de 13 ans, explique M. Hammarberg. Dans mon rapport, je demanderai à la France qu’elle augmente l’âge minimum d’incarcération. Les changements récents se concentrent sur l’aspect répressif et très peu sur le côté éducatif. »

En matière d’immigration, le commissaire considère que la politique de quotas est « mauvaise »« Les immigrés ne sont pas des chiffres, mais des êtres humains. » Selon lui, cette politique entraîne une pression sur les forces de police et conduit à des excès. « J’ai été informé d’arrestations près des écoles ou dans les préfectures. De telles méthodes ne devraient pas être employées dans ces lieux. » :

Dans une tribune au Monde du 25 avril, Brice Hortefeux évoquait la « satisfaction » de M. Hammarberg sur les conditions de rétention, « parmi les meilleures d’Europe ». « C’est une mauvaise citation, souligne M. Hammarberg. La France est meilleure en ce qui concerne la durée de détention dans ces centres, qui est de trente-deux jours. C’est souvent plus long ailleurs. Cela ne veut pas dire que la France est meilleure sur tout le reste. » Il évoque notamment les conditions de rétention dans des commissariats autour de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et le mélange de criminels sortant de prison et de familles avec enfants dans ces centres de rétention administrative.

Article d’Alain Salles paru sur LeMonde.fr le 24 mai 2008.

L’encellulement individuel des prévenus différé de cinq ans

Mercredi 11 juin 2008

Le ministère de la justice a transmis lundi 9 juin, au Conseil d’Etat un avant-projet de loi pénitentiaire qui devrait être présenté au Parlement à l’automne. Le texte traduit des avancées importantes dans le développement des aménagements de peine, mais les associations sont déçues par le volet consacré aux conditions de détention. De nombreux articles renvoient à des décrets, destinés à préciser leur application.

Le projet de loi pose le principe de l’encellulement individuel pour les personnes en détention provisoire qui le demandent, mais pour aussitôt prévoir des dérogations. Elles peuvent être placées en cellule collective, « sous réserve que celle-ci soit adaptée au nombre de détenus qui y sont hébergés, et que les détenus soient reconnus aptes à cohabiter ». Mais surtout le texte prévoit de surseoir à nouveau à l’encellulement individuel pendant cinq ans « si la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou le nombre de détenus présents ne permet pas \[son\] application ».

En 2000, les députés avaient rendu obligatoire l’encellulement individuel pour les prévenus, dans un délai de trois ans. En 2003, un nouveau délai de cinqans avait été voté, qui arrive à échéance le 13 juin. Le texte prévoit un nouveau délai à partir de la promulgation de la loi. Entre-temps, un décret devrait être pris par le gouvernement pour gérer les demandes des prévenus qui souhaitent être seuls. Les exceptions à l’encellulement individuel « en raison de la distribution intérieure des locaux de détention ou de leur encombrement temporaire » sont maintenues pour les condamnés.

Pour réduire la surpopulation carcérale, le gouvernement veut développer les aménagements de peines et notamment le placement sous bracelet électronique. Le projet de loi prévoit déjà de limiter le recours à la détention provisoire, en instituant une assignation à résidence, sous surveillance électronique, décidée par le juge, pour une durée maximum de six mois renouvelables. Le code pénal prévoira que l’emprisonnement ferme sera prononcé uniquement dans le cas où « toute autre sanction serait manifestement inadéquate ». La possibilité d’un aménagement sera systématiquement examinée pour toutes les peines inférieures à deux ans. Dans les faits, le développement des aménagements de peine se heurte aux déficits de travailleurs sociaux, en conflit avec l’administration pénitentiaire depuis plus d’un mois.

« DROITS FONDAMENTAUX »

Le texte inscrit dans la loi que « l’administration pénitentiaire garantit à tout détenu le respect des droits fondamentaux inhérents à la personne ». Il prévoit de considérer, à leur demande, l’établissement pénitentiaire comme le domicile des personnes détenues, pour leurs droits sociaux et leur inscription sur les listes électorales. Le projet de loi va généraliser l’entrée dans les prisons du téléphone, pour les prévenus comme pour les condamnés. Sauf s’il apparaît « que les communications risquent d’être contraires à la réinsertion du détenu ou à l’intérêt des victimes ». A défaut d’un contrat, le travail en détention sera régi par un « acte d’engagement professionnel ». Des minimums sociaux seront accordés aux détenus les plus pauvres.

L’encadrement du régime disciplinaire traduit une avancée, suivi d’un recul. Si le projet de loi reprend l’idée d’une échelle de 7, 14 et 21 jours pour le placement en cellule disciplinaire, c’est pour y ajouter une autre catégorie de 40 jours pour « tout acte de violence physique contre les personnes ». Le maximum est de 45 jours aujourd’hui. Les visites et les communications téléphoniques seront autorisées, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Le régime de détention des détenus sera déterminé en fonction de « leur personnalité, leur dangerosité et leurs efforts en matière de réinsertion sociale et de prévention de la récidive ». L’introduction du concept de dangerosité, dont le flou a été dénoncé lors des débats parlementaires sur la rétention de sûreté, suscite l’inquiétude. Tout détenu arrivant fait l’objet d’un bilan de personnalité sur son état physique et mental, son éventuelle fragilité psychologique, ses aptitudes scolaires et professionnelles. Ce bilan est classé au dossier individuel du détenu. « C’est une violation du secret médical, explique Patrick Marest, délégué général de l’Observatoire international des prisons. Les informations sur la santé doivent rester dans le dossier médical du détenu. » « L’OIP rejette ce détournement de la loi pénitentiaire par l’administration pénitentiaire, poursuit-il. D’un côté, on garantit les droits fondamentaux et, de l’autre, on organise le fait que certains auront des droits et d’autres moins. » Pour la CGT, « la pénitentiaire va manquer son grand rendez-vous avec l’Histoire ».

Article d’Alain Salles paru sur LeMonde.fr mercredi 1 juin 2008.

Récidive – « Quand on gère de l’humain, il y a un risque »

Mardi 10 juin 2008

Interview – Tant que les soins en prison et le suivi des libertés conditionnelles ne seront pas améliorés, il y aura de la récidive, estime Martine Lebrun, représentante des juges d’application des peines
Le procès des assassins présumés de Nelly Crémel s’est ouvert ce lundi devant la cour assises de Melun. Parmi eux, figure un possible récidiviste. A l’époque des faits, en 2005, Nicolas Sarkozy avait tempêté que le juge qui avait osé libérer ce « monstre » devait « payer » pour sa « faute ». Trois ans après, cette phrase a-t-elle laissé des traces dans les esprits ?
Martine Lebrun, présidente de l’Association nationale des Juges d’application des peines : Je crois qu’aucun magistrat n’a oublié les propos tenus par Nicolas Sarkozy. Propos  que l’on pourrait qualifier « d’erreur de langage ». Toute notre difficulté, à nous, juges d’application des peines, est de devoir travailler avec d’une part, ces propos qui résonnent dans nos oreilles et, d’autre part, d’avoir sous nos yeux les textes que la France a signés. En particulier une recommandation du Conseil de l’Europe de 2003 qui explique que la libération conditionnelle est la meilleure façon d’éviter la récidive, et des circulaires de Rachida Dati, prises en 2007, qui nous disent qu’on ne fait pas assez de libération conditionnelle. On a le sentiment de faire le grand écart en permanence.
Toutes nos lois prévoient, quelle que soit la condamnation, même la plus définitive, qu’à un moment donné on puisse demander une libération conditionnelle. C’est un choix de société qu’il faut assumer. Quand on a une demande, on répond oui ou non. Souvent, nous répondons non. Et quand on répond oui, neuf fois sur dix cela se passe bien. Mais il y a une fois, et c’est dramatique, où cela se passe mal.
Depuis l’affaire Crémel, pas moins de trois lois ont été votées pour limiter les risques de récidive. Pourtant, il y a eu Bruno Cholet, arrêté en avril dernier pour le meurtre d’une Suédoise. Aujourd’hui encore, un homme a été arrêté à Marseille pour le viol d’un petit garçon. Il avait déjà été condamné pour des faits identiques…
M.L. : Ce sera comme cela tant que tous les efforts ne seront pas portés au tout début de la première incarcération. Il y a un travail énorme à faire en matière de suivi, de soins etc… Combien de détenus ressortent de prison sans avoir vu un seul psychiatre ou psychologue parce qu’ils étaient sur liste d’attente ? La France a un retard considérable. Dans d’autres pays, comme au Canada, ils ont mis des moyens énormes et arrivent ainsi à soigner au moins une personne sur deux avant sa libération. Ce n’est pas négligeable !
Vous comprenez l’indignation de l’opinion publique ?
M.L. : Oui, mais à partir du moment où on gère de l’humain, on ne peut pas faire croire à l’opinion publique que c’est sans risque. Mettre un enfant au monde, c’est un risque. Se marier, c’est un risque. Libérer quelqu’un, c’est un risque. Faire croire que la justice pourrait endiguer ce risque, ce n’est pas possible.
Qu’est-ce qui garanti aujourd’hui, dans votre fonctionnement, quand vous libérez quelqu’un en conditionnelle, que les risques de récidive sont limités au maximum ?
M.L. : C’est là où le système est le plus faible. Au moment où l’on doit prendre la décision d’une libération conditionnelle, nous avons beaucoup d’investigations, d’avis divers et d’expertises médicales qui sont réunis dans un dossier et qui nous permettent de statuer. Le problème, il est après.
Je compare souvent notre travail à celui d’un chirurgien qui fait une greffe. Quand il a fini sa greffe, ce chirurgien a toute une équipe derrière lui : des infirmières, des psychologues, des experts, qui suivent le patient. Le problème chez nous, c’est qu’il n’y a pas d’équipe. C’est le service pénitentiaire d’insertion et de probation qui est chargé de veiller à ce que la personne libérée respecte ses obligations. Malheureusement, ce service est saturé. Une personne doit suivre 120 à 140 dossiers en même temps. Même si elle est dévouée, c’est impossible ! Qui nous dit qu’il n’y a pas des signaux avant qu’un grand criminel repasse à l’acte ? On ne pourra pas le savoir tant que nous n’aurons pas d’équipe dédiée, qui analyse ses déplacements, ses rencontres, son travail, ses ruptures… Bref, qui le suive vraiment.
Dans le rapport qu’il a remis au chef de l’Etat la semaine dernière, le président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda, a tenu compte de ces remarques. Après, c’est une question de choix budgétaire. Peut-être faudrait-il ne pas construire une nouvelle prison et mettre cet argent dans des équipes spécialisées. Cela vaudrait le coût d’y réfléchir. 

Propos recueillis par Alexandra GUILLET sur LCI.fr le 09 juin 2008.

Folies meurtrières

Jeudi 15 mai 2008

Folies meurtrières, rencontres avec des criminels dans un hôpital prison (diffusion le 26 mai à 20H40 sur France 5)
PARIS, 15 mai 2008 (AFP) – 15/05/2008 08h11 – Ce sont des schizophrènes ou des psychopathes, des criminels, parfois des meurtriers. Jugés pénalement irresponsables, ils sont internés dans un hôpital prison à Avignon, que la réalisatrice Agathe Lanté a filmé pour un documentaire intitulé « Folies meurtrières » pour France 5.

L’Unité pour malades difficiles d’Avignon (une des cinq UMD existant en France) est « un hôpital aux allures de pénitencier pour contenir des personnes devenues incontrôlables »", décrit la réalisatrice. Elle y a passé trois semaines afin « de donner la parole aux malades », explique-t-elle à l’AFP.

« On ne les entend jamais. La folie a toujours fait peur », souligne Agathe Lanté. Elle-même reconnaît avoir eu peur, le premier jour de tournage. Avant de se sentir plus en confiance. Des règles de sécurité ont été respectées tout au long du tournage: les portes des chambres où elle se trouvait avec son cameraman restaient ouvertes et ils étaient toujours accompagnés d’au moins un membre du personnel.

Surtout, très vite, elle a eu « de vrais échanges » avec certains malades. « J’ai fait de belles rencontres avec des personnes à la fois touchantes et criminelles », ajoute Agathe Lanté. Avec l’une d’elle, Chico, elle a passé des après-midi entières à discuter à la cafétéria de l’hôpital.

« Un soir, alors qu’il faisait la vaisselle, il s’est mis à parler du meurtre de sa femme, très +naturellement+ », se souvient-elle. Dans le documentaire, on voit Chico expliquer pourquoi il a tué son épouse, à coups de couteau: « Elle s’amusait à regarder d’autres personnes. Il y a des regards qui ne trompent pas. (…) Une voix dans ma tête a dit « oui ». J’ai fait confiance en la voix et je l’ai tuée », raconte-t-il.

La réalisatrice a également suivi Karim. Il a étranglé sa compagne, âgée de 28 ans. En première instance, il avait été jugé irresponsable. Une décision inacceptable pour la famille de la victime et le parquet général, qui a fait appel. Le procès pose la question cruciale du discernement de Karim au moment des faits.

Le film donne à voir la douleur de la famille de la victime. « Vous voulez que je me fasse passer pour une folle ? Que j’aie une bouffée délirante ? », hurle la mère en marge du procès.

« Vous vous rendez compte, quand on tue votre fille et que (le meurtrier) est acquitté », crie la mère. « Il y a des malades psychiatriques, mais lui non », croit-elle savoir. Un jugement partagé par le tribunal puisque Karim sera finalement condamné à 17 ans de prison.

Le documentaire a été tourné au moment du débat sur l’irresponsabilité pénale, souligne la réalisatrice. Il a été suscité par le non-lieu psychiatrique requis contre l’auteur présumé du meurtre en 2004 de deux infirmières dans un hôpital psychiatrique de Pau.

Depuis avril 2008, une loi institue une audience publique pour les déclarations d’irresponsabilité pénale en cas de trouble mental.

La réalisatrice n’entend pas prendre position avec ce documentaire. En revanche, elle estime que « ça n’a aucun sens de juger quelqu’un qui n’a pas conscience de l’acte commis ».

La loi pourrait ne pas être respectée

Mercredi 14 mai 2008

Le 12 juin prochain, il ne sera plus possible de déroger au principe de l’encellulement individuel. En effet, la loi n° 2003-495 du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière introduit la disposition suivante dans l’article 716 du code de procédure pénale (CPP) : il peut être dérogé au principe de l’encellulement individuel « dans la limite de cinq ans à compter de la promulgation de la loi (…) si la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou le nombre de détenus présents ne permet pas un tel emprisonnement individuel ». 63 211 personnes étaient détenues écrouées au 1er avril 2008, pour 50 631 places opérationnelles. Que compte faire le ministère de la Justice pour se mettre en conformité avec la loi et respecter le principe de l’encellulement individuel en juin prochain ?

Construire à la hâte environ 13 000 places supplémentaires ? Libérer massivement des personnes ? Si oui,lesquelles ? En aménagement de peine, en sortie sèche ? S’empresser defaire exécuter en milieu ouvert toutes les peines de moins d’1 an, demoins de 2 ans (comme le préconise dans son rapport le comitéd’orientation restreint pour la loi pénitentiaire) ? Toutes cessolutions, dans la mesure où elles seraient prises dans laprécipitation, ne sauraient offrir une réponse adaptée à un problèmechronique, connu depuis des décennies. Alors que l’échéance du 12 juin2008 s’approchait, le gouvernement n’a eu de cesse de faire voter deslois de plus en plus répressives, conduisant en prison de plus en plusde personnes. La loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre larécidive des majeurs et des mineurs, instaurant notamment les peinesplanchers, est particulièrement révélatrice à ce sujet. La politiquepénale et la politique pénitentiaire sont liées. Adopter une politique pénale répressive sans engager de réforme profonde de la prison est un non-sens, quoi que l’on puisse penser par ailleurs du tout répressif en matière pénale.

Il y a, en toutes circonstances, quels que soient les actes commis, un respect dû aux personnes, à leur dignité, à leur intégrité. Cela est de toute évidence impossible lorsque il y a surpopulation carcérale. Le 12 juin 2008 ne marquera sans doute pas la fin de ce problème, en dépit de l’obligation faite par la loi. Il suffira à nos législateurs d’ajouter un alinéa pour être en conformité avec la loi, mais cela ne changera pas le problème.

Communiqué de la rédaction de Ban Public, mai 2008.

«Respecter le « numerus clausus » contre la surpopulation carcérale»

Jeudi 8 mai 2008

NumeruscircusLa Campagne «Trop c’est trop», qui a été lancée depuis Lyon voilà près de deux ans, se bat contre la surpopulation carcérale, en exigeant le respect du numerus clausus. Elle organise une soirée ce lundi aux Bouffes-du-Nord à Paris. Cela s’appelle Numerus circus, avec des artistes comme les Têtes raides, Lo’Jo,  Bertrand Tavernier, Marc Perrone, etc (1). Bernard Bolze, coordinateur de la campagne, explique le combat de cette dernière, et la faiblesse des mobilisations politiques rencontrées…

 

Comment résumer le combat mené par la campagne «Trop c’est trop» depuis janvier 2006 ?

 

C’est une campagne menée spécifiquement ­contre la surpopulation carcérale, en demandant le respect du numerus clausus, nombre clos, arrêté, pour chaque prison. Le terme a l’inconvénient de ne pas être compréhensible pour tout le monde, mais on peut le résumer ainsi : dans une place, une personne. C’est le droit à l’encellulement individuel, pour ceux qui le souhaitent. Cet angle d’attaque précis et ponctuel ne prétend pas traiter de l’immensité des problèmes qui se posent à la prison. Mais si le numerus clausus était respecté, un problème important serait réglé.

 

Cela peut aussi constituer un encouragement à construire de nouvelles places?

 

Il y a trois façons de faire respecter le numerus clausus. En limitant les incarcérations lorsqu’il n’y a plus de place. En faisant sortir des détenus proches de la fin de leur peine, par l’aménagement, souhaitables pour les victimes puisque les sorties sèches favorisent la récidive. Enfin en construisant d’autres prisons. Mais nous nous opposons à la construction de nouvelles places, nous avons toujours été clairs sur ce point. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas remplacer les prisons les plus vétustes.

 

La campagne dure depuis plus de deux ans. La soirée d’aujourd’hui correspond-elle à une échéance précise ?

Oui, celle du 15 juin 2008. Au départ, les parlementaires avaient décidé, en 2000, qu’au 15 juin 2003, l’encellulement serait individuel. Puis, le 12 juin 2003, la France, prétextant n’avoir pas eu le temps de s’y préparer, l’échéance a été reportée au 15 juin 2008. Nous craignons que cette fois-ci encore, à la faveur d’un vote nocturne, il y ait un report. Ce ne sera jamais le bon moment pour faire appliquer le numerus clausus. Il n’y aura jamais assez de place. Donc le bon moment, c’est maintenant. Il faut une forte mobilisation, une forte attention publique, pour exiger cela.

 

Quels soutiens politiques avez-vous trouvés sur cette question ?

 

L’idée de la surpopulation carcérale et de ses effets est devenue un lieu commun, une réalité sue de tous, et rappelée régulièrement dans les médias. Mais elle n’envahit pas le quotidien, elle ne s’impose pas comme prioritaire. Peut-être parce qu’elle ne touche la société qu’à sa marge. Nous avons reçu beaucoup de soutiens politiques cependant. Ceux de Marielle de Sarnez (Modem), de Dominique Strauss-Khahn (PS), de Julien Dray (PS), de Christine Boutin (UMP), du Parti communiste, des Verts. Mais les élections se gagnant désormais sur des thématiques sécuritaires, nous n’avons pas réussi à faire vivre ce combat ces derniers mois. Pendant les présidentielles, la gauche a été très timorée sur cette question. La candidate Ségolène Royal a été abreuvée d’informations sur cette question, mais elle l’a délibérément laissée de côté . Elle n’a répondu à aucune de nos sollicitations.

 

Il y a cinq ans, votre campagne sur la double-peine avait réussi à convaincre Nicolas Sarkozy de faire voter sa quasi-disparition de la double peine. Quel écho avez-vous rencontré cette fois de l’Elysée ?

 

Il y a eu, je crois, une vraie perspective d’être entendu par l’équipe de Sarkozy, dans les huit ou dix premiers mois. Nous avions de bons contacts. Avant Noël, nous avons cru qu’il y avait la possibilité qu’il réalise un coup politique, comme il l’avait fait avec la double peine. Durcir la législation, avec notamment les peines plancher, et en même temps prendre la gauche de vitesse sur une question qu’elle aurait dû régler depuis longtemps. A présent, nous sentons que c’est trop tard. Le degré de déception dans l’opinion et surtout chez les parlementaires UMP est si fort, la défaite aux municipales si magistrale, qu’il n’osera plus franchir ce pas. Fragilisé, il ne peut réagir qu’en mettant la barre tout à droite.

 

 

Propos recueillis par Ol.B., article paru sur LibéLyon.fr.

(1) Nunerus Circus : Bouffes du Nord. 37 bis, Bld de la Chapelle, 75010 Paris. 20h. 14 euros. Le site de la campagne : www.tropctrop.fr

 

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