Archive pour juin 2008

Faire passer les prisons pour des écoles

Vendredi 27 juin 2008

Parmi les sept établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), prévus par la loi Perben I de septembre 2002, cinq ont été ouverts à grand renfort d’une communication gouvernementale démagogique. Ainsi, le précédent garde des Sceaux se plaisait à proclamer que l’objectif des EPM serait «de faire tourner la détention autour de la salle de classe». Non ! L’objectif des EPM est bien d’augmenter l’incarcération et invoquer la salle de classe est une façon de minimiser le poids des murs, du système disciplinaire, de l’isolement et le but punitif de la prison.

 

 

Plus récemment, malgré le suicide d’un adolescent à l’EPM de Meyzieu le 2 février, Rachida Dati l’actuelle garde des Sceaux en rajoutait dans la banalisation. Elle affirmait «il faut pérenniser ce type de structures, elles ont fait leurs preuves». La ministre, obnubilée par la promotion de ces nouvelles prisons, en tire avant l’heure un bilan positif. Le suicide d’un adolescent n’est qu’un accident regrettable lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre une politique de répression toujours plus forte à l’égard des mineurs délinquants. Dans le droit fil des propos du président de la République qui déclarait, pendant la campagne électorale, qu’un adolescent très grand et violent ne pouvait être considéré comme un mineur, sa ministre de la Justice annonce pour 2008 une refondation de l’ordonnance de 1945. Au prétexte d’un changement de nature de la délinquance des mineurs, elle propose d’appliquer aux plus âgés le droit pénal des majeurs, et d’infliger des peines à des enfants de plus en plus jeunes. Trahissant l’esprit de l’ordonnance de 1945, le gouvernement fait le choix de répondre aux actes délictueux par la seule logique de l’enfermement, écartant la nécessaire recherche des causes de ces passages à l’acte qui seule pourrait en éviter la réitération.

 

La création de nouvelles prisons encourage l’incarcération, allant jusqu’à lui conférer des vertus de réinsertion. Depuis l’ouverture du premier EPM début 2007, de nombreux incidents violents se sont multipliés dans ces établissements entraînant des opérations de maintien de l’ordre, des mesures d’isolement pour les jeunes et des consignes de silence en direction des personnels. Ce climat de violence est accentué par la prégnance des activités intensives et obligatoires. Les mouvements de rébellion qui éclatent dans les EPM, focalisent les personnels sur les moyens disciplinaires pour soumettre les mineurs. Alors, la souffrance des adolescents, renforcée par l’enfermement, ne peut être entendue.

 

Les adolescents qui commettent des délits ont vécu des difficultés profondes et anciennes, des situations de violence et de prise de risque. L’incarcération, qui est une rupture supplémentaire, renforce les risques de passages à l’acte violent contre les autres ou contre eux-mêmes. Ceux qui parlent d’éducation par la prison font semblant d’oublier qu’elle renforce toujours l’exclusion et favorise la récidive. Pour des jeunes en situation d’exclusion sociale, le risque existe pour beaucoup d’entre eux de se construire une identité de délinquant et de se réfugier dans un statut de «taulard». Fernand Déligny disait : «Etre un vaurien vaut mieux que n’être rien.»

 

L’ordonnance de 1945, posait le principe du caractère exceptionnel de l’incarcération. C’est à partir du constat des effets pathogènes des lieux d’enfermement que les centres d’observation pour mineurs dans les prisons ont été fermés dans les années 70. Déjà, à l’époque de la création de ces centres, ils avaient été présentés comme innovants en raison de la présence d’éducateurs de la PJJ. Que ce soit au nom d’une observation des mineurs comme hier, d’une amélioration des conditions de détention comme aujourd’hui les «prisons modernes» ont toujours conduit à une augmentation de l’incarcération. Les quatre premiers EPM sont aujourd’hui complets, dans certaines régions les quartiers mineurs des prisons restants sont saturés.

 

Ainsi, le gouvernement privilégie l’incarcération des adolescents en créant les EPM au détriment des structures éducatives. Un seul de ces EPM de soixante places équivaudrait à six foyers éducatifs de dix places et huit services d’insertion professionnels pour 250 mineurs ainsi que dix services de milieu ouvert soit 1 500 jeunes suivis. Ce sont là des modalités de prise en charge éducative qui ont fait la preuve de leur efficacité. C’est aussi ce que préconise la Convention internationale des droits de l’enfant qui impose la recherche de solutions éducatives pour les jeunes délinquants. Il existe en France un à deux millions d’enfants pauvres, la précarité et l’exclusion s’aggravent. Ce sont là des facteurs qui détruisent le lien social, accentuent l’isolement et le repli des familles, multipliant ainsi les risques de passage à l’acte au moment si tourmenté de l’adolescence. Au lieu de renforcer l’accompagnement éducatif et social qui peut limiter les répercussions négatives de la précarité sur la construction psychique des adolescents, le choix est fait d’ajouter l’exclusion de l’incarcération à l’exclusion sociale.

 

Nous soutenons que les moyens pour l’accompagnement éducatif doivent primer sur les dispositifs d’enfermement. Nous dénonçons une politique qui réduit les jeunes délinquants à leurs seuls passages à l’acte, les enfermant ainsi dans une identité de délinquant. Nous dénonçons une politique qui, en s’appuyant sur le déterminisme social et comportemental, décrète l’inéducabilité de certains adolescents et ce faisant nie leurs possibilités de reconstruction et de perspectives d’avenir. Nous nous opposons à une réforme de l’ordonnance de 1945 qui mettrait fin à la spécificité de la justice des mineurs et à la primauté de l’éducation sur la répression à l’égard des jeunes auteurs de délits. Nous réaffirmons que les établissements pénitentiaires pour mineurs ne sont pas des structures éducatives, ce sont des prisons destinées à faciliter le recours à l’incarcération ; parce que nous avons une autre ambition pour la jeunesse nous appelons à leur fermeture et au redéploiement des budgets au bénéfice des structures réellement éducatives.

Maria INES (co-secrétaire nationale du SNPES-PJJ/FSU), Jean-Pierre DUBOIS (président de la Ligue des droits de l’homme) et Hélène FRANCO (secrétaire générale du Syndicat de la magistrature).

Rebonds paru sur Libération.fr le 28 juin 2008.

Le projet de loi pénitentiaire

Lundi 23 juin 2008

 

La loi pénitentiaire, initialement promise pour l’automne 2007, a été repoussée à maintes reprises et serait peut-être votée à l’automne 2008. Curieusement, l’échéance de l’automne 2007 a pourtant été prétexte à précipiter les travaux du comité d’orientation restreint (COR). Le COR aurait-il été ainsi manipulé ?

 

Dans l’exposé des motifs du projet, il est affirmé que « la personne détenue conserve l’intégralité de ses droits fondamentaux, sous réserve des restrictions que commandent les impératifs de sécurité des personnes et des établissements pénitentiaires ». Autrement dit, d’emblée, il est question de restriction des droits fondamentaux.

 

Le projet s’organise autour de 5 chapitres : clarifier les missions du service public pénitentiaire, régir la condition juridique de la personne détenue, améliorer la condition des personnels, renforcer la sécurité juridique en élevant au niveau législatif les principes fondamentaux relatifs aux régimes de détention et prévenir la récidive des personnes placées sous main de Justice.

 

Les missions du service public pénitentiaire sont rappelées. Quelques modifications sont proposées dans le fonctionnement de certains modes de contrôle ou d’intervention extérieure. Les commissions de surveillance seraient supprimées et remplacées, d’une part, au niveau de chaque établissement, par le conseil d’évaluation, censé être plus efficace, et, d’autre part, au niveau départemental, par une commission de suivi des politiques pénitentiaires. La convention signée le 25 janvier 2007 entre le Médiateur de la république et l’administration pénitentiaire, ayant pour objectif la tenue de permanences de délégués du médiateur, dans tous les établissements, serait renforcée par la voie législative.

 

Le chapitre consacré aux conditions juridiques de la personne détenue est l’occasion d’affirmer que les personnes conservent leurs droits aux prestations sociales, ce qui passe notamment par la possibilité d’être domicilié à l’adresse de l’établissement pénitentiaire. Cette domiciliation est censée favoriser l’inscription sur les listes électorales de la commune où se trouve la prison. Autrement dit, rien de très nouveau : les personnes ne pourront pas plus qu’actuellement voter de façon directe, sauf à bénéficier des dispositions du décret du 16 novembre 2007, permettant de solliciter une permission de sortir à la seule fin d’exercer son droit de vote.

 

Concernant le travail, il est écrit : « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail », ce qui est déjà inscrit dans l’article 717-3 du code de procédure pénal (CPP). Un « acte d’engagement professionnel » tiendra lieu de pseudo contrat, mais « il n’autorise pas à se prévaloir des dispositions du code du travail, à l’exception des mesures d’hygiène et de sécurité ». Alors même qu’il est clairement dit que la personne détenue conserve l’intégralité de ses droits fondamentaux, elle est traitée, du point de vue de ses relations de travail, selon un régime totalement différent de ce qui se pratique à l’extérieur.

 

Les propositions en matière de droit au maintien des liens familiaux ne présentent pas davantage d’avancées notoires. Il est rappelé que les parloirs ont lieu sous surveillance et qu’il est possible d’accéder à une unité de visite familiale (UVF) pour les personnes qui ne sont pas éligibles à une permission de sortir. Mais, à ce jour, seulement 7 établissements sur 192 sont dotés d’UVF…

 

L’accès au téléphone serait certes étendu aux personnes en détention provisoire, mais selon des modalités qui seront définies ultérieurement par décret en conseil d’Etat. La personne incarcérée a désormais le droit à sa propre image, sur la base d’un consentement éclairé, avec toutefois d’importantes restrictions. L’administration pénitentiaire peut en effet s’opposer à la diffusion de l’image en question.

 

 

Il est à noter qu’aucune modification n’est apportée quant à la durée maximale du placement au quartier disciplinaire.

 

Le personnel pénitentiaire serait désormais guidé dans sa pratique quotidienne par un code de déontologie, comportant notamment l’obligation du respect des droits fondamentaux de la personne. Un agent devrait signaler tout manquement à ces règles. L’agent pourra-t-il signaler le non respect par l’administration de la dignité et de l’intimité de la personne faute de pouvoir placer celle-ci en cellule individuelle ? La loi devrait en outre porter création d’une réserve civile volontaire pénitentiaire.

 

Le principe de l’encellulement individuel n’est plus posé nettement, puisque l’article 716 du CPP serait ainsi rédigé : »les personnes mises en examen, prévenus et accusés sont placés au régime de l’emprisonnement de jour et de nuit, soit en cellule individuelle, soit en cellule collective [...]. Les personnes mises en examen, prévenus ou accusés qui en font la demande sont placés en cellule individuelle ».

 

Il est proposé un certain nombre de dispositions pour favoriser le recours aux alternatives à la détention provisoire et aux aménagements des peines privatives de liberté. L’assignation à résidence avec surveillance électronique serait possible lorsque la personne encourt une peine d’emprisonnement d’au moins 2 ans. Des mesures de ce type existent déjà (le contrôle judiciaire sous le régime du placement sous surveillance électronique fixe, instauré par la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice) mais sont sous utilisées, faute de moyens. Les alternatives à l’incarcération et les aménagements de peine prononcés au moment du jugement seraient possibles pour des peines allant jusqu’à 2 ans, au lieu d’1 an actuellement. Si cette disposition n’est pas elle aussi accompagnée de moyens, elle risque de rester lettre morte.

 

Ban Public estime très insuffisantes les avancées proposées dans le cadre du projet de loi pénitentiaire. En outre, le texte est un véritable recul sur certains points, comme le droit à l’encellulement individuel. Il ne peut y avoir deux types de normes, selon que les personnes sont des citoyens incarcérés ou des citoyens libres. Les citoyens de la « société libre » eux-mêmes subissent des limitations à leur liberté, des « ingérences » selon la terminologie de la Convention européenne des droits de l’homme, fondées sur les nécessités de l’ordre public. Ces ingérences doivent être identiques pour les personnes incarcérées et pour les personnes libres. Le droit commun doit être appliqué dans toutes ses déclinaisons (droit du travail, droit de la famille par exemple), à tous.

 

Communiqué de la rédaction de Ban Public de Juin 2007.

 

 

17 nouvelles UVF pour 2012.

Lundi 23 juin 2008

Petit progrès sur fond d’état déplorable des prisons françaises, les Unités de visites familiales (UVF), créées en septembre 2003, existent aujourd’hui dans sept centres de détention (Poissy, Saint-Martin-de-Ré, Rennes, Liancourt, Meaux, Avignon-Le Pontet et Toulon-La Farlède). Le projet de loi pénitentiaire que la ministre de la Justice, Rachida Dati, doit présenter très bientôt en Conseil des ministres pose le principe du «droit au maintien des liens familiaux» et de l’accès aux UVF «dans les établissements qui en sont dotés» pour les «condamnés à plus de deux ans» . Parmi les 19 nouveaux établissements pénitentiaires pour adultes qui doivent ouvrir d’ici 2012, 17 seront dotés de ces UVF.

L’évasion en cellule familiale

La prison d’Avignon abrite l’une des sept Unités de visites familiales de France. Dans ces appartements aménagés dans la prison, un détenu peut retrouver ses proches pour quelques heures, ou quelques jours.

Ils ne se quittent pas des yeux, ne se lâchent pas les mains. On dirait qu’ils ne voient rien d’autre, ni les papillons colorés sur les murs, ni les barreaux aux fenêtres. Ni la jolie terrasse au soleil, ni le grillage qui l’enserre. Une télévision allumée bavarde seule dans un coin. «C’est pour faire un peu maison» , sourit Alice.

 

Michel et Alice (1) sont «ensemble», comme ils disent, depuis treize ans. Dont dix de prison pour Michel. Ce matin d’avril, ils se retrouvent pour leur deuxième rencontre en Unité de visites familiales (UVF) au centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet, où est incarcéré Michel.

 

Il est 10 heures du matin. Ils ont six heures devant eux. La prochaine fois, ce sera vingt-quatre, puis quarante-huit ou soixante-douze heures, s’ils en font la demande. Entre cette bulle d’intimité dans un appartement coquet et les habituels parloirs de trois quarts d’heure bruyants et étroitement surveillés auxquels ils ont eu droit jusque-là, c’est «le jour et la nuit», résume Alice.

 

Elle est belle, mince, blonde et hâlée, paraît dix ans de moins que son âge (54 ans). Il a 60 ans, la carrure et le visage d’un bel homme, le teint gris et le regard voilé de ceux qui vivent enfermés.

 

Alice a dormi cette nuit dans le bus qui l’amène d’Espagne, mais cela ne se voit pas. Elle s’est «pomponnée», rit-elle, en noir et blanc chic, maquillage soigné, boucles d’oreilles dorées. Lui aussi visiblement, qui confie que «l’UVF, on se le fait cent fois dans sa tête avant, cent fois dans sa tête après». Les habits, rebondit Alice, «c’est un indice sur ce que pensent les femmes qui rendent visite à leur mari en prison. Certaines sont sexy, apprêtées. D’autres… Je peux vous dire en les regardant qu’elles ne sont plus amoureuses. Elles sont là parce qu’elles se sentent obligées».

 

La conversation est un gai mélange de français, d’espagnol et d’anglais, où ce n’est pas un problème de se couper la parole ni de parler en même temps. Alice est anglaise, Michel est français. Ils se sont rencontrés en Espagne, où elle habite depuis ses 18 ans, où lui s’était exilé en 1989 pour cause d’«ennuis avec la justice».

 

«Surveillants de l’amour»

 

Alice est gérante d’un piano-bar. Il est venu boire un verre un soir. Ils ont flirté pendant des mois, une séduction «à l’ancienne». Puis se sont installés, en 1995, dans deux maisons côte à côte, elle avec ses deux enfants, lui voyageant souvent «pour affaires» en Amérique latine. Du commerce d’import-export, disait-il. Un trafic international de cocaïne, a dit la justice, qui, l’accusant également de braquages commis au début des années 80, l’a condamné à vingt ans de prison.

 

L’arrestation de Michel, en 1998, les a surpris. «Elle ne savait pas grand-chose de mon passé, raconte-t-il. Elle ne connaissait même pas mon vrai nom.» «Quand on l’a arrêté, coupe-t-elle, c’était un choc, mais je ne me suis pas sentie trahie. Il ne m’avait pas menti, puisque je ne lui avais jamais posé de questions.» 

 

Il est midi. Michel s’est installé derrière le comptoir de la cuisine américaine. Il prépare un brunch, parce que c’est ainsi qu’ils mangeaient tous les deux «avant». «Alice travaille la nuit, explique-t-il, alors pour elle, midi, c’est l’heure du petit déjeuner.» On s’éclipse pour les laisser seuls.

 

Derrière la porte de l’appartement, un long couloir blanc, et plusieurs portes : l’autre appartement, un F3 quasiment identique ; la salle d’attente, où patientent les familles ; la salle de fouille où transitent les détenus ; et le local des surveillants. Ils sont deux aujourd’hui : Xavier, 38 ans, et Isabelle, 47 ans, volontaires pour travailler en UVF. «C’est un autre rapport avec les détenus, dit Xavier. Ils sont cordiaux, et même vraiment gentils avec nous. Il y en a un qui nous appelle « les surveillants de l’amour » «Depuis seize ans que je suis dans la pénitentiaire, enchaîne Isabelle, on me parle de réinsertion. Et franchement, quand on passe la journée à ouvrir et fermer des portes, la réinsertion, je ne vois pas trop où elle est. Ici… c’est différent. On leur apporte vraiment quelque chose.»

 

Avec l’aide du conseiller d’insertion et de probation (CIP) et du psychologue, Xavier et Isabelle gèrent les demandes d’UVF.«Quatre-vingt-dix pour cent des réponses sont positives, explique Sophie Masselin, directrice adjointe du centre pénitentiaire d’Avignon Le Pontet. Mais on fait une enquête pour chaque dossier.» Le CIP doit s’assurer de l’existence d’une relation amoureuse ou familiale. Et vérifier que les futurs visiteurs sont au courant du motif et de la durée de l’incarcération. «On veut éviter de fausses projections», explique Sophie Masselin. Seuls les enfants, qui ne peuvent venir qu’accompagnés, ne sont pas toujours très bien informés. «On entend souvent les mères dire : « Voilà, c’est là que travaille Papa! », raconte Christophe Prat, psychologue. Mais les enfants voient les serrures, les surveillants en uniforme… On n’oblige à rien, mais on conseille la vérité.»

Avec l’aide du conseiller d’insertion et de probation (CIP) et du psychologue, Xavier et Isabelle gèrent les demandes d’UVF. «Quatre-vingt-dix pour cent des réponses sont positives,Mais on fait une enquête pour chaque dossier.» Le CIP doit s’assurer de l’existence d’une relation amoureuse ou familiale. Et vérifier que les futurs visiteurs sont au courant du motif et de la durée de l’incarcération. «On veut éviter de fausses projections», explique Sophie Masselin. Seuls les enfants, qui ne peuvent venir qu’accompagnés, ne sont pas toujours très bien informés. «On entend souvent les mères dire : « Voilà, c’est là que travaille Papa! »raconte Christophe Prat, psychologue. ,Mais les enfants voient les serrures, les surveillants en uniforme… On n’oblige à rien, mais on conseille la vérité.» explique Sophie Masselin, directrice adjointe du centre pénitentiaire d’Avignon Le Pontet. 

 

Dans la grande pièce des surveillants se trouvent deux immenses frigos, où est stockée la nourriture. Les détenus commandent à l’avance, via le système des «cantines», de quoi nourrir leurs visiteurs. «Ils veulent tellement bien faire qu’ils prévoient des tonnes» , raconte Isabelle. Elle se souvient d’un détenu qui, pour une journée avec sa femme et ses deux enfants, avait acheté «deux pizzas, trois poulets, un kilo de poivrons, cinq kilos de pommes de terre…» La famille est repartie avec les restes.

 

Trois fois par jour, les surveillants passent une tête dans les appartements. «Pour apporter le pain et voir aussi l’atmosphère, explique Xavier. C’est déjà arrivé que les choses se passent mal.» Dix minutes avant, ils annoncent leur venue par interphone. Le dispositif fonctionne dans les deux sens : les détenus et leurs proches peuvent appeler l’extérieur.

 

Tous les deux mois

 

Retour à l’appartement UVF 2. Il est 14 heures. Alice et Michel prennent le café sur la terrasse. Ils parlent de leur «prochain UVF»… dans deux jours. Théoriquement, ces journées en appartement ne sont autorisées que tous les deux mois mais, du fait de la présence de Libération, celle d’aujourd’hui ne compte pas. Michel s’est porté volontaire pour nous recevoir : «Il y a beaucoup de choses qui vont mal en prison. Quand il y a quelque chose de bien, il faut l’encourager.»

 

Après son arrestation, Michel a été incarcéré deux ans et demi en Espagne. Il a ensuite été extradé et, puisque lié au grand banditisme, classé DPS (détenu particulièrement surveillé), donc régulièrement transféré d’un établissement à un autre. Pour lui comme pour Alice, la transition fut rude. «Je connais toutes les prisons de France, soupire-t-elle. Parfois, ils ne me prévenaient même pas qu’ils l’avaient déplacé. Je faisais le trajet d’Espagne, et je trouvais un parloir vide.»

 

Ce n’est qu’en 2007, à l’issue de ses nombreux procès (assises, appel et cassation), que Michel a pu «se poser» au centre de détention d’Avignon. Devenu expert en comparaison des conditions de vie carcérales, il affirme la supériorité des prisons espagnoles : «Je gérais mon entreprise depuis ma cellule. J’avais mon téléphone portable pour travailler, appeler Alice, et même mon juge !» Seul avantage de la France : nos fameux UVF. En Espagne, le système équivalent s’appelle «vis-à-vis», et dure au maximum deux heures, tous les quinze jours. «Il y a le vis-à-vis « familial », avec deux fauteuils, décrit-il. Ou « intime  » : une chambre glauque, avec juste la place pour un lit et une douche. On a l’impression d’être au bordel. C’est humiliant.»

 

Plus timide sur ces questions, Michel se laisse déborder par Alice. «Le sexe, bien sûr que c’est important, rit-elle. Quand on a eu notre premier UVF, il y a deux mois, cela faisait huit ans, depuis l’Espagne, qu’on n’avait pas couché ensemble. On était tellement nerveux, on faisait tout pour éviter le lit !»

 

Michel pense que l’abstinence finit par «détraquer» les détenus. «Après dix ans de prison, j’en connais qui sont devenus obsédés, obnubilés par leurs fantasmes.»

 

Quand on lui demande s’il ne préférerait pas sortir en permission, il hausse les épaules. Les permissions, il a testé il y a longtemps. «C’est le stress. Il faut passer voir untel, puis untel, on n’a pas le temps de se poser, de profiter des gens. Et puis il y a l’angoisse de savoir qu’il va falloir retourner en prison, ne surtout pas être en retard.»

 

Alice passe son bras autour des épaules de Michel. Voici maintenant huit ans que, tous les deux mois, elle grimpe dans un bus de nuit espagnol, et se retrouve le matin aux portes d’une prison française. «Au tout début, à Grasse, j’ai rencontré une femme qui venait voir son mari depuis huit ans, se souvient-elle. Je me suis dit que moi, jamais je ne tiendrais aussi longtemps.»

 

Régulièrement, au téléphone, il la taquine. «Il me demande si je l’aime, il me dit qu’il m’attend…» Elle se tourne vers lui : «Non mais eh, oh, d’abord, c’est moi qui t’attends, et puis franchement, tu crois que je serais là si je ne t’aimais pas ?»

 

Elle dit que le plus dur, c’est le regard des autres, ces taxis qui refusent la course quand elle indique la destination prison, ces amis qui lui répètent qu’elle gâche sa vie. «J’ai essayé de m’intéresser à d’autres hommes. Quand on travaille dans un bar de nuit, ce ne sont pas les occasions qui manquent. Mais je n’y arrive pas.»

 

Elle n’arrive pas non plus à lui en vouloir. «Quand je me suis mariée, il y a longtemps, je croyais que j’étais amoureuse… Et puis je me suis rendu compte que je ne connaissais pas mon mari. Avec Michel, malgré tout ce qui est arrivé, je n’ai jamais eu ce sentiment. Personne ne me connaît, ne me comprend aussi bien que lui.»

 

L’interphone grésille, la voix du surveillant est douce : «Bonjour, votre UVF va se terminer dans vingt-cinq minutes.» Avec les remises de peine, Michel peut espérer sortir dans cinq ans. On leur demande s’ils ont des projets. «On a le projet de rester ensemble» , sourit Alice.

 

 

(1) Les prénoms ont été modifiés.

Article de Ondine Millot paru sur Libération.fr le 19 juin 2008. 

Huntsville, Prison City

Lundi 23 juin 2008

C’est la capitale de l’  » industrie carcérale « . Une petite ville du Texas dont l’économie repose sur ses prisons. Un homme y a été exécuté mercredi 11 juin. Le 406e depuis le rétablissement de la peine de mort, en 1976.

C’est fini, la mort a retrouvé ses droits. Ce mercredi 11 juin, les exécutions ont repris à Huntsville, Texas. Les familles du condamné et de sa victime quittent l’établissement pénitentiaire et se dirigent vers leurs voitures, au parking. Les policiers retirent les banderoles interdisant l’accès à la rue. La poignée de militants opposés à la peine capitale éteignent leurs bougies. Il est 18 heures passées de quelques minutes et Karl Chamberlain, arrêté voilà plus d’une dizaine d’années pour le viol et le meurtre d’une jeune femme, vient d’être exécuté. La petite ville de ce Sud profond des Etats-Unis, elle, a retrouvé ses habitudes.

 

Depuis huit mois, la chambre d’exécution du Texas, plantée au cœur de cette cité pavillonnaire, avait suspendu ses activités. Huit longs mois pendant lesquels les juges de la Cour suprême des Etats-Unis avaient imposé un moratoire. Ils avaient accepté d’examiner le bien-fondé de la méthode d’exécution par injection létale. Le 14 avril, ils ont estimé ce procédé conforme à la Constitution. Depuis, les exécutions ont recommencé comme si de rien n’était. Les candidats à la Maison Blanche n’ont pas évoqué le sujet. L’opinion publique a regardé ailleurs.

 

La Géorgie a été la première à prendre en compte la décision de la Cour suprême, en reprenant les exécutions le 6 mai. Le Mississippi a suivi le 21, la Virginie le 27. Et maintenant le Texas, à Huntsville, épicentre des exécutions de l’Etat le plus actif en termes de peine de mort.

 

C’est ici, dans cette prison massive de briques rouges appelée The Walls ( » les murs « ), plantée en face du siège de l’administration pénitentiaire de l’Etat, que les condamnés à la peine capitale par les juridictions texanes sont tués. Ici, que, dans un rituel immuable, le jour de leur exécution, ils sont transférés en camionnette, vers midi, depuis la prison de Polunsky Unit, à Livingston, à une trentaine de kilomètres. Vingt-six mises à mort en 2007 ; 406 depuis le rétablissement de la peine capitale aux Etats-Unis en 1976.

 

Avec le temps, la petite Huntsville est devenue la capitale de l’industrie carcérale. Une ville en vase clos, de quelque 22 000 habitants pour 15 000 prisonniers. Sept maisons d’arrêt. Deux en projet. A Prison City, comme on la surnomme, près d’une famille sur deux compte en son sein un membre travaillant pour le système pénitentiaire. Les autorités judiciaires locales n’en finissent pas de former des gardiens de prison. D’après les relevés officiels, ils seraient près de 5 000 en activité.

 

Malgré la chaleur, les habitants d’Huntsville ne portent pas d’habits blancs de peur d’être confondus avec les prisonniers. On les croise parfois aux coins des rues, sur les pelouses, les jardins, vêtus de blanc des pieds à la tête. Par petits groupes, en plein jour, encadrés par des matons, ils réparent, nettoient, bêchent, taillent. La ville fleurit sous les coups de ciseaux des condamnés.  » Un moyen de sortir à l’air libre pour les moins dangereux, explique un gardien armé. La majorité de la population s’accommode de la situation. « 

 

Drôle d’atmosphère. Cette cité sans relief, presque vide, et dont la plus grande attraction est le Musée de la prison, le Texas Prison Museum, avec ses photos d’archives et sa chaise électrique, organise son quotidien au rythme de ses colonies pénitentiaires. Au très traditionnel Cafe Texan, le matin, les vieux sirotent leur breuvage noirâtre, cigarette aux lèvres, en évoquant autour de leur petit déjeuner les délits et petits larcins de la veille relayés en boucle par la radio locale.

 

«  En cas d’évasion, un proche est toujours là pour nous prévenir par téléphone ou Texto, explique Emilie, employée d’une entreprise de nettoyage de la ville. On rassemble alors les enfants et on s’enferme chez soi jusqu’à la fin de l’alerte. «  A Huntsville, c’est tous les jours un peu La Nuit du chasseur.

 

11 heures. Des colonnes de détenus viennent d’être libérées. Tous passent par The Walls, au coeur du centre-ville. Un ballet quasi quotidien. Des grappes d’ex-prisonniers, un sac de plastique pour seul bagage, se dirigent presque machinalement vers la station de bus, accompagnés d’un proche, d’un membre de la famille, des enfants. L’administration d’Huntsville gère 100 000 personnes en liberté conditionnelle, plus du triple en liberté surveillée. Ici, sur ce trottoir, c’est tout le Texas que l’on croise, jeunes et moins jeunes, tatoués, Blancs, Africains-Américains et Latinos.

 

Ce jour-là, personne ne s’arrêtera pour boire un verre au Stardust Room Southern Pub, situé un bloc plus loin, derrière les autocars. Au bar, on sert de la bière, mais aussi le lethal injection drink, ( » cocktail d’injection létale « ). Une spécialité locale à base de curaçao et de rhum.

 

Une infirmière sort de The Walls. Elle vient de terminer sa journée auprès des prisonniers de droit commun. Son job, dit-elle, consiste à prendre la tension des détenus, à soigner le cas échéant.  » Je travaille dans les bas-fonds de notre société, lâche la jeune femme. J’aide comme je peux, à mon niveau. Mais je ne suis pas une militante. Je ferme les yeux. Je me tais. « 

 

Les jours d’exécution, les rues autour de la prison s’animent un peu, l’après-midi. Le condamné est amené à l’intérieur sous bonne escorte. On le nourrit avec un dernier repas qu’il aura lui-même choisi. On le  » prépare « , comme on dit. Avec 60 % des exécutions américaines effectués derrières ces remparts en 2007, Huntsville est la ville où se concentre le plus grand nombre d’exécutions en Occident. Celle qui possède le plus grand savoir-faire. Les équipes chargées de la besogne, les execution squads, sont si bien entraînées que des spécialistes d’autres Etats viennent parfois sur place. Et ceux d’Huntsville ont déjà loué leurs services pour des exécutions en dehors du Texas.

 

Une heure environ avant l’exécution, c’est-à-dire vers 17 heures, un petit groupe d’opposants à la peine de mort s’installe à quelques mètres de la porte d’entrée de The Walls. Ils sont une demi-douzaine. Presque toujours les mêmes. Deux ou trois dames âgées  » réunies par la foi « , un ou deux étudiants, parfois un journaliste, un curieux, et Dennis Longmire.

 

C’est lui que les médias viennent voir au moment des exécutions importantes. Ce professeur de justice criminelle est la mémoire des lieux et la mauvaise conscience du système. Catholique fervent, il trouve le temps, depuis des années, de venir ici avec son chapelet et sa bougie. Une fois, une femme lui a craché dessus. Plus rarement, il a essuyé quelques insultes. Rien de plus. Sinon de l’indifférence.

 

 » Les gens veulent croire que la peine de mort produit un effet dissuasif, dit-il. Ici, elle donne du travail et fait marcher le système. «  Dennis Longmire rappelle l’histoire violente du Texas, les lynchages qu’on y pratiquait encore au début du XXe siècle.  » Il y a une mentalité issue de la guerre civile, une culture de la violence, et cette idée bien ancrée qu’il faut utiliser la violence pour se protéger. « 

 

Les débats à la Cour suprême l’ont laissé de marbre.  » De nouveaux recours auront lieu, mais ils ne changeront rien. Tout n’a été qu’une discussion sur la forme et non pas sur le fond « , tranche-t-il. D’après les sondages, le nombre d’individus soutenant la peine de mort diminue légèrement dans le pays, mais reste à un niveau élevé au Texas avec 75 % à 80 % de partisans. Et encore plus à Huntsville, d’après Dennis.

 

Valerie Hermington, elle, ne manifeste pas. Etudiante en criminologie à l’université Sam-Houston, à deux blocs de The Walls, elle reconnaît ne pas savoir lorsqu’une exécution a lieu,  » comme tous – ses – camarades « . Elle affirme pourtant débattre fréquemment de la peine de mort et du système carcéral en classe,  » même si la grande majorité y est favorable « .  » Il est difficile de croire que le système peut se tromper « , dit-elle.

 

Aumônier pendant près de quinze ans à la prison The Walls, Carroll Pickett a quitté Huntsville pour Lake Conroe, une petite ville distante d’une cinquantaine de kilomètres. L’homme a changé. Il dit avoir assisté 95 condamnés à mort. A chaque fois, il a prié avec eux, écouté leurs dernières paroles, observé comment le liquide létal s’introduisait dans leurs veines. Convaincu alors que la peine capitale était juste, il croyait  » que chaque individu avait besoin de mourir avec un ami « .

 

Avec sa voix basse et douce, il affirme avoir été angoissé par son travail, avant d’admettre finalement que la peine de mort ne servait  » ni la justice ni la moralité « . Dans un récent documentaire, At the Death House Door ( » A la porte de la maison de la mort « ), il explique avoir été persuadé que certains condamnés qu’il avait accompagnés jusqu’au bout étaient innocents.  » Le système est cassé. Les exécutions ne font pas baisser la criminalité et les sentences sont appliquées de façon inégale, glisse-t-il. Aucune critique au sein de l’administration pénitentiaire n’est possible, ce serait risquer de perdre son emploi. C’est aussi ça le système. « 

 

Il est maintenant 19 heures. Les voitures des proches de la victime et du condamné à mort exécuté ont quitté les lieux. The Walls fait silence. Les gardiens paraissent immobiles dans leurs miradors. Les rues d’Huntsville sont désertes. L’exécution suivante est prévue pour la semaine prochaine, le 17 juin. Même heure.

 

Article de Nicolas Bourcier, envoyé spécial, paru dans Le Monde le 14 juin 2008.

Ce soir ou jamais

Mercredi 18 juin 2008

Jeudi 12 juin, l’émission Ce soir ou jamais présentée par Frédéric Taddei sur France 3 était notamment consacrée aux prisons françaises, avec Claude d’Harcourt (directeur de l’Administration pénitentiaire), Thierry Levy (avocat), Bernard Bolze (militant associatif, « Trop c’est trop  ») et Florence Aubenas (journaliste).

Contre la surpopulation carcérale, Dati veut développer le bracelet électronique

Mercredi 11 juin 2008

La garde des Sceaux vient de transmettre son projet de loi au Conseil d’Etat. D’ici à la fin de l’année, elle le présentera devant le Parlement.

Le gouvernement veut développer le placement sous bracelet électronique des personnes en attente de jugement et des condamnés à de courtes peines afin de désengorger les prisons, selon une copie du projet de loi pénitentiaire obtenue mardi par l’AFP.

Le projet de loi de 48 articles, transmis pour avis au Conseil d’Etat en début de semaine, rappelle que la détention provisoire ne doit intervenir qu’ »à titre exceptionnel », comme le prévoit déjà le Code de procédure pénale.

Mais le texte complète le Code par l’affirmation que la personne mise en examen peut « être assignée à résidence avec surveillance électronique » pour les « nécessités de l’instruction » ou par « mesure de sûreté », si jamais un simple contrôle judiciaire se révèle insuffisant. La détention n’interviendrait qu’en dernier recours.
Le placement sous bracelet électronique, qui existe en France depuis 1997, pourra aussi se substituer à une peine d’emprisonnement en fonction de la nature du délit.

En outre il devra être développé selon une « procédure simplifiée », précise le projet de loi, pour les détenus condamnés à des peines inférieures ou égales à deux ans, ou pour ceux condamnés à cinq ans maximum dont le reliquat de peine ne dépasse pas deux ans. Pour les peines inférieures ou égales à six mois et dans les cas où « il reste quatre mois à exécuter », ce type de placement devra être « ordonné » sauf en cas de refus du condamné ou de risque de récidive, souligne le texte.

La loi pénitentiaire, une promesse de campagne de Nicolas Sarkozy, censée mettre la France en conformité avec la réglementation européenne, avait été annoncée comme « fondatrice » par la garde des Sceaux Rachida Dati. Elle devrait être présentée d’ici la fin de l’année au Parlement, dans un contexte de surpopulation carcérale galopante.

Le nombre de personnes en détention est tout proche du record atteint en juillet 2004, avec 63.645 détenus (BIEN 63.645) recensés au 1er mai. La densité carcérale atteignait alors 125%.
Ce surpeuplement concerne particulièrement les maisons d’arrêt où sont incarcérées les personnes en attente de jugement, en contradiction avec le principe de l’encellulement individuel pourtant prévu par le Code de procédure pénale.

Le projet de loi pénitentiaire devrait permettre à la France de continuer de déroger à ce principe. Il prévoit que les détenus provisoires seront placés « soit en cellule individuelle, soit en cellule collective, sous réserve que celle-ci soit adaptée au nombre de détenus qui y sont hébergés et qu’(ils) soient reconnus aptes à cohabiter ».
Il sera possible de déroger à ces dispositions pendant cinq ans à compter de la promulgation de la loi « si la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou le nombre de détenus présents ne permet pas leur application », ajoute le texte.

Le Parlement a déjà autorisé à deux reprises la France à déroger à l’encellulement individuel, la dernière fois le 12 juin 2003 pour cinq ans. Rachida Dati devrait prendre cette semaine un décret sur de nouvelles modalités de « mise en oeuvre » de cette obligation.

Article paru sur Libération.fr le 22 juin 2008.

Dati : «Je ne suis pas déstabilisée»

Mercredi 11 juin 2008

« La ministre de la justice Rachida Dati a débattu jeudi dans notre studio avec l’ex garde des Sceaux socialiste Elisabeth Guigou: elles se sont opposées sur la situation dans les prisons, la rétention de sûreté, et le mariage annulé« .

 http://www.dailymotion.com/video/x5pmlj

Le débat peut être vu en intégralité sur Libélabo.fr.

Silence, on incarcère !

Mercredi 11 juin 2008

Le 14 novembre 2006, le Parisien publiait un témoignage intitulé «Libéré hier, il raconte ses dix-huit mois à Fleury-Mérogis», dans lequel «Guy-Charles», à peine sorti de maison d’arrêt, confiait à la journaliste Elisabeth Fleury ce que chacun sait des conditions de détention : trafics omniprésents («en prison, tout ce qui est interdit circule») ; nécessité d’appartenir à un «clan» pour survivre («si t’as pas de clan, pas d’allié, t’es mort») ; violences sexuelles subies par ce qu’il est commun d’appeler les «serveuses» («des gars paumés, qui ne savent plus très bien où ils en sont. Tout le monde sait ce qu’ils subissent, y compris les surveillants, mais on ferme les yeux»).

 

 

Le lendemain, M. Guy Canivet, alors premier magistrat de France, convenait dans un entretien accordé à ce même quotidien que, si l’expression de «Guy-Charles» était «brutale»,«tous les phénomènes qu’il dénonce sont vrais. Les trafics, le maquage, les violences : tous les pénitentiaires connaissent ces maux». Il invitait le parquet à se saisir de cette affaire. De son côté, le directeur de l’administration pénitentiaire assurait «n’avoir jamais entendu un tableau aussi noir».

 

Deux jours plus tard, M. Jean-François Pascal, procureur d’Evry, ouvrait une enquête préliminaire «sur la base des déclarations de ce détenu afin de déterminer la réalité des faits dénoncés, d’une extrême gravité». Les investigations se soldaient, treize jours plus tard, par un classement sans suite habilement motivé : «Il a refusé de donner des noms ou des dates […]. Faute d’éléments probants, je suis obligé de suspendre l’enquête.»

 

Trois mois plus tard, 339 surveillants de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis déposaient plainte avec constitution de partie civile contre le Parisien et la journaliste Elisabeth Fleury des chefs de diffamation et complicité de diffamation envers un fonctionnaire. Pour avoir publié les propos de «Guy-Charles», une journaliste et le représentant d’un quotidien national comparaîtront donc demain devant le tribunal correctionnel d’Evry, comme ce fut le cas pour Patrick Dils, qui, après quinze années d’incarcération et un acquittement, révéla dans un livre avoir été violé en détention. Dénoncer, ou simplement rapporter ce que tous les professionnels et les parlementaires ont depuis longtemps observé et décrit, constitue un délit, et, conséquemment, conduit devant un tribunal correctionnel.

Est-il nécessaire de rappeler que l’espace de vie dont jouit un détenu français est de 2,4 à 4  m² ? Que le taux moyen de surpopulation des maisons d’arrêt françaises est de 140 % ? Que la maison d’arrêt de Villepinte est contrainte de supprimer des parloirs famille en raison d’un taux de surpopulation excédant les 150 % ? Que des experts mandatés par le tribunal administratif de Versailles ont constaté l’extrême insalubrité du quartier disciplinaire de Fleury-Mérogis ? Qu’un détenu de cet établissement pénitentiaire a été mis en examen, en mars, pour avoir violé l’un de ses codétenus ? Que l’on compte en France, depuis ces cinq dernières années, un suicide ou une mort suspecte en détention tous les trois à quatre jours ?

C’est une évidence : la violence de l’enfermement décrite par «Guy-Charles» ou Patrick Dils s’abat toujours et d’abord sur une catégorie précise de la population carcérale, les «indigents» : les plus pauvres, les plus fragiles et les plus isolés. La pauvreté à quatre ou plus dans 9 m2 crée des dépendances qui conduisent effectivement aux rackets, aux violences verbales et physiques, aux sévices sexuels. Les fameuses «zones de non droit», expression que d’aucuns se plaisent à utiliser pour désigner «les banlieues», existent bel et bien, oui : au sein même de nos maisons d’arrêt et de nos centres de détention. La France, avec plus de 63 000 détenus pour à peine 50 000 places, connaît son niveau d’incarcération le plus important depuis 1945. Pour faire face à la surpopulation, Rachida Dati a récemment répété que «le premier moyen, c’est de construire de nouvelles places de prisons». Or, sept nouvelles structures vont ou ont déjà vu le jour en 2008, parmi lesquelles trois pour mineurs et quatre pour adultes, correspondant à plus de 3 000 places. Construire de nouveaux établissements pour les remplir aussi vite : telle est donc la ligne de conduite de la garde des Sceaux. Qu’importe si la haine et la violence y sont grandissantes, et si les plus faibles y sont livrés aux plus forts.

En mai dernier, après sept mois de tergiversations, la Chancellerie annonçait la prochaine nomination du futur «contrôleur général des lieux privatifs de liberté» en la personne du conseiller d’Etat Jean-Marie Delarue. Prisons, locaux de garde à vue, centres de rétention, hôpitaux psychiatriques : au total, ledit contrôleur général aura pour charge de veiller sur 5 800 lieux d’enfermement. Au même moment, Rachida Dati assurait que le très attendu projet de loi pénitentiaire serait examiné «cette année, bien sûr». Rappelons que ce texte ne vise qu’à permettre l’application sur notre territoire des règles pénitentiaires européennes adoptées il y a déjà deux ans. Ces mesures permettront-elles aux citoyens de savoir enfin ce qui se passe derrière les barreaux où, du fait de la multiplication des lois répressives, ils sont de plus en plus nombreux à séjourner ? L’administration pénitentiaire, confrontée ces derniers temps à une vague de protestation de ses propres agents, excédés de leurs conditions de travail, se résoudra-t-elle enfin à jouer le jeu de la transparence ? On peut en douter. Dans un document de travail transmis par ses services en octobre, on pouvait ainsi lire que «les règles pénitentiaires européennes sont pour l’essentiel déjà transcrites dans notre réglementation»,«les prisons françaises ne sont pas une honte», et que «la France gère bien ses prisons». Le prétendra-t-elle encore, devant les juges d’Evry, demain ? Les avocats de la journaliste Elisabeth Fleury et du Parisien n’ont qu’à bien se tenir. Silence, on incarcère.

Hélène Franco secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, Jean-Yves Le Borgne président de l’Association des avocats pénalistes, dominique Verdeilhan vice-président de l’Association des journalistes de la presse judiciaire (AJPJ) Et Marie Dosé, Eric Dupond-Moretti, Philippe Lemaire, Patrick Maisonneuve, Hervé Temime avocats à la Cour.

Rebond paru sur Libération.fr le 9 juin 200.

Au moins 1 000 détenus dorment à terre sur des matelas dans les prisons surpeuplées

Mercredi 11 juin 2008

Les prisons débordent. Les détenus s’agitent. Les surveillants manifestent leur exaspération dans plusieurs régions. Les instances internationales s’inquiètent de la situation française. Au 1er mai, l’administration recensait 63 645 personnes incarcérées, pour 50 631 places. Dans les faits, le nombre de détenus en surnombre approche 14 000. Le syndicat de surveillants UFAP (Union fédérale autonome pénitentiaire) a entrepris de recenser les matelas placés à terre dans des cellules déjà suroccupées par des lits superposés. Le décompte n’est pas terminé. Mais il montre déjà que plus de 1 000 prisonniers dorment par terre. L’administration refuse de commenter ce point.

La maison d’arrêt de Meaux (Seine-et-Marne) connaît un taux d’occupation de 165 % trois ans après son ouverture, selon les syndicats. Dans cette prison moderne, où les douches et les WC sont placés dans les cellules et séparés, l’administration a dû ajouter 110 matelas. Près d’un détenu sur huit dort par terre. Les syndicats CGT, FO et UFAP organisent un mouvement de protestation jeudi 22 mai. Trois agents ont été brûlés après qu’un détenu a mis le feu à sa cellule.

Le 16 mai, les surveillants de Bordeaux-Gradignan (Gironde) manifestaient contre l’insécurité en dénonçant un taux d’occupation de 200 %. Une semaine plus tôt, plusieurs détenus de la prison de Saint-Quentin Fallavier (Isère) avaient refusé de réintégrer leur cellule, pour protester contre le nouveau système de cantine, confié à une entreprise privée. Le secrétaire général adjoint de l’UFAP, Stéphane Barraut, dénonce « un cocktail explosif » dans les prisons. L’administration pénitentiaire tempère, en soulignant qu’il n’y a pas d’augmentation du nombre d’incidents depuis le début de l’année. Les travailleurs sociaux de l’administration pénitentiaire ont, enfin, lancé un mouvement de protestation, contre une réforme statutaire.

Avec 63 645 détenus, la population carcérale frôle, à quelques unités près, le record du 1erjuillet 2004. La loi d’amnistie avait alors fait retomber le chiffre à 58 000 le mois suivant. La situation est différente aujourd’hui. L’absence d’amnistie en juillet 2007, puis l’instauration des peines planchers pour les récidivistes, en août, ont fait monter le nombre de détenus de 3 000 en un an. Secrétaire général de FO direction pénitentiaire, Michel Beuzon constate, en outre,« depuis un an », une meilleure exécution des condamnations pour les petits délits : « On voit des personnes qu’on ne voyait plus ces dernières années, qui viennent pour un court séjour. » Il s’inquiète aussi du nombre de détenus qui auraient « plus de place dans des structures psychiatriques. Ils ne supportent pas l’enfermement et sont confrontés à une promiscuité difficile pour tout le monde ». 

La ministre de la justice insiste sur la progression des aménagements de peine et sur les placements sous bracelet électronique. Au 1er avril, 3 509 personnes effectuaient ainsi leur peine hors de la prison, contre 2 519, un an plus tôt. Promise, bien que toujours pas inscrite au calendrier parlementaire, la loi pénitentiaire devrait aussi faciliter les aménagements de peine. La chancellerie souligne que le plan de construction et de rénovation de 13 200 places, décidé en 2002, suit son cours. En 2012, les prisons devraient compter 63 500 places… soit le nombre de détenus actuel.

Mais l’administration attend 80 000 prisonniers d’ici à 2 017. L’annonce, lundi 19 mai, par Rachida Dati, d’un décret pour organiser les demandes d’encellulement individuel a été accueilli avec scepticisme. « Certains détenus ne souhaitent pas être seuls, mais c’est une minorité », constate Stéphane Barraut, de l’UFAP.

La France a été interpellée à l’ONU, le 14 mai, sur l’état de ses prisons, par le Canada, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède. Le commissaire européen aux droits de l’homme, Thomas Hammerberg, est en visite en France. Le nom tant attendu du contrôleur général des lieux privatifs de liberté pourrait être dévoilé à l’occasion de cette visite qui s’achève vendredi 23 mai.

Article d’Alain Salles paru sur LeMonde.fr le 21 mai 2008.

La surpopulation carcérale montrée du doigt

Mercredi 11 juin 2008

Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, s’inquiète de la situation des prisons, des mineurs et des immigrés, en France. Deux ans après le rapport remarqué de son prédécesseur, Alvaro Gil-Robles, il devrait publier un rapport sur la France, mi-juillet, peu après le début de la présidence française de l’Union européenne.

« Si peu a été fait face à la surpopulation carcérale, alors que le problème est dénoncé depuis de nombreuses années ! regrette-t-il, vendredi 23 mai, à Paris. Au contraire, la situation s’aggrave, il y a un manque de volonté politique pour résoudre ce problème. » Autre inquiétude : les mineurs délinquants. « La France peut emprisonner des mineurs dès l’âge de 13 ans, explique M. Hammarberg. Dans mon rapport, je demanderai à la France qu’elle augmente l’âge minimum d’incarcération. Les changements récents se concentrent sur l’aspect répressif et très peu sur le côté éducatif. »

En matière d’immigration, le commissaire considère que la politique de quotas est « mauvaise »« Les immigrés ne sont pas des chiffres, mais des êtres humains. » Selon lui, cette politique entraîne une pression sur les forces de police et conduit à des excès. « J’ai été informé d’arrestations près des écoles ou dans les préfectures. De telles méthodes ne devraient pas être employées dans ces lieux. » :

Dans une tribune au Monde du 25 avril, Brice Hortefeux évoquait la « satisfaction » de M. Hammarberg sur les conditions de rétention, « parmi les meilleures d’Europe ». « C’est une mauvaise citation, souligne M. Hammarberg. La France est meilleure en ce qui concerne la durée de détention dans ces centres, qui est de trente-deux jours. C’est souvent plus long ailleurs. Cela ne veut pas dire que la France est meilleure sur tout le reste. » Il évoque notamment les conditions de rétention dans des commissariats autour de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et le mélange de criminels sortant de prison et de familles avec enfants dans ces centres de rétention administrative.

Article d’Alain Salles paru sur LeMonde.fr le 24 mai 2008.

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