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Récidive – « Quand on gère de l’humain, il y a un risque »

Interview – Tant que les soins en prison et le suivi des libertés conditionnelles ne seront pas améliorés, il y aura de la récidive, estime Martine Lebrun, représentante des juges d’application des peines
Le procès des assassins présumés de Nelly Crémel s’est ouvert ce lundi devant la cour assises de Melun. Parmi eux, figure un possible récidiviste. A l’époque des faits, en 2005, Nicolas Sarkozy avait tempêté que le juge qui avait osé libérer ce « monstre » devait « payer » pour sa « faute ». Trois ans après, cette phrase a-t-elle laissé des traces dans les esprits ?
Martine Lebrun, présidente de l’Association nationale des Juges d’application des peines : Je crois qu’aucun magistrat n’a oublié les propos tenus par Nicolas Sarkozy. Propos  que l’on pourrait qualifier « d’erreur de langage ». Toute notre difficulté, à nous, juges d’application des peines, est de devoir travailler avec d’une part, ces propos qui résonnent dans nos oreilles et, d’autre part, d’avoir sous nos yeux les textes que la France a signés. En particulier une recommandation du Conseil de l’Europe de 2003 qui explique que la libération conditionnelle est la meilleure façon d’éviter la récidive, et des circulaires de Rachida Dati, prises en 2007, qui nous disent qu’on ne fait pas assez de libération conditionnelle. On a le sentiment de faire le grand écart en permanence.
Toutes nos lois prévoient, quelle que soit la condamnation, même la plus définitive, qu’à un moment donné on puisse demander une libération conditionnelle. C’est un choix de société qu’il faut assumer. Quand on a une demande, on répond oui ou non. Souvent, nous répondons non. Et quand on répond oui, neuf fois sur dix cela se passe bien. Mais il y a une fois, et c’est dramatique, où cela se passe mal.
Depuis l’affaire Crémel, pas moins de trois lois ont été votées pour limiter les risques de récidive. Pourtant, il y a eu Bruno Cholet, arrêté en avril dernier pour le meurtre d’une Suédoise. Aujourd’hui encore, un homme a été arrêté à Marseille pour le viol d’un petit garçon. Il avait déjà été condamné pour des faits identiques…
M.L. : Ce sera comme cela tant que tous les efforts ne seront pas portés au tout début de la première incarcération. Il y a un travail énorme à faire en matière de suivi, de soins etc… Combien de détenus ressortent de prison sans avoir vu un seul psychiatre ou psychologue parce qu’ils étaient sur liste d’attente ? La France a un retard considérable. Dans d’autres pays, comme au Canada, ils ont mis des moyens énormes et arrivent ainsi à soigner au moins une personne sur deux avant sa libération. Ce n’est pas négligeable !
Vous comprenez l’indignation de l’opinion publique ?
M.L. : Oui, mais à partir du moment où on gère de l’humain, on ne peut pas faire croire à l’opinion publique que c’est sans risque. Mettre un enfant au monde, c’est un risque. Se marier, c’est un risque. Libérer quelqu’un, c’est un risque. Faire croire que la justice pourrait endiguer ce risque, ce n’est pas possible.
Qu’est-ce qui garanti aujourd’hui, dans votre fonctionnement, quand vous libérez quelqu’un en conditionnelle, que les risques de récidive sont limités au maximum ?
M.L. : C’est là où le système est le plus faible. Au moment où l’on doit prendre la décision d’une libération conditionnelle, nous avons beaucoup d’investigations, d’avis divers et d’expertises médicales qui sont réunis dans un dossier et qui nous permettent de statuer. Le problème, il est après.
Je compare souvent notre travail à celui d’un chirurgien qui fait une greffe. Quand il a fini sa greffe, ce chirurgien a toute une équipe derrière lui : des infirmières, des psychologues, des experts, qui suivent le patient. Le problème chez nous, c’est qu’il n’y a pas d’équipe. C’est le service pénitentiaire d’insertion et de probation qui est chargé de veiller à ce que la personne libérée respecte ses obligations. Malheureusement, ce service est saturé. Une personne doit suivre 120 à 140 dossiers en même temps. Même si elle est dévouée, c’est impossible ! Qui nous dit qu’il n’y a pas des signaux avant qu’un grand criminel repasse à l’acte ? On ne pourra pas le savoir tant que nous n’aurons pas d’équipe dédiée, qui analyse ses déplacements, ses rencontres, son travail, ses ruptures… Bref, qui le suive vraiment.
Dans le rapport qu’il a remis au chef de l’Etat la semaine dernière, le président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda, a tenu compte de ces remarques. Après, c’est une question de choix budgétaire. Peut-être faudrait-il ne pas construire une nouvelle prison et mettre cet argent dans des équipes spécialisées. Cela vaudrait le coût d’y réfléchir. 

Propos recueillis par Alexandra GUILLET sur LCI.fr le 09 juin 2008.

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