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Archive pour 31 juillet 2008

Le parcours ordinaire et dramatique de Manuel Lopez, mort à la Santé

Jeudi 31 juillet 2008

Le 4 juillet 2005, Manuel Lopez s’était juré de ne plus revenir en prison. Ce jour-là, il bénéficiait d’une journée de permission pour entrer en contact avec un centre de formation, où il pourrait aller quelques mois plus tard, dans le cadre d’un aménagement de peine. Il n’avait plus que quelques mois à passer au centre pénitentiaire d’Avignon (Vaucluse). Il vivait ses dernières semaines d’« enfer ».

Mais tout s’est mal passé ce jour-là. Il est violemment frappé par un de ses codétenus, avant de sortir. Une photo prise peu après montre son visage tuméfié. Quand il se rend à ce rendez-vous, qu’il a fallu plusieurs semaines à mettre en place, son interlocuteur a eu un empêchement de dernière minute. Il faut tout recommencer, les papiers, les procédures. La peur, surtout, revient.

Ce jour-là, il décide donc de ne pas réintégrer sa cellule. Son avocate prévient le directeur de l’intention d’évasion de son client : « Depuis que l’homosexualité de M. Lopez a été révélée, ce dernier vit, selon ses propres termes, un enfer : il fait l’objet d’insultes quotidiennes émanant de détenus, auxquelles les surveillants témoins ne répondent que par une inertie convenue (…). Il ne supporte plus, alors même qu’il est éligible à un aménagement de peine à la rentrée, d’être ainsi malmené, dans un lieu où il n’est pas en sécurité. » Elle rappelle qu’il a fait une tentative de suicide en avril. Il va rester trois ans en cavale.

« APPEL AU SECOURS »

Lorsque Manuel Lopez arrive, le 6 mars 2008, à la prison de la Santé à Paris, en fin de matinée, il n’y reste pas longtemps. Des surveillants le découvrent vers 19 heures pendu avec un drap accroché aux barreaux de sa cellule. Il avait 27 ans. Et venait d’être interpellé, le 4 mars vers 17 heures, pour « violences volontaires aggravées » au cours d’une dispute avec son ami. La police découvre alors qu’il était recherché et en état d’évasion. Il est placé en garde à vue au commissariat du 18e arrondissement, avant d’être hospitalisé à l’Hôtel-Dieu.

Son dossier médical indique qu’il a pris quinze cachets de Lexomil avant la garde à vue. Il fait état de sa tentative de suicide en prison, geste interprété comme un « appel au secours ». Le lendemain, un autre docteur note qu’il « a redécoré sa chambre avec le plateau du petit déjeuner ». Le médecin précise : « A mon arrivée, boude comme un enfant, ne souhaite pas échanger de paroles. » Quand son père, Jean-Pierre Lopez, lit ces phrases, il comprend que son fils a décidé d’en finir. Il avait appelé plusieurs fois le commissariat du 18e pendant la garde à vue, pour alerter les policiers sur la fragilité et les tendances suicidaires de son fils. Son petit ami indique, en procès verbal, qu’il ne veut pas déposer plainte, en prévenant : « Il a déjà fait une tentative de suicide en prison il y a quelques années. » Aucun de ces signaux d’alerte n’a été transmis à l’administration pénitentiaire.

Manuel Lopez avait été condamné à trois ans de prison pour trafic d’ecstasy. « Il a fait des erreurs. Il a été jugé. Il aurait purgé sa peine si elle s’était déroulée dans des conditions humaines, explique son père. On ne rentre pas dans un endroit où l’on sait que l’on va être frappé. » Il vient de porter plainte contre X… pour non-assistance à personne en danger, après la décision du parquet de Paris de classer sans suite l’affaire. Manuel Lopez n’a pas été l’objet d’une surveillance particulière à son arrivée à la prison de la Santé. Les nouveaux arrivants sont reçus par une équipe médicale et la direction, à leur arrivée ou dans les vingt-quatre heures, dans le cadre des dispositifs de lutte contre le suicide, qui en ont fait baisser le nombre.

Manuel Lopez n’a pas eu le temps d’avoir ces rendez-vous. « Quelqu’un qui sort de l’Hôtel-Dieu après avoir absorbé quinze cachets doit bénéficier d’une surveillance spéciale en arrivant en détention », explique l’avocate du père, Marie Dosé. Sa fiche d’écrou mentionne seulement qu’il a été hospitalisé pendant sa garde à vue. Il est resté calme dans sa cellule. Vers 18 heures, il a demandé qu’on lui change sa télévision et qu’on lui donne une cigarette.

Manuel Lopez n’en avait pas tout à fait fini avec la justice. La procédure pour violence contre son conjoint a continué à prospérer dans le train-train de la justice ordinaire. Le 8 avril, un mois après sa mort, il a été condamné à un mois de prison avec sursis.

Article d’Alain Salles paru sur LeMonde.fr le 29 juillet 2008.

Le projet de loi pénitentiaire enterre le principe d’un détenu par cellule

Jeudi 31 juillet 2008

Le projet de loi pénitentiaire présenté lundi 28 juillet met fin à l’obligation de l’encellulement individuel des prévenus. Prévu dans la loi française depuis 1875, ce principe n’a jamais été appliqué.

L’article 716 du code de procédure pénale prévoit que « les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire, sont placées soit en cellule individuelle soit en cellule collective. Celles d’entre elles qui en font la demande sont placées en cellule individuelle ». Pour respecter le droit à l’intimité et éviter les agressions entre détenus, la loi prévoit qu’elles « sont placées au régime de l’encellulement individuel de jour et de nuit ».

En 2000, les députés avaient voté à l’unanimité la suppression, dans un délai de trois ans, des différentes dérogations à l’encellulement individuel. Mais un nouveau moratoire de cinq ans a été voté en 2003, jusqu’au 13 juin 2008.

« Le gouvernement transforme ce qui était un droit important en une faveur, s’insurge le délégué général de l’Observatoire international des prisons (OIP), Patrick Marest. Il utilise le concept d’un homme, une place – avec lequel nous sommes en désaccord – pour enterrer l’encellulement individuel. C’est un jour noir pour les droits des détenus. »

INTÉRÊT DES DÉTENUS

La ministre de la justice, Rachida Dati, défend une approche « pragmatique ». L’exposé des motifs du projet de loi est net : « Le principe de l’encellulement individuel ne pourra pas être respecté en 2012. En effet, les nouveaux établissements pénitentiaires comportent de manière systématique des cellules collectives. Il en va de même pour les établissements plus anciens. »

Ainsi, dans la prison en construction de Lyon-Corbas, que Mme Dati a visitée lundi 28 juillet, 256 détenus seront en cellules doubles et 252 en cellules individuelles. Pendant que les députés continuaient en 2003 à défendre l’encellulement individuel tout en prolongeant le moratoire pour l’appliquer, le plan de construction de 13 200 places de prison prévoyait une majorité de cellules collectives.

L’exposé des motifs va encore plus loin : « Le gouvernement est aujourd’hui convaincu que l’encellulement individuel pour tous ne doit plus être considéré comme l’objectif à atteindre absolument. En effet, il n’est en rien démontré que ce mode d’hébergement soit conforme à la demande réelle même des détenus et à leur intérêt. A l’inverse, il est constaté que beaucoup de détenus ne souhaitent pas être seuls en cellule, notamment dans les maisons d’arrêt, où les périodes d’incarcération sont relativement courtes. » Le projet de loi prévoit que les condamnés à deux ans de prison (au lieu d’un an aujourd’hui) resteront en maison d’arrêt.

Les règles pénitentiaires européennes indiquent, elles, que « chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle ». Le gouvernement s’engage à respecter la règle indiquant qu’une cellule est « partagée, uniquement si elle est adaptée à un usage collectif » et si les détenus sont « aptes à cohabiter ». Mais nul ne sait combien de cellules sont adaptées à un usage collectif. Et le nombre de cellules individuelles n’est plus communiqué par l’administration pénitentiaire.

En 2002, il y avait 34 000 cellules individuelles (dont la dimension, 9 m2, ne devrait pas permettre d’y mettre plus d’un détenu) pour un nombre total de cellules de 40 000 et un nombre de places disponibles de 49 000. Aujourd’hui, le nombre de places est de 50 800. Il doit être de 63 000 en 2012.

Trois jours avant l’échéance du 13 juin, le ministère de la justice a pris un décret pour répondre aux demandes des prévenus, « dans la maison d’arrêt la plus proche ». Mais le taux d’occupation des maisons d’arrêt était de 145 % au 1er avril. Depuis, la population carcérale a atteint le niveau record de 64 250 détenus. Un nombre limité de maisons d’arrêt ont encore de la place. C’est le cas de Mont-de-Marsan, Pau, Laon, Aurillac, Ajaccio, Digne, Epinal, Cahors ou Rodez.

Le ministère de la justice constate qu’il y a très peu de demandes : moins de 40, sur 17 495 prévenus. Lors de la consultation organisée en 2006 par l’OIP auprès de 15 000 détenus, 84 % des prévenus déclaraient qu’une cellule individuelle était l’une de leurs attentes et 52 % des détenus estimaient qu’il s’agissait d’une des premières mesures à prendre pour améliorer leurs conditions. L’OIP devait déposer, mercredi 30 juillet, un recours devant le Conseil d’Etat contre ce décret.

Article d’Alain Salles paru sur LeMonde.fr le 31 juillet 2008.