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Archive pour 16 avril 2008

Refondation de l’ordonnance du 2.2.1945 sur l’enfance délinquante

Mercredi 16 avril 2008

Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice a installé, mardi 15 avril, la commission chargée de formuler des propositions pour réformer l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, présidée par le recteur André Varinard. Les membres de la commission, dont les propositions sont attendues pour le mois de novembre, devront examiner plusieurs enjeux majeurs, tels que la cohérence des parcours pénaux des mineurs et l’instauration d’un seuil de responsabilité pénale.

Après avoir remercié l’ensemble des membres de la commission, [...] Rachida Dati a rappelé les raisons qui rendent nécessaire la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. « L’ordonnance de 1945 est un texte fondateur mais il a perdu de sa pertinence et de son efficacité. Le mineur qui vivait en 1945 n’a rien à voir avec le mineur qui vit en 2008 » a expliqué le Garde des Sceaux.

Evoquant les 31 modifications apportées depuis 1945 à l’ordonnance au regard de l’évolution de la délinquance, le ministre de la Justice a souligné le fait que «tous ces changements positifs s’étaient faits sans vision d’ensemble et sans cohérence». Rachida Dati souhaite aujourd’hui mettre au cœur de la justice pénale des mineurs la notion de « parcours individuel » pour adapter la réponse pénale à la personnalité et aux actes de chaque jeune.

Le ministre a ensuite développé quelques perspectives pour la réforme de l’ordonnance. Le Garde des Sceaux a tout d’abord précisé que le projet de réforme ne devait pas se départir de la nécessaire portée éducative de la réponse pénale. « Cet équilibre constitue tout l’esprit de l’ordonnance de 1945 et a d’ailleurs été consacré par le Conseil constitutionnel comme principe fondamental reconnu par les lois de la République » a-t-elle rappelé.

Rachida Dati souhaite également que la commission réfléchisse à l’instauration d’un âge de responsabilité pénale. « Le code pénal prévoit que les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables (…) Pour que les mineurs se sentent responsables de leurs actes, il faut qu’ils sachent à partir de quel âge ils risquent une sanction pénale » a-t-elle expliqué.

Insistant sur le fait qu’il fallait « aider les jeunes à sortir de la spirale de la délinquance », le ministre de la Justice a mis en avant l’importance de la cohérence et de la compréhension de la réponse pénale. Les distorsions existant aujourd’hui entre les différentes mesures applicables aux mineurs suivant leur âge entretiennent un sentiment de confusion et d’illisibilité. Une remise à plat de l’ensemble des mesures pénales et des sanctions permettrait un traitement adapté au parcours personnalisé du mineur.

S’inscrivant dans la continuité des précédents axes de réflexion évoqués, Rachida Dati a enfin insisté sur la nécessaire adaptation et la mise en cohérence de la procédure et du régime pénal applicables aux mineurs. « Il faut que la victime trouve sa place dans l’ordonnance de 1945 » a indiqué le Garde des Seaux. « Le mineur auteur de l’infraction est pour la justice une préoccupation essentielle, mais il faut aussi donner toute son importance à la victime » a poursuivi le ministre.

« Notre réflexion ira au-delà d’une simple actualisation de la législation. Nos propositions répondront au défi que pose à notre institution judiciaire la délinquance des mineurs souvent très jeunes, sans jamais oublier que, parce qu’il s’agit de personnes en devenir, la dimension éducative de la sanction doit toujours être préservée » a assuré le recteur André Varinard, professeur à l’université Lyon III et président de la commission.

« Je souhaite une réforme en profondeur, une véritable refondation de l’ordonnance de 1945» a conclu Rachida Dati. La commission devrait rendre ses travaux au Garde des Sceaux en novembre prochain.

Annonce publiée le 15 avril 2008 sur le site du Ministère de la Justice.

Le texte de l’ordonnance de 1945 dans sa version en vigueur, ainsi qu’une présentation de la justice des mineurs en France depuis 1945.

«Le décalage entre la loi et la pratique est trop large»

Mercredi 16 avril 2008

Thomas Hammarberg, chargé des droits de l’homme au Conseil de l’Europe :

L’Etat français vient d’être condamné pour non-respect de la dignité humaine en prison, une loi pénitentiaire est en préparation. Pensez-vous que la France doit encore évoluer sur la question des droits de l’homme en prison ?
Le problème en France est que les lois concernant les droits des personnes détenues ne sont pas mises en œuvre d’une façon satisfaisante. C’est pourquoi il était important que le ministère de la Justice propose de créer un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, établi par la loi d’octobre 2007. Cependant, jusqu’ici, le Contrôleur n’a pas été nommé et les ressources qui lui seront allouées ne semblent pas être adéquates à l’étendue de ses activités. Le décalage entre la loi et la pratique est souvent trop large en France et devrait être comblé d’urgence.

Jean-Paul Costa, le président de la Cour européenne des droits de l’homme, a déclaré : «Le problème majeur pour les droits de l’homme en France me semble être celui des prisons.» Est-ce aussi votre avis ?
Il est incontestable que la prison est l’un des lieux où se posent le plus de problèmes de respect des droits de l’homme en France. C’est malheureusement aussi le cas dans d’autres pays européens. Ce qui me frappe à propos de la France c’est que bien que ce problème soit parfaitement connu, peu d’améliorations ont été apportées. Les associations nationales, les organisations non gouvernementales et les experts ont plusieurs fois dénoncé les conditions de vie dans les prisons. Au niveau international, des rapports critiques ont été publiés, et des recommandations spécifiques ont été adressées au gouvernement, comme par exemple par mon prédécesseur en 2005, ou par le comité du Conseil de l’Europe pour la prévention de la torture, en décembre 2007. Mais très peu a été fait dans la mise en œuvre de ces recommandations.

Vous avez alerté contre la «tendance», en Europe, «à infliger la réclusion à perpétuité à un nombre croissant de condamnés». La France vient d’adopter la loi sur la rétention de sûreté qui suit cette voie…
Plusieurs pays européens se posent actuellement la question des personnes potentiellement dangereuses après leur peine. Je crois qu’il est très important d’avoir une discussion approfondie sur ce sujet. Les punitions devraient être proportionnelles, justes et fixées pour une durée de temps précise. Leur but devrait être de réhabiliter et réinsérer sans risque les délinquants dans la société. Je suis opposé aux sentences à vie sans possibilité de réexamen. L’idée de continuer à enfermer des personnes même après que leur peine a été purgée risque de déstabiliser les principes des droits de l’homme et la certitude du droit. Le but d’avoir de telles normes obligatoires est d’aider à établir des sociétés inspirées par la justice, et non par la vengeance.

Plusieurs organisations dénoncent un durcissement sécuritaire en prison depuis 2002. Etes-vous d’accord avec ce constat ?
Je vois des signes de telles tendances, pas uniquement en France, et j’en suis inquiet. Les prisons doivent devenir des endroits de réadaptation, avec les ressources adéquates pour des programmes de formation, d’éducation et de travail. Ceci donnerait aux prisonniers une vraie chance de réinsertion dans la société. Il est également important de sauvegarder le rôle crucial de ceux qui surveillent ce qui se passe dans les prisons, tels le futur Contrôleur et le Médiateur de la République. Le travail effectué par des représentants du Médiateur dans un nombre croissant de prisons françaises est positif, car il contribue à donner aux prisonniers la conscience qu’ils restent des citoyens même pendant leur détention.

 

La France veut réformer l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs, pour la rendre plus sévère. Qu’en pensez-vous ?
Les opinions publiques de la plupart des pays européens semblent effrayées par l’impression qu’elles ont d’une augmentation des crimes juvéniles. Les gouvernements tendent à suivre une demande de durcissement des sanctions dans ce domaine. Cette approche est contre-productive si elle est utilisée comme réponse principale ou unique. L’évidence prouve que les mineurs emprisonnés tendent à la récidive. L’arrestation, la détention et l’emprisonnement sont en principe possibles pour des mineurs au-dessus de l’âge minimal de responsabilité pénale, mais devraient être utilisés seulement en dernier recours et pour la période la plus courte possible. Le problème des jeunes délinquants ne sera pas résolu par des peines plus dures. Une politique réussie sur la délinquance juvénile devrait impliquer des mesures facilitant la prévention, la réadaptation et l’intégration sociale des jeunes en difficulté. La France devrait prendre le pilotage dans l’effort pour favoriser une approche plus constructive, en particulier parce qu’elle va assumer la présidence de l’Union européenne en juillet. Ce serait une occasion pour soutenir l’adoption de politiques pénitentiaires européennes communes basées sur des normes internationales acceptées, telle que celles adoptées au sein du Conseil de l’Europe. Pour les mineurs, comme pour les majeurs, le but d’une peine devrait être de faciliter la réinsertion. Il doit y avoir une vie après l’emprisonnement. L’amélioration des conditions de détention contribue beaucoup à donner une orientation positive à cette vie.

 

Propos recueillis par Ondine Millot sur Libération.fr le mercredi 9 avril 2008.