Archive pour avril 2008

Justices françaises ! Vivre ensemble dans la diversité culturelle

Mercredi 30 avril 2008

Samedi 17 mai à partir de 13h, à la Maison des Passages: Journée d’échanges, lectures, théâtre, musique….

 

Chacun d’entre nous constate un peu plus chaque jour que la confiance entre la société et l’appareil judiciaire (police, magistrat, huissier…) est mise à mal, que cette confiance est rompue : contrôle policier incessant dans certains quartiers en direction toujours des même jeunes, contrôle d’identité au faciès, tutoiement systématique…. Erreur judiciaire en cascade, incarcération quasiment systématique, difficulté à faire reconnaître ses droits dans la justice civile ou aux prud’hommes. Renforcement des dispositifs sécuritaires, création de nouveaux délits liés directement à la crise sociale et à l’appauvrissement d’une partie de notre société, alourdissement des peines…

A tout cela s’ajoute une méconnaissance de l’appareil judiciaire qui fait que lorsque nous y sommes confrontés on ne comprend pas toujours ce qui se passe, ne serait ce qu’au niveau de la langue. On a parfois l’impression qu’un monde se parle à lui-même et juge les autres.

 

Depuis la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 la justice est rendue au nom du peuple français. De même, la lente constitution des États nous a fait passer d’une justice de négociation à une justice d’autorité, dans laquelle « la justice sans la force est impuissante ».

 

En définitive la question à laquelle nous sommes confrontée est bien celle de savoir « qu’est ce qu’on fait quand on rend la justice ? », est-ce bien la justice qui est rendue ? ou est-ce une injustice supplémentaire qui vient alourdir nos quotidiens ?

 

« Juger c’est de toute évidence, ne pas comprendre

puisque si l’on comprenait on ne pourrait pas juger« .

André Malraux, Les conquérants

 

 

Téléchargez le programme et diffusez l’information!

 

Entrée libre
À la Maison des Passages
44, rue St Georges – 69005 Lyon
(Métro D/Vieux Lyon)
www.maison-des-passages.com
maisondespassages@orange.fr
04 78 42 19 04

Axès Libre, CIRDEL, L’EPI de Vaulx-en-Velin, GENEPI, La Maison des Passages, Paroles de Femmes, l’OIP et Raddho Diaspora

Une seule punition, l’enfermement ?

Mardi 29 avril 2008

Lorsque les cellules débordent, les conditions de détention se dégradent et les établissements pénitentiaires deviennent des poudrières. Reconnue coûteuse et peu efficace, la prison demeure néanmoins la peine de référence. Malgré la volonté affichée de développer d’autres solutions, le milieu ouvert manque cruellement de moyens, et certaines mesures de substitution à la détention, comme la libération conditionnelle, tendent à disparaître.

« Un directeur de maison d’arrêt peut bien avoir ses cellules à trois places occupées, quand le fourgon arrive, il doit faire face, et il rajoute un matelas par terre », constate Alain Fajer, responsable pénitentiaire en milieu ouvert. Résultat : 54 000 détenus pour 49 400 places (1).

 

En vingt ans, le nombre de détenus a doublé en France. L’augmentation est telle que certaines maisons d’arrêt connaissent des taux d’occupation supérieurs à 130 %. En avril 1996, la mutinerie de Dijon s’expliquait en partie par deux chiffres : 169 places et 300 prisonniers.

 

Dans l’arsenal des peines dites de substitution à l’incarcération, seules quelques-unes semblent avoir séduit les tribunaux. C’est le cas du sursis avec mise à l’épreuve et du travail d’intérêt général (TIG). Mais leur effet sur l’inflation carcérale a été contrecarré par l’allongement des peines. La première mesure, instaurée en 1958, permet de dispenser un condamné de l’exécution de sa peine dès lors qu’il se soumet à certaines obligations (exercer une activité, avoir un domicile, suivre un traitement). La seconde mesure, instaurée en 1984, consiste à faire effectuer au délinquant ou au contrevenant un travail non rémunéré au profit de la collectivité.

 

Outre l’intérêt qu’y trouvent les magistrats (personnalisation de la peine, réparation, réinsertion, implication de la société civile dans les décisions de justice pour le TIG), deux raisons expliquent leur essor : d’une part, l’augmentation du contentieux ; de l’autre, la récente modification du code pénal, qui a compliqué le recours au sursis simple. « Il ne s’agit donc pas forcément d’une volonté des juridictions de mener une politique de substitution à l’incarcération mais peut-être des conséquences de changements juridiques », analyse Pascal Faucher, président de l’Association nationale des juges de l’application des peines (Anjap).

 

Même si les magistrats reconnaissent que la détention n’est pas l’unique réponse pénale, voire doutent de son efficacité, des peines fermes sont encore prononcées pour punir de petits délinquants au casier judiciaire vierge. Les effets pervers sont pourtant connus : désir de vengeance, désinsertion, risque de mauvaises influences. « Beaucoup de juges ont du mal à considérer les autres peines comme de vraies peines, relève M. Patrick Marest, de l’Observatoire international des prisons. L’enfermement reste la référence. En témoigne le nombre encore important de peines de courte durée. De plus, les autres peines ont souvent permis de condamner des gens qui, avant leur création, ne l’étaient pas. Au lieu de les relâcher, on leur donne un TIG à faire. Le danger, c’est l’élargissement du contrôle social. » Il est néanmoins difficile de nier leur contribution à la réduction du nombre annuel d’entrées en prison (environ 85 000), qui s’est stabilisé depuis une décennie.

 

La mise en œuvre de certaines mesures se heurte à de sérieuses difficultés matérielles. « Le problème, souligne Mme Christine Peyrache, membre du bureau du Syndicat de la magistrature, c’est le manque de travailleurs sociaux dans les comités de probation », qui assurent le suivi des condamnés. Une réalité qui peut influencer les condamnations, les décrédibilisant d’autant plus que nombre de juges d’application des peines siègent aussi en correctionnelle.

 

Consciente du problème et soucieuse de reconquérir la confiance des tribunaux, l’administration pénitentiaire a prévu de doubler son personnel éducatif en milieu ouvert d’ici à la fin 1999 et de réorganiser ses services. Mais doubler un effectif de 768 travailleurs sociaux signifierait simplement que 1 536 personnes devront superviser près de 140 000 mesures annuelles. Et encore, si le ministère des finances accorde les budgets prévus. « A Paris, nous avons 4 700 dossiers en continu par an, et 21 agents de probation, explique Jean-Louis Chaux, premier juge d’application des peines. C’est simple, les deux tiers des dossiers ne peuvent être pris en charge. Ici, les juges ont choisi de s’en occuper. Mais c’est loin d’être le cas partout. »

 

Seuls les cas les plus lourds (toxicomanes, alcooliques) sont confiés aux travailleurs sociaux. Mais, pour que la mesure ait un sens, il faut susciter l’adhésion du condamné, tisser avec lui une relation de confiance, toutes choses qui exigent du temps et des moyens. D’autant que la détérioration des conditions socio-économiques, malgré l’appui d’un solide réseau de partenaires associatifs, a rendu presque impossible la réinsertion par l’emploi et le logement. Dans ces conditions, la mission des comités de probation se situe davantage sur le versant de la récidive que sur celui de l’accès à un mieux social.

 

Dans la large palette des solutions de rechange (suspension du permis de conduire, y compris pour des délits sans rapport avec des infractions routières, confiscation de véhicules ou d’armes, jours-amende), certaines ne sont prononcées que très rarement. C’est le cas de l’ajournement avec mise à l’épreuve, qui consiste à déclarer coupable une personne et à lui donner un délai pour régler certains contentieux (indemnisation de la victime, réparation du préjudice) avant de revenir au tribunal. « Au lieu de faire un passage à l’audience, ça en fait deux. Et, quand on a des séances qui s’achèvent à 23 heures, on évite de renvoyer un dossier supplémentaire ! », explique M. Pascal Faucher.

 

Une politique volontariste passe par l’octroi de moyens, mais aussi par des campagnes d’information : en 1994, à propos du travail d’intérêt général (TIG), diverses affiches et brochures avaient été imprimées, des colloques et des expositions organisés dans les tribunaux, à Paris comme en province. « Il y a eu là une réelle volonté politique, des moyens et des résultats immédiats puisque le nombre de TIG a nettement augmenté », souligne M. Pierre Tournier, démographe au Centre d’études et de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip).

 

Mais l’enjeu principal pour vaincre la suroccupation des établissements pénitentiaires se situe ailleurs. Comme l’a démontré Pierre Tournier, les peines se sont allongées, les durées moyennes de détention sont passées de 4,6 mois au début des années 80 à plus de huit mois à la fin des années 90. Plusieurs facteurs ont joué : la durée accrue des procédures, l’évolution du mode de sanction de certains actes, le développement des infractions à la législation sur les stupéfiants et des affaires de mœurs (l’une et l’autre fortement réprimées). Les condamnés sortent donc plus tard, et les cellules se remplissent.

 

La personnalisation de l’exécution des peines apparaît alors comme la seule solution. La libération conditionnelle a l’avantage de gérer de manière individuelle la sortie anticipée des prisonniers en escomptant leur réinsertion. Pourtant, le nombre de gens concernés par cette mesure est en chute libre. « En 1972, explique M. Tournier, 30 % des condamnés susceptibles d’en bénéficier se la voyaient accorder. En 1982, ils n’étaient plus que 20 % ; en 1992, 10 %. Pour moi, en 2002, ce sera 0 % ! On est en train d’assister à son abolition de fait. »

 

Plusieurs raisons expliquent ce recul de la libération conditionnelle alors même que les risques de récidive sont moindres chez les prisonniers en ayant bénéficié que chez les autres. Les juges évoquent d’abord la détérioration des conditions socio- économiques : « Pour les longues peines, il devient de plus en plus difficile de trouver des structures d’accueil. Saturées, celles-ci finissent d’ailleurs par ressembler à des « prisons bis » quant à leur population », assure Mme Christine Peyrache. Avec la montée en puissance de certaines mesures de substitution, le nombre de personnes incarcérées pour des délits mineurs a diminué. Aussi trouve-t-on en prison une proportion plus importante de personnes condamnées à des peines lourdes, et donc a priori plus dangereuses. Ce phénomène rend alors délicat, en terme de sécurité publique, l’octroi de libérations anticipées.

 

« La justice se voit tellement reprocher les récidives alors que l’intéressé est en libération conditionnelle, souligne M. Jean-Louis Chaux, juge d’application des peines, que les magistrats, comme le garde des sceaux, sont de plus en plus réticents. » Pour les peines de plus de cinq ans, la décision ne revient plus en effet aux juges, mais au garde des sceaux. Or l’enjeu politique est de taille face à une opinion publique assez rétive : même s’il est convaincu de la pertinence de la mesure, quel garde des sceaux prendra volontiers le risque de laisser sortir en libération conditionnelle des délinquants coupables d’infractions majeures ? « Pour l’Anjap, explique M. Pascal Faucher, il serait beaucoup plus sain que ce soit non pas un ministre qui décide mais une commission juridictionnelle, indépendante du pouvoir politique. Cela permettrait une approche moins passionnelle des dossiers. Et d’accroître le nombre de sorties anticipées. »

 

Autre solution proposée pour restituer un souffle de vie à la libération conditionnelle : la rendre obligatoire, sauf décision motivée. Cette idée ne fait pas, tant s’en faut, l’unanimité. « Le détenu pourtant serait ainsi en mesure d’envisager sa sortie de manière constructive », souligne M. Pascal Faucher.

 

Si le risque zéro de récidive n’existe pas, il serait en tout cas moindre que quand, pour gérer la surpopulation carcérale, on jongle avec des remises de peines, devenues quasi automatiques, et avec les grâces collectives du 14 juillet. « Un des principes de la politique pénale, en France comme en Europe, explique M. Pierre Tournier, c’est l’individualisation des peines. Or la libération conditionnelle disparaît au profit de mesures purement gestionnaires, qui servent de soupapes de sécurité. » Ayant alors légalement purgé leur condamnation, les libérés n’ont plus de comptes à rendre. S’ils récidivent, la faute n’incombe plus à personne. « Ce système, souligne M. Pascal Faucher, est hypocrite et pervers puisque, pour compenser, magistrats et jurés finissent par infliger des peines plus longues. »

 

Intolérance croissante de la société

 

Le danger d’un tel mécanisme avait pourtant été dénoncé, en octobre 1994, par la commission Cartier, mise en place par M. Pierre Méhaignerie, alors garde des sceaux. « On a d’abord cherché des solutions pour rentabiliser les réductions de peines, en transformant ce temps gagné en temps de suivi post-pénal individualisé, explique Mme Marie-Elisabeth Cartier, professeur de droit pénal à l’université Paris-II. Mais ni le ministère ni l’administration pénitentiaire ne veulent en entendre parler, par peur de révoltes des détenus à qui ça ne fait pas le même effet ! » De nombreuses propositions visant à relancer la libération conditionnelle ont été faites, soulignant la nécessité des mesures post- pénales. Mais seul le projet de loi Toubon sur le suivi médico-social des délinquants sexuels – repris dans ses grandes lignes par la ministre de la justice Elisabeth Guigou, et définitivement adopté le 4 juin dernier – semble s’en être inspiré.

 

« Nous, juges, nous nous trouvons confrontés à l’intolérance croissante du corps social, constate M. Pascal Faucher. D’une affaire de techniciens, la matière pénale est devenue un instrument de visibilité politique. » Elle s’est même transformée en enjeu électoral. Pour étayer des discours sécuritaires, des responsables politiques de droite et de gauche, soucieux de flatter une opinion jugée peu encline à la clémence, invoquent des taux de récidives alarmistes et farfelus.

 

Mais c’est l’efficacité de certaines condamnations qui devrait être débattue, quitte à déplaire à bien des magistrats. « Même s’il faut maintenir une échelle de valeurs,le débat n’est plus de savoir de combien il faut rallonger les peines. Vingt ans, trente ans, ça n’a pas de sens en terme de protection ! Il faut comprendre ce qui se passe en prison et trouver des moyens pour que les gens sortent, non pas en électrons libres, leur petite valise sous le bras, mais encadrés. C’est la seule manière d’éviter que des gens dangereux se retrouvent ainsi lâchés en fin de peine. » insiste le président de l’Anjap,

 

Pour vider les prisons – ou ne plus les remplir -, plusieurs organisations de juges s’interrogent aussi sur l’impact de certaines condamnations. C’est le cas de celles qui concernent les étrangers en situation irrégulière, lesquels représentent une fraction importante du nombre des détenus. En quoi l’enfermement apporte-t-il une solution à ce type de délits ? Même question pour la toxicomanie, surtout quand aucune prise en charge adaptée n’est assurée ? « A des problèmes divers, on applique une réponse unique. On justifie un système parce qu’on n’en a pas cherché d’autres », conclut M. Patrick Marest.

 

Comme, par exemple, la prévention ? Car le pénaliste anglais Ken Pease l’a rappelé devant le Conseil de l’Europe : « Pour être utile, le débat sur l’emprisonnement et les solutions de substitution doit être étendu à l’examen des moyens de lutter contre la criminalité avant que le délit ne soit commis. »

 

 

 

(1) Au 1er janvier 1998. Un an plus tôt, on recensait plus de 58 000 détenus.

Article de Florence Raynal paru sur monde-diplomatique.fr en juillet 1998.

Moins cher que l’hôpital, la prison

Mardi 29 avril 2008

« J’ai suivi un jeune schizophrène condamné à quatre ans d’emprisonnement, après comparution immédiate, pour une tentative de braquage avec une arme ridicule. Il sortait d’un hôpital psychiatrique. L’expertise a conclu à sa responsabilité pénale. Nous avons demandé une contre-expertise, qui a donné un résultat contraire. Mais le magistrat s’en est tenu à sa première décision. » L’histoire que raconte M. Joseph Minervini, psychiatre à temps partiel dans l’unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) de la maison d’arrêt de Besançon, n’a malheureusement rien d’une anecdote. Elle révèle les mutations concomitantes du milieu carcéral et du dispositif hospitalier de soins psychiatriques. Selon ce médecin, le jeune homme aurait dû, « compte tenu de sa faible dangerosité et de son état de santé », continuer à être suivi par l’hôpital dont il dépendait, non se retrouver en prison.

 

Dès 2000, l’ex-président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP), M. Evry Archer, annonçait que 40 % des entrants présentaient des troubles ou des maladies psychiatriques avérées. En décembre 2004, une étude épidémiologique signalera à son tour que 8 hommes détenus sur 10, et 7 femmes sur 10, souffrent d’au moins un trouble psychiatrique (1). Selon cette étude, 24 % d’entre eux souffrent de troubles psychotiques, 56 % de pathologies anxiogènes et 47 % de problèmes dépressifs. En outre, 20 % ont déjà été suivis par le secteur de psychiatrie générale.

 

Parmi les raisons de cette recrudescence des malades mentaux dans les prisons, la réforme du code pénal de 1993 qui établit, par l’article 122-1, la responsabilité pénale des personnes dont le discernement « est altéré au moment des faits ». En clair, on considère que la conscience de leur acte a pu être modifiée par la maladie, mais qu’elle n’a pas été abolie. Une nuance délicate qui permet, certes, une reconnaissance du crime pour la victime, mais fait passer au second plan la nécessité du soin psychiatrique pour le condamné. De fait, des vagues de condamnés, qui auraient pu, avant 1993, être jugés irresponsables et suivis par la psychiatrie générale, ou dans une unité pour malades difficiles (UMD), se retrouvent à présent en prison. La proportion des accusés jugés irresponsables au moment des faits, qui s’élevait à 17 % en 1980, est ainsi tombée à 0,17 % en 2001.

 

La présence du personnel psychiatrique hospitalier en milieu carcéral rassure. Depuis 1986, les détenus malades mentaux ont accès aux soins pendant leur incarcération. Sur le papier, 463 lits d’hospitalisation sont ouverts et répartis à l’intérieur de 26 maisons d’arrêt et centres pénitentiaires. Ces services médico-psychologiques régionaux (SMPR), rattachés à des centres hospitaliers, sont dotés de psychiatres et de personnel infirmier. Si l’état du détenu devient incompatible avec l’emprisonnement et qu’il refuse les soins, les psychiatres des SMPR ne peuvent le contraindre, mais ils ont dorénavant la possibilité de le faire admettre d’office dans l’hôpital de rattachement ou dans l’une des quatre UMD que compte l’Hexagone.

 

Il est communément admis que les SMPR améliorent la situation des établissements pénitentiaires qui les hébergent. Dans les autres, les UCSA n’assurent, depuis 1994, que des prises en charge inférieures à 48 heures. Le revers de la médaille est le recours plus fréquent à la prison pour régler des situations qui ressortissent au trouble à l’ordre public (lire « Et même la folie a cessé d’être innocente »).

 

Loin du cliché du condamné en assises pour homicide ou viol, à l’occasion de faits divers sanglants, un nombre croissant de psychotiques arrivent à présent dans le milieu carcéral : 40 % des détenus concernés par ces troubles font l’objet d’une condamnation en correctionnelle.

 

« Face à la saturation des structures de psychiatrie, comme les hôpitaux ou les centres médico-psychologiques [CMP], nombre de patients restent sans soins et entrent dans une spirale de petits délits qui les mène en prison », explique, en 2004, M. Michel Laurent, alors psychiatre à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, avant d’ajouter qu’il lui est fréquemment arrivé de « recevoir des détenus qui, à leur arrivée, sont complètement délirants et déstructurés, et qui n’auraient jamais dû se retrouver en prison ». Même constat à Besançon : « Certains de nos patients ont un profil de malades avant d’être des délinquants, explique M. Minervini. Ils étaient en situation d’errance ou de grande précarité. Ils ont commis de petits larcins. Ou bien ils se sont battus et terminent en correctionnelle ou en comparution immédiate. Ils arrivent en prison sans avoir subi d’expertise. »

 

Autre réalité tout aussi alarmante : le soin en milieu carcéral peut devenir un argument pour prolonger la détention. « Pour des patients très difficiles, le juge d’application des peines invoque parfois la qualité du suivi thérapeutique et la crainte d’un manque de prise en charge à l’extérieur pour refuser un aménagement de peine », s’alarme M. Laurent. Entouré de 4 psychiatres et de 9 infirmiers, il a eu à suivre entre 200 et 350 détenus de manière permanente sur une année. Soit près d’un tiers des détenus. A côté des situations de toxicomanie, de délinquance sexuelle, d’alcoolisme et de troubles mentaux, il évalue à une quarantaine le nombre de détenus souffrant d’une psychose schizophrénique. Des malades qui passent d’un état « stabilisé » à des phases de paranoïa, de bouffées délirantes, d’agressivité, ou bien à des phases d’extrême angoisse pouvant mener au suicide.

 

S’il se considère comme bien loti « comparé aux autres SMPR [qu’il a] visités », son constat est sans appel : « Nous suivons des détenus-patients qui ont besoin d’une prise en charge soutenue. Nous ne pouvons pas tous les faire hospitaliser d’office à l’hôpital de rattachement, et certains n’ont pas non plus le profil de l’UMD. »

 

Indispensable puisqu’il offre des soins aux détenus malades, ce système est débordé. Selon la dernière enquête épidémiologique, la proportion de psychotiques à tendance schizophrénique atteint maintenant 10 % dans les établissements pénitentiaires (2). La population carcérale étant proche de 59 000 personnes, cela signifie que presque 6 000 détenus auraient besoin d’un suivi plus soutenu. Un raz de marée, compte tenu des 463 places officiellement décomptées dans les SMPR.

 

A cela s’ajoutent des obstacles matériels. Sur le papier, le service de Bois-d’Arcy compte 11 lits d’hospitalisation, « mais en réalité, nous n’en avons aucun », déplore M. Laurent. Question de budget, d’exiguïté des locaux, le SMPR n’assure même pas l’équivalent d’un hôpital de jour, qui garderait les détenus à la journée. La situation de Bois-d’Arcy n’est pas une exception. Le SMPR de Châteauroux n’est pas encore équipé de lits malgré les 13 places qui lui sont imparties, car, entre autres raisons, les postes de psychiatre ne sont pas pourvus. Plusieurs services doivent fermer faute de personnel ou de travaux, comme cela a été le cas à Caen. A Nantes, la situation pourrait paraître meilleure : le SMPR situé dans l’enceinte du centre pénitentiaire compte 16 lits d’hospitalisation à temps plein. Un des psychiatres constate pourtant : « Cela n’a rien à voir avec une hospitalisation normale. Les soins ne sont dispensés que dans la journée. Pendant la nuit, il y a un médecin d’astreinte mais pas de personnel soignant. »

 

Cette réalité inquiétante va à l’encontre de garanties octroyées par la législation, puisque, depuis 1994, la loi sur l’accès aux soins des détenus impose un principe d’égalité de soins entre le pénitentiaire et l’extérieur. Sur les 26 SMPR, seuls ceux de Fresnes et de Marseille disposent d’une surveillance médicale nocturne permettant d’atteindre l’objectif d’hospitalisation effective. Dans les autres cas, une bouffée délirante aiguë ou une tentative de suicide peut à tout moment devenir tragique.

 

Alors, pourquoi garder en prison des détenus malades ? Pour l’équipe des psychiatres nantais, une piste de réponse apparaît clairement : « Les détenus-patients sont hébergés dans des cellules que l’on ne peut qualifier de chambres d’hospitalisation, même si curieusement le forfait hospitalier s’y applique, alors que l’administration pénitentiaire fournit chichement le gîte et le couvert. » Une journée en détention ne coûte que 150 euros, quand une journée en hôpital psychiatrique revient à 480 euros…

 

Du côté du ministère de la justice, on reconnaît la saturation. Dès le 15 décembre 2003, le ministre de la justice Dominique Perben concédait : « Le dispositif sanitaire [hospitalisation d’office, UMD et SMPR] se révèle insuffisant en matière de prise en charge des troubles mentaux compte tenu de l’ampleur des besoins (3). » La loi de programmation 2002 prévoit la création de véritables hôpitaux psychiatriques pour détenus — les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA).

 

Le projet ressemble à une bouffée d’oxygène. Mais le rêve pourrait être de courte durée. « D’où viendra le personnel ? Car il faudra bien créer des postes de soignant », remarque Mme Françoise Huck, vice-présidente de l’ASPMP. La question n’a rien d’anodin : les hôpitaux psychiatriques dénoncent eux-mêmes leur manque de personnel. Quant aux places offertes par ces 17 futures UHSA, d’abord estimées à 144, elles devraient finalement atteindre, selon les annonces du ministère de la justice, un total de 700 d’ici à 2010, dont 450 dès 2008. Les SMPR, eux, risquent d’en faire les frais. Ils pourraient perdre leur 463 places d’hospitalisation pour un recentrage sur des soins ambulatoires ne dépassant pas quarante-huit heures. Si les négociations se poursuivent sur ce point, le nombre de lits dans ces services devrait être revu à la baisse.

 

Destinées en premier lieu à soulager les établissements pénitentiaires, ces UHSA n’infléchiront pas la tendance à emprisonner des malades mentaux. Elles pourraient même l’accentuer. Psychiatre intervenant aux Baumettes, à Marseille, M. Jean-Marc Chabanne se demande, comme nombre de ses collègues, si « la recréation des asiles, par l’instrumentalisation de la psychiatrie, n’est pas à l’œuvre en instituant ces nouveaux lieux de soins spécialisés pour malades mentaux détenus » et si les experts psychiatres n’auront pas tendance à recourir à l’incarcération car, « quelle que soit leur conclusion, ils auront la certitude que le patient sera soigné en milieu sécurisé ».

 

Ce dispositif risque même de « créer une psychiatrie pénitentiaire pour les malades agités que la psychiatrie générale n’est plus en mesure ou ne veut plus prendre en charge », dénonce un membre de l’ASPMP.

 

Lors d’une audition d’enquête parlementaire, en 2001, M. Archer, psychiatre au SMPR de Loos, dans le Nord, avertissait : « Il ne faudrait pas que la présence des dispositifs de soins psychiatriques dans les prisons en vienne à cautionner le retour à une fonction asilaire de la prison. » Cette crainte est en passe de devenir un fait accompli.

Article de Virginie Jourdan paru sur monde-diplomatique.fr en juillet 2006.

Répression des mineurs : le contre-exemple américain

Mardi 29 avril 2008

Le 5 juillet, au terme d’un examen mené tambour battant par la ministre de la justice Rachida Dati, le Sénat français a adopté le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. L’Assemblée nationale en débattra à son tour à partir du 17 juillet. Les peines minimales instaurées par ce texte s’appliquent aux mineurs ; s’ils sont âgés de plus de 16 ans, ceux-ci se voient retirer l’excuse de minorité dès le troisième acte de violence.

 

Ces mesures s’inscrivent dans une politique de recours massif à l’incarcération — une note de l’administration pénitentiaire publiée le 11 juillet prévoit environ 80 000 détenus en 2017, alors qu’ils sont actuellement au nombre de 60 800 pour 50 500 places. Elles signifient également un nouveau durcissement de la loi à l’égard des mineurs délinquants.

 

C’est dans ce contexte qu’un éditorial de l’International Herald Tribune (1) vient rappeler le caractère à la fois « inhumain et contre-productif » de la suppression du traitement spécial pour les mineurs. Au cours des dernières décennies, en effet, les Etats américains ont jugé un nombre croissant de mineurs comme des adultes, en les enfermant dans les mêmes prisons que ces derniers. Or, comme l’a encore montré une étude (2) publiée au printemps dernier par l’American Journal of Preventive Medicine, cette politique a eu des conséquences désastreuses : les enfants concernés ont, par la suite, commis davantage de crimes violents que ceux qui avaient été jugés et incarcérés en tant que mineurs. En outre, souligne le journal, la moitié de ceux qui avaient été traduits en justice dans ces conditions n’ont pas été condamnés — mais ont tout de même fait de la détention préventive avec des adultes.

 

Enfin, il est établi que les mineurs noirs ont davantage de « chances » d’être jugés et condamnés comme des adultes. La déclaration de M. Nicolas Sarkozy justifiant la modification de l’ordonnance de 1945 par le fait que « les mineurs de 1945 n’ont rien à voir avec les géants noirs des banlieues d’aujourd’hui », le 28 juin 2006 en conseil des ministres (lire « La discipline s’impose dès le berceau »), ne permet pas d’affirmer qu’il n’en sera pas également ainsi en France. Un paradoxe au moment où la France, au nom de la protection des mineurs, prend une part active à la campagne internationale pour la libération et la réinsertion des enfants-soldats.

 

(1) « Juvenile justice in America », International Herald Tribune, 12 juillet 2007.

 

(2) Lire Michael Tonry, « Treating Juveniles as Adult Criminals. An Iatrogenic Violence Prevention Strategy if Ever There Was One » (PDF), American Journal of Preventive Medicine, avril 2007.

Article paru sur monde-diplomatique.fr le 16 juillet 2007.

Intolérance sociale, par Gilles Sainati et Ulrich Schalchli

Mardi 29 avril 2008

« Issue directement d’une analyse comportementale niant tout de la liberté du sujet, la doctrine de la tolérance zéro correspond aux évaluations de “zéro défaut” que l’on peut retrouver sur les chaînes de production automobile. Cette nouvelle république technicienne a ses zélateurs de tous bords, et déjà les premiers ennemis sont repérés : ce sont les “jeunes des banlieues”, les immigrés, les SDF et tous les exclus qui peuplent la voie publique. Mais ils ne sont que les premiers, d’autres suivent et commencent à constituer les hordes statistiques : les enfants, les automobilistes, les fumeurs, puis ce sera le tour des chômeurs, des malades, forcément fraudeurs et responsables de leur sort. Chaque individu-citoyen est appréhendé en fonction de la catégorie délinquante à laquelle il est censé appartenir. Chacun est nécessairement suspect d’avoir commis, de vouloir ou de pouvoir commettre une infraction. Cette politique d’intolérance sociale va achever de transformer la justice (surtout la justice pénale) en système bureaucratique total… La justice et ses valeurs sont au principe des régimes démocratiques. On juge, dit-on, un pays à l’état de ses prisons. Si en France celles-ci sont une “honte pour la République”, la manière dont elles sont remplies est encore plus dramatique. Les anciens cours de droit enseignaient que la procédure est sœur de liberté ; cette maxime est totalement passée de mode. Aujourd’hui, l’heure est à l’efficacité, qui aboutit à la case prison. »

La Décadence sécuritaire, p. 11-12.

 

Article de Gilles Sainati et Ulrich Schalchli paru sur monde-diplomatique.fr en janvier 2008. 

Une mort qui relance le débat sur la récidive

Mardi 29 avril 2008

Samedi, la chancellerie se félicitait de sa loi de 2007 sur les peines planchers. 
Si les soupçons contre Bruno C. sont avérés [dans l'affaire du meurtre de l'étudiante suédoise], la polémique sur le traitement pénal des criminels récidivistes va s’enrichir d’un nouvel épisode. Cela n’a pas échappé à la chancellerie qui, dès samedi, a pris l’initiative de publier un communiqué pour se féliciter de la «priorité» mise «depuis un an» par le gouvernement sur la lutte contre la récidive. Les services de Rachida Dati, la garde des Sceaux, ont aussi rappelé que «ce type de crime [sexuel] est souvent le fait de récidivistes et de criminels dangereux», avant de souligner que la loi antirécidive du 10 août 2007, instaurant des peines planchers pour les récidivistes, avait été appliquée «7 843 fois». La chancellerie a aussi mis en avant la loi du 28 février dernier relative à la rétention de sûreté qui instaure pour les criminels les plus dangereux une mesure de rétention à l’issue de leur peine.

Des syndicalistes n’ont pas tardé à réagir, dont Serge Portelli, membre du Syndicat de la magistrature et spécialiste de la récidive, qui a jugé «choquant pour ne pas dire indécent que le ministère de la Justice profite d’un crime odieux pour faire de la publicité sur des lois qui sont plus que problématiques car extrêmement discutables au niveau des droits de l’homme et des principes généraux du droit». Concernant la loi sur les peines planchers, Serge Portelli estime qu’elle vise, dans la grande majorité des cas, des petits délinquants, et que concernant les criminels dangereux cette loi prévoit «des peines qui sont très largement inférieures à celles qui sont appliquées d’habitude par les cours d’assises dès qu’elles ont à juger un récidiviste».

 

Le parcours de Bruno C. est un cas d’école en matière de délinquant sexuel multirécidiviste. A 51 ans, il a passé une vingtaine d’années derrière les barreaux. Si sa première condamnation, alors qu’il avait 15 ans, concerne un vol à main armée, les peines les plus lourdes ont été prononcées pour des crimes sexuels. En 1979, il est condamné à six ans de réclusion pour le rapt et le viol d’une femme de 22 ans. Début 1983, alors qu’il est sorti de prison depuis moins de deux ans, il enlève et viole une auto-stoppeuse de 21 ans, puis une fillette de 12 ans. Pour ces deux viols Bruno C. écope de dix-huit de prison, dont il ressort en 1999. Pourtant, et c’est l’une des zones d’ombre de l’enquête, l’empreinte génétique de Bruno C. n’apparaît pas dans le fichier national des empreintes génétiques (Fnaeg). A la lumière des débats actuels, on peut imaginer que si la loi sur la rétention de sûreté avait existé en 1999, Bruno C. aurait peut-être été concerné. A 42 ans, il aurait alors été enfermé en raison de sa potentielle dangerosité. Impensable, dénoncent les détracteurs de cette loi, qui estiment qu’il faut surtout soigner ce type de délinquant en prison. Libre, il a pu récidiver, répliquent les défenseurs de ce texte.

Article paru sur Libération.fr lundi 28 avril 2008. 

Détenu suicidé : pourquoi la justice poursuit l’ex-directeur de la Santé

Mercredi 23 avril 2008

Prison. Après la mort de Kamel K., en 1999, sa famille a porté plainte au pénal.

Avant de se suicider, le 24 mai 1999, dans une cellule du quartier disciplinaire de la maison d’arrêt de la Santé à Paris, Kamel K. avait rédigé une lettre. «Je n’ai aucun soutien de personne. Je demande pardon à ma femme que j’aime. On nous traite comme des moins que rien. Je demande pardon à mes parents et frère et sœurs que j’aime tant.» Puis il s’est pendu à l’aide d’une ceinture à la grille de sa cellule.

Il y a deux semaines, l’ancien directeur de la maison d’arrêt de la Santé, ainsi que l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris ont été renvoyés en correctionnelle pour «homicide involontaire». Une décision historique. Jamais un directeur de prison n’avait été renvoyé devant un tribunal pour un suicide en détention.

 

Troubles. Il a fallu l’obstination de la famille de Kamel K. pour en arriver là. Le parquet, à l’origine, avait classé l’affaire. Les sœurs de Kamel K. ont alors porté plainte au pénal, procédure rarissime. L’une d’elles lui avait rendu visite peu avant sa mort. Il était dans un état de «désespoir total», dit-elle. Ses bras étaient entaillés. «Il portait un tee-shirt sale et taché de sang. Il donnait des coups de poing sur la vitre du parloir. Il pleurait et il n’était pas bien du tout.»

 

Kamel K. était suivi par un psychiatre et une psychologue, et prenait un traitement pour ses troubles mentaux. En janvier 1999, alors qu’il venait d’être placé au quartier disciplinaire, il avait déjà tenté de se pendre à deux reprises. Comme beaucoup de détenus, il ne supportait pas les conditions très dures de ce mode de punition.

 

Pourtant, en mai 1999, suite à une altercation violente avec son codétenu, on décide de le placer au mitard à nouveau. Il y restera cinq jours, jusqu’à son suicide, et, pendant tout ce temps, n’aura droit à aucune visite de psychologue ou de psychiatre. Ceux chargés de son suivi n’ont d’ailleurs pas été avertis de ce placement.

 

«Kamel K. présentait un trouble ancien de la personnalité, connu sous le terme « état borderline », correspondant à une prédisposition majeure à un geste suicidaire, ont noté les experts psychiatres mandatés par l’instruction. L’enquête a montré que cet «état» était connu du personnel de santé et de l’administration pénitentiaire. Elle a montré l’absence de fouilles dans la cellule qui auraient pu permettre de trouver la ceinture avec laquelle Kamel K. s’est pendu. Le code de procédure pénale prévoit que les détenus ne peuvent garder aucun objet «pouvant permettre ou faciliter un suicide».

 

«Acharnement». «L’administration pénitentiaire est légalement responsable de l’intégrité physique et psychologique des personnes qui lui sont confiées, rappelle Patrick Marest, de l’Observatoire international des prisons (OIP). J’espère qu’elle tirera les conséquences de ces poursuites en s’interdisant de placer en quartier disciplinaire des détenus pour lesquels il y a un doute sur le plan psychologique.»

 

Le parquet a décidé de faire appel du renvoi en correctionnelle. Le syndicat FO des directeurs de prison a dénoncé «l’acharnement» d’une juge d’instruction. Visée, Marie-Odile Bertella-Geffroy, qui a instruit les affaires du sang contaminé et de l’hormone de croissance.

 

Au même moment, l’OIP dénonçait un cas similaire à celui de Kamel K. A la maison d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine), le 27 mars, un détenu de 23 ans a été retrouvé pendu. Maintenu au mitard malgré des troubles psychiatriques, il avait déjà tenté de mettre fin à ses jours.

L’administration pénitentiaire défend son action de prévention.

Dès l’annonce du renvoi en correctionelle de l’ex-directeur de la prison de la Santé Alain Jego, la semaine dernière, l’administration pénitentiaire a tenu à lui apporter son soutien «plein et entier». Interrogé hier par Libération, le directeur de l’administration pénitentiaire (AP) Claude d’Harcourt reprenait à son compte la théorie de l’avocat d’Alain Jego selon laquelle «on reproche des faits à une personne physique faute de pouvoir poursuivre une personne morale» (l’administration pénitentiaire n’a pas cette qualité et ne peut donc pas être poursuivie au pénal, ndlr). «Je pense que si la responsabilité de l’administration pénitentiaire avait pu être mise en cause, mon collaborateur n’aurait pas été poursuivi», explique Claude d’Harcourt. Le directeur de l’AP évoque un programme de prévention du suicide mis en œuvre depuis 2003 et coordonné par le psychiatre Jean-Louis Terra. «Plus de 5000 personnels ont été formés à la prévention du suicide, note Claude d’Harcourt. On constate une baisse de presque 30 % des suicides depuis 2005.»

 

 

Dans un rapport rendu en 2003, Jean-Louis Terra préconisait l’interdiction de placer au quartier disciplinaire les détenus en crise suicidaire, et l’instauration d’un examen psychiatrique destiné à vérifier que les troubles qui motivent le placement au mitard ne sont pas dus à une crise suicidaire. A l’heure actuelle, cet examen est loin d’être systématique.

 

Si le nombre global de suicides baisse en prison, ce n’est pas le cas de celui des suicides au quartier disciplinaire : on comptait 122 suicides en prison en 2005 dont 12 au mitard, et 96 en 2007, dont 14 au mitard. Depuis le début de 2008, 21 personnes se sont suicidées en prison. Trois d’entre elles étaient au quartier disciplinaire. «Nous sommes le seul pays européen à avoir plus de 20 % des détenus atteints de troubles mentaux, souligne Claude d’Harcourt. Or 40 % des agressions sont le fait de détenus atteints de troubles mentaux. Il y a un vrai problème de structure pour ces personnes malades et agressives qui ne sont pas à leur place en prison.»

 

Articles d’Ondine Millot publiés sur Libération.fr le mardi 22 avril 2008.

LETTRE OUVERTE : Désignation du Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Jeudi 17 avril 2008

LETTRE OUVERTE

Désignation du Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Paris, le 16 avril 2008


Monsieur le Président de la République
Palais de l’Elysée
55, rue du faubourg Saint-Honoré
75008 Paris

Monsieur le Président de la République,

Plus de cinq mois après l’institution d’un Contrôleur général des lieux de privation de liberté par la loi du 30 octobre 2007 et un mois après son décret d’application en date du 12 mars dernier, nos organisations s’étonnent qu’aucune personnalité n’ait été nommée à ce jour.

Nous sommes particulièrement inquiets du retard pris dans la mise en place de ce mécanisme national de prévention de la torture et des mauvais traitements et du contrôle du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

Pour mener à bien le processus de nomination, la lettre et l’esprit du Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants dont la ratification a été annoncée, doivent être respectés. La désignation du futur Contrôleur doit se faire conformément aux Principes de Paris. (1)

En vertu de ces Principes, la procédure de nomination doit présenter toutes les garanties nécessaires pour « assurer la représentation pluraliste des forces sociales (de la société civile) concernées par la protection et la protection des droits de l’homme. » (2)

Il apparaît dès lors nécessaire que la Commission nationale consultative des droits de l’homme, instance issue des Principes de Paris, soit consultée sur le choix de la personnalité hautement compétente et indépendante appelée à exercer les fonctions de Contrôleur.

L’examen périodique universel auquel la France sera soumise les 14 mai et 18 juin prochains devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies serait l’occasion pour la France d’annoncer la personnalité idoine choisie dans le respect des Principes de Paris ou, à tout le moins, l’imminence de sa nomination.

Ainsi, la France soucieuse d’être exemplaire lors de l’examen périodique universel montrerait ainsi l’effectivité de son attachement aux droits de l’homme dans les lieux privatifs de liberté.

Nous demandons la nomination rapide et transparente du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

 

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, en l’assurance de notre plus haute considération.


Organisations signataires
ACAT-France
Amnesty International section française
ANVP (Association nationale des visiteurs de prison)
Aumônerie Catholique des prisons
Aumônerie Protestante des prisons
Ban Public
CIMADE
FARAPEJ (Fédération des associations, réflexion, action prison et Justice)
GENEPI (Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées)
Ligue des droits de l’Homme
OIP (Observatoire International des Prisons)
Secours Catholique
SNEPAP-FSU
Syndicat de la magistrature
UGSP-CGT (Union générale des syndicats pénitentiaires CGT)

Copie à :
Premier Ministre
Hôtel de Matignon
57, rue de Varenne
75700 Paris

Ministre de la Justice
13 place Vendôme
75042 PARIS cedex 01

Ministre des Affaires Etrangères
37, Quai d’Orsay
75351 Paris

Ministre de la Santé
95, avenue de France
75650 Paris Cedex 13

Ministre de l’Intérieur
Place Beauvau
75008 Paris

Ministre de la Défense
231 bd St Germain
75007 Paris

(1). Résolution 48/134 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 20.12.93, Annexe Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme.
(2). Résolution 48/134 Annexe, Composition et garanties d’indépendance et de pluralisme.

Un coup de jeune dans les prisons

Jeudi 17 avril 2008

Dénonçant une hausse de la délinquance des moins de 18 ans, Rachida Dati veut durcir les sanctions.

Cela commence par un film, au ton alarmiste. «A l’aube du XXIe siècle, la délinquance se durcit. En moins de dix ans, les condamnations pour violences des mineurs ont cru de 150 %», martèle le commentaire. Mardi, à la chancellerie, Rachida Dati projetait à ses invités un documentaire, condensé d’alarme sécuritaire. Il s’agissait d’instaurer un groupe de travail chargé de «réfléchir» à une réforme de l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs. Et de faire des propositions le 1er novembre. Mais le discours de la ministre de la Justice, suivi par celui du président du groupe de travail, le juriste André Varinard, à la tonalité fort proche, montre que les projets du gouvernement en ce domaine ont déjà été bien «réfléchis».

En prison avant 13 ans?

 

L’ordonnance de 1945 pose le principe d’une justice des mineurs différente de celle des majeurs, où l’éducatif doit toujours primer sur le répressif. Elle pose un âge minimum, 13 ans, en dessous duquel un jeune ne peut pas faire l’objet d’une sanction pénale. Il peut être rappelé à l’ordre, puni, mais par des mesures éducatives. Par exemple, il peut être suivi par un éducateur et être tenu de respecter un certain nombre d’engagements. Mais il n’effectue pas de peine.

 

Dans son discours, Rachida Dati a alerté sur la «forte progression de la délinquance des moins de 13 ans». Elle a jugé «pas exempte de critiques» l’impossibilité de «condamner à une peine»«trouver une méthodologie plus efficace» pour ramener les plus jeunes dans le droit chemin. A plusieurs reprises, l’idée d’appliquer des sanctions pénales, donc possiblement des peines de prison, aux moins de 13 ans a été évoquée. ces enfants. André Varinard a renchéri: il faut

 

Un «âge minimum» de responsabilité

 

L’ordonnance de 1945 ne prévoit pas «d’âge minimum» de responsabilité pénale. Cela veut dire que si un seuil (13 ans) existe pour pouvoir être condamné à une peine, il n’y a pas, en revanche, d’âge minimum pour être sanctionné d’une mesure éducative. Le juge pour enfants est chargé, au cas par cas, d’évaluer le «discernement» de l’enfant. Et lui infliger une sanction éducative, quel que soit son âge. Dati voudrait l’instauration d’un âge minimum. C’est ce que réclame la convention internationale des droits de l’enfant (Cide), qui engage la France depuis 1990. Ce «seuil», en dessous duquel aucune condamnation de quelque sorte que ce soit n’est possible, existe dans la plupart des pays européens. Mais les écarts sont énormes: 7 ans en Grèce, 10 en Grande-Bretagne, 12 en Suède, au Pays-Bas et en Italie, 14 ans en Allemagne. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies recommande que ce seuil minimal soit fixé à 12 ans. Que décidera la France? Vu la détermination du gouvernement à vouloir sanctionner pénalement les moins de 13 ans, on peut légitimement s’inquiéter. Dans un rare communiqué, l’Unicef France a appelé les membres du groupe de travail «à considérer que l’âge de 12 ans est l’extrême minimum».

 

Juger les mineurs comme des majeurs?

 

«Il ne semble plus possible de continuer à parler d’enfants et de juge pour enfants alors que cette délinquance concerne de grands adolescents dont les délits sont bien proches de ceux commis par les adultes», a déclaré André Varinard dans son discours. Une phrase qui fait écho aux propos de Nicolas Sarkozy. «Un garçon de 17 ans mesurant 1,90 m qui frappe à terre avec une violence inouïe un photographe ou une petite jeune fille, l’amener devant le tribunal pour enfants, il n’a plus rien d’un enfant, c’est parfaitement ridicule», affirmait-il en avril 2006. Derrière ces déclarations, deux projets. Le premier consiste à s’attaquer à la «tranche», comme dit Rachida Dati, des mineurs de 16 à 18 ans, que le gouvernement veut juger comme des adultes. André Varinard a exprimé le souhait que, «au delà de 16 ans, les mineurs puissent relever de juridictions toujours spécialisées, mais plus proches du droit commun». La brèche a été ouverte par la loi sur la récidive du 10 août 2007, qui permet de supprimer «l’excuse de minorité» lorsque le mineur est récidiviste. Et donc de prononcer des condamnations semblables à celles des majeurs. Rachida Dati a souligné mardi son intention de renforcer cette logique de gradation en fonction de la récidive «par paliers». «Aucun parcours de mineurs n’est automatique, rectiligne, avec des infractions de plus en plus graves, s’inquiète Laurence Bellon, vice-présidente du tribunal pour enfants de Lille. La notion de récidive suppose une maturité, une volonté. On ne peut pas l’appliquer aux mineurs comme aux majeurs. Il faut une souplesse pédagogique.»

 

Supprimer le juge pour enfants?

 

Le deuxième projet concerne la définition du juge pour enfants. Celui-ci a en effet, pour l’instant, une double casquette. Il ne se borne pas à sanctionner le jeune, il est aussi chargé de la protection de l’enfance, donc du suivi des mesures éducatives. Considérant qu’un enfant délinquant est aussi un enfant en danger, l’ordonnance de 1945 a voulu lier les deux fonctions. «A la chancellerie, ils ont déjà calculé qu’on économiserait 240 magistrats si le contentieux de l’assistance éducative était retiré au juge des enfants pour être confié aux conseils généraux», s’inquiète le secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats (USM). «Le fait de s’occuper d’assistance éducative ne nuit pas à mon efficacité, au contraire, s’alarme Laurence Bellon. C’est assez semblable au rôle d’un professeur, qui à la fois punit, met zéro si on n’a pas travaillé, et qui explique, qui a une mission d’apprentissage. Le juge pour enfants, c’est celui qui apprend la loi pénale, pas qui l’applique automatiquement. Si on supprime la pédagogie, la sanction n’a plus aucune chance d’être efficace.»

 

Article d’Ondine Millot paru sur Libération.fr le jeudi 17 avril 2008.

Lire aussi le dossier: Délinquance, justice et statistiques.

Un indéniable problème de surpopulation

Jeudi 17 avril 2008

« Le décès, le 4 mars, de Jérémy Martinez, détenu à la maison d‘arrêt de Valence (Drôme) est sûrement une conséquence de la surpopulation carcérale » (Le Monde du 6-7 avril 2008). Sa mère qui l’avait vu au parloir le 1er mars a immédiatement rejeté la thèse du suicide. Une information judiciaire pour homicide volontaire a été ouverte. Détenu depuis trois mois, pour de multiples vols, Jérémy Martinez partageait sa cellule avec un autre détenu de 19 ans, au casier judiciaire plus lourd (tentative de meurtre par le feu sur une personne handicapée). « Son co-détenu était un malade, c’est évident. Il n’était pas cohérent dans ses propos, incapable de rester assis » a déclaré, au Monde Guillaume Recoin, aumônier à la maison d’arrêt.

 

Au 1er mars 2008, il y avait 77 détenus en surnombre à la maison d’arrêt de Valence (187 détenus pour 110 places opérationnelles, densité de 170 détenus pour 100 places).

 

Avec une densité globale de 152 détenus pour 100 places en maison d’arrêt, la direction interrégionale de Lyon est la plus touchée, en métropole, par la surpopulation carcérale. En dehors de la maison d’arrêt d’Aurillac (36 détenus pour 37 places) toutes les maisons d’arrêt sont surpeuplées. On compte, ainsi 1 465 détenus en surnombre (4 161 détenus pour 2 696 places opérationnelles).

 

La densité est de 229 détenus pour 100 places à Chambéry, 224 à Lyon-Perrache, 223 à Lyon Montluc, 222 à Bonneville, 214 au Puy, 171 à Montluçon, 161 à Grenoble Varces, 151 à Saint-Quentin Fallavier…

Source des données : statistique mensuelle de la DAP, PMJ. Extrait d’ACP n°85-86 du 14 avril 2008, de Pierre-Victore Tournier.

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