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Une analyse biopolitique de la « castration chimique »

Jeudi 19 novembre 2009

« Pendant que je suis mon protocole d’autoadministration de testotérone, plusieurs gouvernements européens, parmi lesquels le gouvernement français et le Généralité de Catalogne, étudient l’utilisation de techniques de « castration chimique » comme traitement pénal (plutôt que thérapeutique) des criminels sexuels (et particulièrement des pédophiles). L’intention du président français Nicolas Sarkozy, rendue publique le 21 août 2007, de créer une loi qui prescrive l’utilisation de thérapies de castration chimique pour les délinquants sexuels, est une étape franchie dans l’excalade des volontés politiques pour produire et contrôler la sexualité masculine. Quels sont les processus de transformation corporelle qu’entraîne réellement ladite castration chimique ? Quand, comment et sur quels corps a-t-on déjà utilisé des moyens similaires de gestion pharmacologique de l’identité ? Quelles sont les fictions politiques de la masculinité et de la féminité sous-jacentes à ce projet de loi, et quel type de sujet cherchons-nous à produire collectivement ?

« Fouillons dans nos archives pharmacopolitiques : la castration chimique consiste à administrer un cocktail plus ou moins chargé d’antiandrogènes, c’est-à-dire de molécules inhibant la production de testostérone. Si l’un des effets des antiandrogènes peut être la baisse du désir sexuel (considéré dans ce cas comme excitation et réponse érectile), on omet souvent de signaler que les effets secondaires de ces drogues sont : diminution de la taille du pénis, développement des seins, modification de la masse musculaire, accumulation des graisses dans la région des hanches. Appelons les choses par leur nom : il s’agit d’un processus de « féminisation hormonale ». Nous ne devrons pas nous étonner de découvrir que des substances aux effets antiandrogènes similaires sont utilisées (volontairement) par les transsexuels commençant un processus de féminisation et de changement de sexe.

« Malgré sa volonté renaturalisante, le régime pharmacoporno ne cesse de révéler ses fondations ultra-constructivistes. Explorant l’histoire politique de cette technique moléculaire, nous apprenons qu’il fut utilisé dans les années 50 dans le traitement répressif de l’homosexualité masculine : ce fut par exemple la thérapie appliquée par la justice anglaise à Alan Turing, un des inventeurs de la science informatique moderne. Accusé d’ »homosexualité, indécence grave et perversion sexuelle », il fut contraint de se soumettre à une thérapie hormonale. Signe d’une certaine confusion scientifique, le même médicament fait partie des recherches actuelles sur la « bombe gay », composé hormonal avec lequel l’armée américaine entend transformer ses ennemis en homosexuels.

« Ce que ces faits mettent en évidence, c’est que la castration chimique (ou plutôt la féminisation hormonale) est un dispositif visant moins à réduire les agressions sexuelles qu’à modifier le genre de l’agresseur présumé. Il convient de signaler que ces thérapies sont exclusivement pensées en fonction de la figure masculine de ce que Sarkozy appelle le « prédateur sexuel ». Pour châtier et contrôler la sexualité masculine, on la transforme symboliquement et corporellement en féminité. Ce qui aboutit à un double effet, que nous connaissons déjà : criminalisation politique de la sexualité masculine et victimisation de la sexualité féminine. »

Beatriz Preciado, Testo Junkie. Sexe, drogue et biopolitique, Paris, Grasset, 2008.