Lucien Léger, ex-plus ancien détenu de France, est mort

Il avait passé quarante et un ans en prison pour l’enlèvement et le meurtre d’un garçon de 11 ans en 1964. En liberté conditionnelle depuis 2005, Lucien Léger, 71 ans, a été retrouvé mort, vendredi 18 juillet, à son domicile de Laon, dans l’Aisne.

« Nous avons été avisés par les pompiers, eux-mêmes prévenus par des voisins, alertés par des odeurs suspectes provenant de son appartement », a-t-on précisé au commissariat de Laon, précisant qu’on « s’[orientait] plus vers une mort naturelle ». Selon les premiers éléments de l’enquête, Lucien Léger serait mort « depuis une quinzaine de jours ».

Longtemps resté dans les annales pour l’affaire dite « de l’étrangleur », Lucien Léger est, au fil des années et de ses treize demandes de libération conditionnelle sans réponse, devenu « le plus vieux prisonnier de France », figure du débat autour des longues peines d’enfermement.

Dépèche AFP parue le 18 juillet 2008


Lucien Léger n’eut longtemps qu’un seul visage. Celui d’un petit homme brun à l’oeil sombre, arrêté en 1964 pour le meurtre d’un enfant, et qui avait fait trembler la France quarante jours durant en inondant journalistes et policiers de messages signés « l’Etrangleur ».

Quarante et un ans plus tard, lorsqu’il sort de prison, les cheveux blanchis mais le regard toujours aussi intense, il est devenu le symbole du combat contre les longues peines. C’est à Laon (Aisne), au domicile où il vivait en liberté conditionnelle, qu’il a été retrouvé mort, vendredi 18 juillet. Vraisemblablement depuis plusieurs jours et de « cause naturelle », selon les premiers éléments de l’enquête.

Né le 30 mars 1937 dans une modeste famille ardennaise, Lucien Léger entre dans les annales judiciaires au printemps 1964. Le 27 mai, un enfant de 11 ans, Luc Taron, a été étranglé près de Paris. Bientôt, celui qui, selon les enquêteurs, ne peut être que le coupable envoie des lettres aux parents, à la police, à la presse : il annonce d’autres crimes, se décrit comme « la graine qui pousse dans le printemps des monstres » et signe « l’Etrangleur », 58 fois.

La psychose est déjà bien installée lorsqu’apparaît un témoin étrange : Lucien Léger, infirmier à Villejuif (Val-de-Marne), qui prétend que l’assassin lui a volé sa voiture. L’histoire, qu’il raconte volontiers devant les photographes, intrigue les enquêteurs. Ils perquisitionnent chez lui, l’interrogent. Au bout de quelques heures, Léger avoue qu’il a rencontré l’enfant dans le métro, à Paris, et qu’il l’a emmené en voiture dans le bois de Verrières, puis étranglé, sans expliquer son geste.

Mais quand son procès s’ouvre, en mai 1966, à Versailles, Lucien Léger a encore une autre histoire à raconter aux juges et aux jurés, au public qui se dispute les places de la salle d’audience, aux meilleurs chroniqueurs judiciaires : il a écrit les messages de « l’Etrangleur », certes, mais c’est un mystérieux « Monsieur Henri » qui a tué l’enfant. Malgré les exhortations du président de la cour d’assises, André Braunschweig, et de Me Albert Naud, son avocat, qui tentent de lui éviter la peine de mort, l’accusé refuse de donner plus de détails.

Le jury ne croit pas à son scénario, mais écoute les experts, qui expliquent son comportement par « une crise de vedettisme » et concluent à une certaine « atténuation de sa responsabilité ». Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, Léger ménage un dernier coup de théâtre en donnant l’adresse du fameux Henri. Après une ultime et vaine vérification, la porte de la prison se referme sur lui, pour longtemps.

En 1979, il dépose la première des treize demandes de libération conditionnelle qui lui seront toutes refusées. Est-ce la crainte de réveiller la psychose de « l’Etrangleur » ou la haine d’Yves Taron, qui avait promis de tuer le meurtrier de son fils s’il était libéré ? Ce n’est qu’en 2005, à sa quatorzième requête, que Lucien Léger, devenu le plus ancien détenu de France, retrouve la liberté.

Il a étudié le droit en prison, et son propre dossier, sans relâche. Depuis sa libération, il continuait à militer contre les longues peines auprès de ceux, nombreux, qui l’avaient soutenu. En avril, il était encore devant la Cour européenne des droits de l’homme, afin d’obtenir, en appel, une condamnation de la France pour « traitement inhumain et dégradant et détention arbitraire ». Il promettait aussi de nouvelles révélations sur son affaire. Il était redevenu brun.

Article d’Isabelle Talès paru dans Le Monde le 19 juillet 2008.

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