Archive pour juin 2008

Y a-t-il une alternative à la prison ?

Mercredi 11 juin 2008

La prison en France est malade. Censée éviter la récidive des condamnés et permettre leur réintégration dans la société, elle favorise au contraire, par la promiscuité et la vétusté de ses structures, le désir de vengeance, la haine et finalement de nouveaux crimes et délits. L’insécurité pose la question de la punition. Mais faut-il tout punir par l’enfermement ?

Dossier publié sur LeMonde.fr le 08 mai 2002.

L’encellulement individuel des prévenus différé de cinq ans

Mercredi 11 juin 2008

Le ministère de la justice a transmis lundi 9 juin, au Conseil d’Etat un avant-projet de loi pénitentiaire qui devrait être présenté au Parlement à l’automne. Le texte traduit des avancées importantes dans le développement des aménagements de peine, mais les associations sont déçues par le volet consacré aux conditions de détention. De nombreux articles renvoient à des décrets, destinés à préciser leur application.

Le projet de loi pose le principe de l’encellulement individuel pour les personnes en détention provisoire qui le demandent, mais pour aussitôt prévoir des dérogations. Elles peuvent être placées en cellule collective, « sous réserve que celle-ci soit adaptée au nombre de détenus qui y sont hébergés, et que les détenus soient reconnus aptes à cohabiter ». Mais surtout le texte prévoit de surseoir à nouveau à l’encellulement individuel pendant cinq ans « si la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou le nombre de détenus présents ne permet pas \[son\] application ».

En 2000, les députés avaient rendu obligatoire l’encellulement individuel pour les prévenus, dans un délai de trois ans. En 2003, un nouveau délai de cinqans avait été voté, qui arrive à échéance le 13 juin. Le texte prévoit un nouveau délai à partir de la promulgation de la loi. Entre-temps, un décret devrait être pris par le gouvernement pour gérer les demandes des prévenus qui souhaitent être seuls. Les exceptions à l’encellulement individuel « en raison de la distribution intérieure des locaux de détention ou de leur encombrement temporaire » sont maintenues pour les condamnés.

Pour réduire la surpopulation carcérale, le gouvernement veut développer les aménagements de peines et notamment le placement sous bracelet électronique. Le projet de loi prévoit déjà de limiter le recours à la détention provisoire, en instituant une assignation à résidence, sous surveillance électronique, décidée par le juge, pour une durée maximum de six mois renouvelables. Le code pénal prévoira que l’emprisonnement ferme sera prononcé uniquement dans le cas où « toute autre sanction serait manifestement inadéquate ». La possibilité d’un aménagement sera systématiquement examinée pour toutes les peines inférieures à deux ans. Dans les faits, le développement des aménagements de peine se heurte aux déficits de travailleurs sociaux, en conflit avec l’administration pénitentiaire depuis plus d’un mois.

« DROITS FONDAMENTAUX »

Le texte inscrit dans la loi que « l’administration pénitentiaire garantit à tout détenu le respect des droits fondamentaux inhérents à la personne ». Il prévoit de considérer, à leur demande, l’établissement pénitentiaire comme le domicile des personnes détenues, pour leurs droits sociaux et leur inscription sur les listes électorales. Le projet de loi va généraliser l’entrée dans les prisons du téléphone, pour les prévenus comme pour les condamnés. Sauf s’il apparaît « que les communications risquent d’être contraires à la réinsertion du détenu ou à l’intérêt des victimes ». A défaut d’un contrat, le travail en détention sera régi par un « acte d’engagement professionnel ». Des minimums sociaux seront accordés aux détenus les plus pauvres.

L’encadrement du régime disciplinaire traduit une avancée, suivi d’un recul. Si le projet de loi reprend l’idée d’une échelle de 7, 14 et 21 jours pour le placement en cellule disciplinaire, c’est pour y ajouter une autre catégorie de 40 jours pour « tout acte de violence physique contre les personnes ». Le maximum est de 45 jours aujourd’hui. Les visites et les communications téléphoniques seront autorisées, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Le régime de détention des détenus sera déterminé en fonction de « leur personnalité, leur dangerosité et leurs efforts en matière de réinsertion sociale et de prévention de la récidive ». L’introduction du concept de dangerosité, dont le flou a été dénoncé lors des débats parlementaires sur la rétention de sûreté, suscite l’inquiétude. Tout détenu arrivant fait l’objet d’un bilan de personnalité sur son état physique et mental, son éventuelle fragilité psychologique, ses aptitudes scolaires et professionnelles. Ce bilan est classé au dossier individuel du détenu. « C’est une violation du secret médical, explique Patrick Marest, délégué général de l’Observatoire international des prisons. Les informations sur la santé doivent rester dans le dossier médical du détenu. » « L’OIP rejette ce détournement de la loi pénitentiaire par l’administration pénitentiaire, poursuit-il. D’un côté, on garantit les droits fondamentaux et, de l’autre, on organise le fait que certains auront des droits et d’autres moins. » Pour la CGT, « la pénitentiaire va manquer son grand rendez-vous avec l’Histoire ».

Article d’Alain Salles paru sur LeMonde.fr mercredi 1 juin 2008.

Récidive – « Quand on gère de l’humain, il y a un risque »

Mardi 10 juin 2008

Interview – Tant que les soins en prison et le suivi des libertés conditionnelles ne seront pas améliorés, il y aura de la récidive, estime Martine Lebrun, représentante des juges d’application des peines
Le procès des assassins présumés de Nelly Crémel s’est ouvert ce lundi devant la cour assises de Melun. Parmi eux, figure un possible récidiviste. A l’époque des faits, en 2005, Nicolas Sarkozy avait tempêté que le juge qui avait osé libérer ce « monstre » devait « payer » pour sa « faute ». Trois ans après, cette phrase a-t-elle laissé des traces dans les esprits ?
Martine Lebrun, présidente de l’Association nationale des Juges d’application des peines : Je crois qu’aucun magistrat n’a oublié les propos tenus par Nicolas Sarkozy. Propos  que l’on pourrait qualifier « d’erreur de langage ». Toute notre difficulté, à nous, juges d’application des peines, est de devoir travailler avec d’une part, ces propos qui résonnent dans nos oreilles et, d’autre part, d’avoir sous nos yeux les textes que la France a signés. En particulier une recommandation du Conseil de l’Europe de 2003 qui explique que la libération conditionnelle est la meilleure façon d’éviter la récidive, et des circulaires de Rachida Dati, prises en 2007, qui nous disent qu’on ne fait pas assez de libération conditionnelle. On a le sentiment de faire le grand écart en permanence.
Toutes nos lois prévoient, quelle que soit la condamnation, même la plus définitive, qu’à un moment donné on puisse demander une libération conditionnelle. C’est un choix de société qu’il faut assumer. Quand on a une demande, on répond oui ou non. Souvent, nous répondons non. Et quand on répond oui, neuf fois sur dix cela se passe bien. Mais il y a une fois, et c’est dramatique, où cela se passe mal.
Depuis l’affaire Crémel, pas moins de trois lois ont été votées pour limiter les risques de récidive. Pourtant, il y a eu Bruno Cholet, arrêté en avril dernier pour le meurtre d’une Suédoise. Aujourd’hui encore, un homme a été arrêté à Marseille pour le viol d’un petit garçon. Il avait déjà été condamné pour des faits identiques…
M.L. : Ce sera comme cela tant que tous les efforts ne seront pas portés au tout début de la première incarcération. Il y a un travail énorme à faire en matière de suivi, de soins etc… Combien de détenus ressortent de prison sans avoir vu un seul psychiatre ou psychologue parce qu’ils étaient sur liste d’attente ? La France a un retard considérable. Dans d’autres pays, comme au Canada, ils ont mis des moyens énormes et arrivent ainsi à soigner au moins une personne sur deux avant sa libération. Ce n’est pas négligeable !
Vous comprenez l’indignation de l’opinion publique ?
M.L. : Oui, mais à partir du moment où on gère de l’humain, on ne peut pas faire croire à l’opinion publique que c’est sans risque. Mettre un enfant au monde, c’est un risque. Se marier, c’est un risque. Libérer quelqu’un, c’est un risque. Faire croire que la justice pourrait endiguer ce risque, ce n’est pas possible.
Qu’est-ce qui garanti aujourd’hui, dans votre fonctionnement, quand vous libérez quelqu’un en conditionnelle, que les risques de récidive sont limités au maximum ?
M.L. : C’est là où le système est le plus faible. Au moment où l’on doit prendre la décision d’une libération conditionnelle, nous avons beaucoup d’investigations, d’avis divers et d’expertises médicales qui sont réunis dans un dossier et qui nous permettent de statuer. Le problème, il est après.
Je compare souvent notre travail à celui d’un chirurgien qui fait une greffe. Quand il a fini sa greffe, ce chirurgien a toute une équipe derrière lui : des infirmières, des psychologues, des experts, qui suivent le patient. Le problème chez nous, c’est qu’il n’y a pas d’équipe. C’est le service pénitentiaire d’insertion et de probation qui est chargé de veiller à ce que la personne libérée respecte ses obligations. Malheureusement, ce service est saturé. Une personne doit suivre 120 à 140 dossiers en même temps. Même si elle est dévouée, c’est impossible ! Qui nous dit qu’il n’y a pas des signaux avant qu’un grand criminel repasse à l’acte ? On ne pourra pas le savoir tant que nous n’aurons pas d’équipe dédiée, qui analyse ses déplacements, ses rencontres, son travail, ses ruptures… Bref, qui le suive vraiment.
Dans le rapport qu’il a remis au chef de l’Etat la semaine dernière, le président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda, a tenu compte de ces remarques. Après, c’est une question de choix budgétaire. Peut-être faudrait-il ne pas construire une nouvelle prison et mettre cet argent dans des équipes spécialisées. Cela vaudrait le coût d’y réfléchir. 

Propos recueillis par Alexandra GUILLET sur LCI.fr le 09 juin 2008.

Assemblée Générale du GENEPI

Lundi 9 juin 2008

Le Week-End du 14 et 15 juin se tiendra à Paris l’Assemblée Générale du GENEPI. Tous les membres de l’association sont invités à venir participer aux débats qui auront lieu.

 

Faire le bilan de l’activité du GENEPI : le vote des quitus.

 

L’Assemblée Générale sera l’occasion de faire le bilan de l’activité du GENEPI. Le rapport d’activité 2007-08 et le rapport financier 2007 seront présentés. L’Assemblée Générale est appelée à statuer sur le quitus moral et le quitus financier. Voter ces quitus signifie que l’action du GENEPI est conforme à notre objet social et que les ressources financières ont été utilisées à bon escient.

 

Ce week-end sera aussi l’occasion d’élire les futurs représentants de l’association et les futurs administrateurs. Vous pouvez d’ores et déjà consulter leur professions de foi.

 

Après les Assises le GENEPI prend position.

 

Les 29 et 30 mars derniers se sont tenues, à Clermont Ferrand, les Assises de l’association. Les bénévoles ont débattu et réfléchi pendant deux jours sur différents thèmes.
Trois groupes préparateurs proposent que le GENEPI prenne position sur les questions qui ont été débattues pendant ce week-end.

 

- Consulter la proposition de prise de position sur l’alimentation en détention.
- Consulter la proposition de prise de position sur le procès pénal.
- Consulter la proposition de prise de position sur les étrangers en détention.

 

Le Conseil d’Administration a décidé cette année de proposer de plusieurs réformes :

 

- proposition de réforme du fonctionnement du Conseil d’Administation.
- proposition ajout à la Charte de l’association de l’opposition de l’association à la peine de mort et aux traitements inhumains et dégradants.
- proposition d’arrêt de l’intervention du GENEPI en foyer PJJ et de modification de l’article 4 des statuts.

 

Consulter l’intégralité des statuts et du règlement intérieur avec les modifications proposées.

 

Le samedi soir aura lieu une ISP Nationale sur les quais de Seine.

 

Si vous ne pouvez pas être présents lors de ce week – end, vous pouvez vous faire représenter par un autre génépiste. Téléchargez le document de procuration.

 

 

Prenons nos prisons pour des réalités !

Lundi 9 juin 2008

Le GENEPI (Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées) vous invite le

 

SAMEDI 14 JUIN DE 18H À 22H

à la Péniche Alternat, sur le Port de la Gare à Paris, accès quai Francois Mauriac – 75013 Paris – Métro Quai de la Gare ou Bibliothèque François Mitterand, pour une soirée d’information et de sensibilisation sur la prison et la Justice pénale.Surpopulation, taux d’incarcération records, rétention de sûreté,contrôleur général, etc. Nous nous interrogerons sur la politique pénale actuelle et ses conséquences.Projection de films en plein air, stands d’information, reproduction d’une cellule de9m², expositions de photographies, fanfares,artistes de cirque, jongleurs, et autres animations diverses.

Contacts du GENEPI :communication@genepi.fr – 06 70 46 73 58

Lettre ouverte à Mme Dati, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux.

Lundi 9 juin 2008

« Politique Pénale : il est temps de changer de perspective. »

Madame Dati, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux,

C’est en tant qu’association présente au coeur des prisons françaises depuis 1976, partenaire du ministère de la Justice et attachée au respect des droits de l’Homme que nous souhaitions réagir àla politique pénale actuelle, poser un diagnostic et préconiser modestement quelques pistes d’amélioration et de réforme.

Tout d’abord nous nous satisfaisons de votre volonté affichée de s’attaquer à la question de lasurpopulation carcérale. Le 19 mai 2008 vous avez en effet annoncé que vous alliez »prochainement » prendre un décret pour « organiser la mise en oeuvre » de l’obligationd’encellulement individuel des détenus, à laquelle la France déroge actuellement. Cependant, cette annonce nous a particulièrement étonnée au regard de son inadéquation avec lesperspectives dessinées par la politique pénale depuis plusieurs mois. La tendance est, en effet, àl’incarcération en nombre et cette tendance semble submerger toutes les tentatives d’améliorerdes conditions de vie dans les prisons françaises. Le GENEPI est attaché, quant à lui, au principeréaliste et pragmatique « une place, une personne ». Nous doutons que cela puisse devenir uneréalité par l’unique publication d’un décret alors que les prisons françaises connaissent unesituation très inquiétante avec 14 124 détenus en surnombre au 1er mai 2008.1

Resituons la problématique dans un cadre historique. C’était, le 5 juin 1875, après des travauxd’enquête conséquents sur le régime des établissements pénitentiaires et la rédaction d’un rapportqui portera le nom du député porteur du projet, M. d’Haussonville, le Parlement de la IIIèmeRépublique, toute nouvellement installée, votait le principe de l’encellulement individuel des ondamnés. 2

Plus d’un siècle s’est écoulé, la France compte, au 1er mai 2008, 67 338 personnes sous écrou dont63 645 personnes incarcérées pour 50 631 places opérationnelles. Certaines maisons d’arrêtconnaissent aujourd’hui des taux de surpopulation supérieurs à 200 % et parfois même à 300 %.Nicolas Sarkozy, alors candidat, s’était pourtant engagé, lors des Etats Généraux de la condition pénitentiaire, à ce que soit garanti « le principe de l’encellulement individuel pour toute personnequi le souhaite, dans des conditions respectueuses de l’intimité ». La surpopulation carcérale est un fléau qui annihile toutes les actions menées en faveur de l’amélioration des conditions de viecarcérale et qui obère les efforts en faveur de la réinsertion. La perspective qui se dessine est des plus inquiétantes : on compte aujourd’hui 15 808 personnes incarcérées de plus qu’au 1er janvier2001.

La surpopulation carcérale n’est que l’exemple le plus symptomatique d’une politique pénale en perte de cohérence et d’ambition. Le développement des alternatives à l’incarcération (le travaild’intérêt général, par exemple) et des aménagements de peine tels que la libération conditionnelle se fait très péniblement. Il semble même que cela ne soit pas la priorité du gouvernement. Depuisla loi du 10 août 2007 instaurant des peines plancher, l’heure est à l’encadrement des décisions des magistrats et à la remise en cause du principe de l’individualisation des peines. Ce qui étaitpourtant la clef de la réinsertion, la possibilité d’adapter la sanction en fonction de la personnalitéde l’auteur de l’infraction, est aujourd’hui bouleversé dans son principe même.Tous les praticiens savent que les accès de sévérité ne sont que des effets de manche qui tentent de masquer maladroitement une incapacité à réinventer une politique pénale d’ensemble à lahauteur des enjeux actuels. Sauf à penser que cela révèle un manque de volonté politique.Usant d’une rhétorique éculée, on feint d’opposer ceux qui militent pour une prise en charge plus digne et plus efficiente des personnes incarcérées à ceux qui militent pour le respect des droitsdes personnes qui ont été victimes. Cette absurde opposition vise à mettre dos à dos des acteurs qui, pourtant, refusent ce manichéisme parce qu’ils ont une conscience aiguë de la complexité desenjeux de la Justice, une conscience de sa fragilité et de son équilibre, toujours difficile à trouver.
C’est un devoir, pour ceux qui ont la responsabilité politique de veiller au respect des principes du Droit, que de tenir haut le respect des principes constitutionnels et des Droits de l’Hommesans les diviser et sans tenter de les contourner.
Partant de la modeste expérience associative que nous avons acquise depuis 1976 auprès de l’Administration Pénitentiaire en collaborant à l’effort public de réinsertion des personnesincarcérées, il nous semble important de vous faire part de nos craintes et de vous suggérer quelques perspectives de changement d’une situation que nous jugeons inquiétante, avec le souci essentiel d’être à la fois critiques et constructifs, sans esprit partisan.

Un contrôle extérieur effectif des établissements pénitentiaires

Les réformes qui pourraient être motrices d’un changement ont parfois déjà été votées. C’est lecas de la loi du 30 octobre 2007. A l’heure où nous écrivons, la nomination du contrôleur généraldes lieux de privation de liberté semble être imminente, sept mois après le vote de la loi. LeGENEPI a déjà, à de nombreuses reprises, rappelé son attachement à l’institution d’un contrôle indépendant et extérieur des établissements pénitentiaires comme nous y poussent lesconventions internationales et comme le préconisait le rapport Canivet (2000). Il faut rendre les murs des prisons transparents afin de permettre un contrôle du respect du Droit au sein des mursque la République a construits. Nous avons quelques craintes quant aux moyens qui seront attribués à cette instance de contrôle pour mener à bien sa mission. Ce contrôle extérieur estattendu par les agents de l’administration et par la société civile afin que la lumière du Droit vienne à la fois sanctionner les mauvaises pratiques et mettre fin à la suspicion qui pèse sur cetteadministration, trop longtemps restée dans l’ombre. Nous espérons ne pas attendre un Revizor comme d’autres attendent encore Godot.

Une loi pénitentiaire qui ne soit pas un serpent de mer

Une « grande loi pénitentiaire » avait été annoncée au printemps 2007. Un Comité d’Orientation Restreint a été nommé; il a produit, dans un temps très limité, une liste de préconisations etd’orientations souvent intéressantes et ambitieuses (faire de l’aménagement des peines inférieures ou égales à un an un droit pour le condamné comparaissant libre, réduire le recours àl’incarcération provisoire, réformer le contentieux disciplinaire …). Le GENEPI a participé aux travaux de ce comité. Nous ne sommes pas seuls à placer de l’espoir dans une réforme etsouhaiter un encadrement législatif des pratiques pénitentiaires intégrant les conventions internationales. L’intégration des Règles Pénitentiaires Européennes (RPE), votées par le Conseilde l’Europe en 2006, doit être une priorité et ne doit pas se faire a minima. Si nous soulignons lescontradictions de la politique pénale, nous ne manquons pas de souligner les efforts de l’administration pénitentiaire qui a choisi une voie réformiste et courageuse en choisissant defaire des règles pénitentiaires européennes (RPE) une « charte d’action pour l’administration pénitentiaire ». Des expérimentations ont été lancées et des actions concrètes ont été menées,notamment pour permettre aux détenus de voter lors des élections, mais il faut maintenant aller au-delà et oser une transformation de la prison. Pour cela, il faut faire entrer le droit communderrière les murs. Il faut donner du sens au parcours carcéral en préparant, dès le début de l’incarcération, à la sortie. 55,6% de la population entrante est sans activité, 52% n’a pas dediplôme, 76 % ne dépasse pas le niveau CAP, 15,2 % est en situation d’illettrisme grave : c’est en agissant sur ces facteurs que l’on réussira le pari de la réinsertion. Pour les majeurs, comme pourles mineurs, il faut faire primer les mesures éducatives sur les mesures répressives. Et enfin,puisque punir est difficile, puisque la peine de prison n’est pas une réponse pénale qui a du senspour toutes les infractions, il faut engager, avec courage, une politique réductionniste du nombre de personnes incarcérées développant des peines alternatives à l’incarcération. Nous attendons avec impatience cette loi pénitentiaire qui pourrait être un outil puissant de transformation de la prison. Cette loi, que nous espérons, ne sera « grande » que si elle sait garderune ambition humaniste.

Une confusion entre Justice et psychiatrie qui doit cesser

La loi du 25 février 2008 instituant une rétention de sûreté est un exemple des dérives del’utilisation politique de la notion de dangerosité. Comme le dit M. Robert Badinter, cette loi prévoit la possibilité d’incarcérer un auteur potentiel d’une infraction virtuelle. L’individu n’est alors plus condamné pour ce qu’il a fait mais pour ce qu’il pourrait faire. Le lien entre l’infractionet la sanction est alors rompu. Un homme pourra être interné à titre préventif sur une simple présomption de dangerosité. La substitution de l’élément objectif, l’infraction, par un élémentsubjectif et incertain, la dangerosité, comme fondement de la décision de justice pénale privative de liberté constitue un bouleversement de notre droit. L’introduction de la notion de dangerositéamène à la confusion entre le champ de la Justice et celui de la psychiatrie. Si une personne manifeste une dangerosité psychiatrique, elle doit être soignée dans un établissement de santépublique, par définition hors du champ judiciaire. Ce n’est malheureusement pas le cas pour les centres médico-sociaux judiciaires qui seront situés dans des établissements pénitentiaires. Deplus, la prédiction du comportement et l’évaluation juste d’une dangerosité criminologique ne sont qu’un fantasme scientiste alimenté par une utopie du risque zéro. Nous, étudiants membresdu GENEPI, refusons l’idée d’un contrôle social total et prédictif des comportements. La peine ne saurait avoir de sens sans la perspective de la sortie. L’incertitude que fait peser la rétention de sûreté est insupportable et conduira à en faire une peine de relégation sans fin, unepeine de mort sociale. La logique de l’élimination au nom d’un eugénisme parfois compassionnel nous fait oublier que le risque est consubstantiel à la vie en société. Les logiques de prévention etd’éducation peuvent permettre de réduire ces risques. Les logiques de répression sans fin également, mais au prix du sacrifice des libertés publiques. La rétention de sûreté est, pour laFrance, patrie des libertés, un reniement d’elle-même et de l’image qu’elle donne au monde. On oppose à ce discours la détresse légitime des personnes qui ont été victimes. Il faut être clair :la société ne doit pas les oublier. Cette considération ne doit pas passer par la recherche d’une condamnation plus sévère mais par une attention plus grande portée à leur détresse, une aide à sereconstruire. La dignité de la culture des libertés, à la française, résidait dans la croyance en la responsabilité des citoyens d’assumer les risques de la vie, les risques de l’autre et de soi, enterrain libre, et de refuser l’arbitraire de l’enfermement, ce qui n’empêchera jamais le premier crime ou la première série de crimes de se commettre. Parce qu’elle n’a pas été suffisammentréfléchie et discutée, parce qu’elle est porteuse de logiques incompatibles avec notre philosophie pénale, nous demandons l’abolition de la loi du 25 février 2008 instaurant une rétention de sûreté.

Une confiance nécessaire aux acteurs du champ pénal.

Nous nous inquiétons des logiques de défiance. L’intérêt général est celui du bon fonctionnementde la Justice. Pour que cela soit possible, il faut que les responsables de l’exécutif entrent dansune logique de confiance vis-à-vis des magistrats, tout d’abord, pour les laisser juges des situations qu’ils ont à examiner, pour les laisser libres d’individualiser la peine des détenus enfonction de leur parcours de réinsertion. Pour cela, il est nécessaire de desserrer l’étau législatif et de cesser cette accumulation de projets de lois qui font perdre au Droit sa cohérence. Il fautencore de la confiance et du dialogue vis-à-vis de l’ensemble des professions judiciaires qui attendent une réelle gouvernance du ministère de la Justice. Confiance et dialogue, toujours avecles personnels de l’administration pénitentiaire qui effectuent un travail difficile mais précieux dans des conditions également difficiles. Confiance et dialogue également avec les personnesdétenues ; il est nécessaire aujourd’hui de trouver des modes d’expression collective permettant de les impliquer, de les associer aux décisions qui les concernent. Enfin, bis repetita placent,toujours de la confiance et du dialogue avec les partenaires associatifs et experts du milieu de la Justice (associations d’aide aux victimes, associations travaillant auprès des personnesincarcérées ou de leurs familles, chercheurs et professeurs d’université) : tous ne demandent qu’à travailler à l’amélioration de la qualité de notre Justice. De très nombreux acteurs demandent lacréation d’un comité d’observation et de proposition permanent placé auprès du ministère de la Justice. Ce souhait avait été entendu par vous et vous l’aviez repris à votre compte, nousattendons déjà avec impatience la première séance de travail. Un tel comité saura être, à n’en pas douter, lui aussi critique et constructif.Madame le Garde des Sceaux, pour changer de perspectives et adopter une politique pénale cohérente, nous vous demandons donc de tenir les engagements en matière de développement despeines non privatives de liberté et des aménagements de peine, permettant une réinsertion efficace des personnes condamnées, de vous assurer de l’effectivité du contrôle extérieur desétablissements pénitentiaires, de tenir votre engagement d’élaboration d’une loi pénitentiaire qui permettra enfin le respect de la dignité des personnes détenues et des personnels del’administration pénitentiaire, de revenir sur la loi instaurant une rétention de sûreté et enfin, de tout mettre en oeuvre pour rétablir la confiance avec les différents acteurs du champ pénal.

Nous vous prions de croire, Madame Dati, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, en l’assurance de notre plus haute considération.

Pierre Méheust, Président du GENEPI

1 Chiffre calculé par P.-V. Tournier, Arpenter le Champ Pénal, supplément au n° 91, Paris 1 – CNRS, 22 mai 2008.

2 Le Code de procédure pénale (article 716) prévoit que chaque détenu doit être enfermé dans une cellule individuelle.Le parlement a autorisé à deux reprises l’Administration pénitentiaire à déroger à la règle, une première foisen 2000, puis une nouvelle fois par une loi du 12 juin 2003 qui a repoussé de cinq ans l’entrée en application de ceprincipe au 13 juin 2008.

A plus d’un titre

Mercredi 4 juin 2008

Mercrdi 4 juin 2008 à 15h, l’émission A plus d’un titre de Jacques Munier sur France culture est consacrée notamment  au livre de Gwénola Ricordeau sur les relations sociales des détenus avec l’extérieur de la prison:

« Comment rester parents, amoureux ou amis lorsqu’on est incarcéré ? Qui se préoccupe des souffrances et de la stigmatisation des proches de détenus ?
Les sentiments, la passion ou la fraternité sont-ils plus forts que les murs ? Sociologue, Gwénola Ricordeau a aussi été proche de détenus. Elle fait dialoguer ici son expérience personnelle et une enquête de terrain réalisée dans cinq établissements pénitentiaires au cours de laquelle elle a mené plus d’une centaine d’entretiens avec des personnes incarcérées et des proches de détenus. Elle raconte le quotidien de ceux qui ont, en partage, la prison : les semaines rythmées par les parloirs et le courrier, mais aussi la vie familiale et conjugale, la sexualité, l’éducation des enfants et les destins sociaux de celles et ceux qui ont, un jour, été confrontés à la prison.
En se postant au seuil de la prison, l’auteure se positionne là où, à l’ombre des murs, les sentiments et les solidarités entre dehors et dedans, mais aussi la fonction sociale de l’institution carcérale, se laissent le mieux saisir.« 

Gwénola Ricordeau, Les détenus et leurs proches. Solidarités et sentiments à l’ombre des murs, Paris, AutrementA plus d'un titre vide, 2008.

Premier bilan des établissements pour mineurs

Mercredi 4 juin 2008

Les 2 premiers établissements pour mineurs (EPM), à Lavaur (81) et à Meyzieu (69), ont été respectivement mis en service les 11 et 13 juin 2007. Cette mise en service a été suivie de près par l’ouverture, toujours en 2007, des EPM de Marseille (13) et de Qiévrechain (59). La construction de 7 EPM au total (sur 2007 et 2008) a été décidée dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation de la Justice (LOPJ votée en 2002), prévoyant la construction de 13 200 nouvelles places dont 420 pour les mineurs. Un an après la mise en service des premiers EPM, quel bilan peut-on tirer ?

 

 Peu de temps après sa mise en service, l’EPM de Meyzieu a été le théâtre de dégradations importantes de la part des mineurs qui s’y trouvaient. Sans doute que le personnel en trop faible effectif et, semble-t-il, formé à la hâte, n’a pas été en mesure de maîtriser une situation soudainement violente. Sans doute la coordination entre personnels de l’administration pénitentiaire (AP) et éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) n’a pas été satisfaisante au démarrage de ces nouveaux établissements. Sans doute les nombreuses activités prévues (scolaires, sportives, culturelles) ne suffisaient pas à permettre aux mineurs incarcérés de trouver un équilibre. On est loin de l’image que l’AP et la PJJ avaient bien voulu donner de ces « établissements modèles ». Pour autant, il n’y a pas eu de remise en cause sérieuse du fonctionnement, ni de la raison d’être de ces établissements. Au point que, le 4 février dernier, un jeune de 16 ans s’est suicidé à l’EPM de Meyzieu. Ce jeune avait semble-t-il fait une tentative de suicide, quelques jours après son incarcération (le 17 décembre). Qu’ont fait les adultes « responsables » pour prendre la pleine mesure d’un tel geste ? Comment l’ont-ils aidé après cette tentative, alors qu’il était de toute évidence dans un état de souffrance aiguë ? Autant de questions auxquelles Rachida Dati a trouvé une réponse surprenante, alors qu’elle était en visite dans l’établissement quelques jours après le tragique incident, pour « apporter son soutien au personnel » : « Leur travail [des personnels] et la structure de l’établissement » ne sont « absolument pas remis en cause ». Le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) souligne dans son 9e rapport général de 1998 : « quelle que soit la raison pour laquelle ils ont pu être privés de liberté, les mineurs sont intrinsèquement plus vulnérables que les adultes. En conséquence, une vigilance particulière est requise pour protéger de manière adéquate leur bien-être physique et mental ». Le jeune de 16 ans a-t-il été protégé, alors même qu’il avait fait une première tentative de suicide ?
La construction d’établissements pour les mineurs est dans la logique sécuritaire des lois pénales récentes :
- la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance avec, notamment, l’extension de la procédure de la composition pénale dès l’âge de 13 ans ou la procédure de présentation immédiate devant la juridiction pour les mineurs,
- la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs qui instaure des peines minimales obligatoires lorsqu’il y a récidive, y compris lorsque la personne mise en cause est mineure.
Cette logique sécuritaire, à elle seule, ne saurait justifier de poursuivre dans la voie de l’enfermement des mineurs.

 

 Les EPM tentent de concilier enfermement et éducation, sans grand succès. Le seul avantage tangible à ce jour est qu’ils permettent de séparer les mineurs des majeurs, ce qui n’est pas toujours le cas en maison d’arrêt. Mais ne faut-il pas avant tout poser la question de l’enfermement des mineurs ? Comment concevoir de mener à bien une mission éducative alors que la contrainte de l’enfermement est patente, pesante, pour des jeunes qui précisément font de la défiance de l’autorité un mode d’affirmation d’eux-mêmes ?

 

 

Communiqué de la rédaction de Ban Public, Mai 2008.

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