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Archive pour 25 février 2008

Rétention de sûreté : Nicolas Sarkozy appelle la Cour de cassation à la rescousse

Lundi 25 février 2008

 

Au lendemain de la censure partielle par le Conseil constitutionnel de la loi sur la rétention de sûreté, Nicolas Sarkozy a demandé au premier président de la Cour de cassation, vendredi 22 février, de lui faire « toutes les propositions » pour permettre « une application immédiate » du texte. « L’application immédiate de la rétention de sûreté aux criminels déjà condamnés (…) reste un objectif légitime pour la protection des victimes », a assuré le porte-parole de l’Elysée, David Martinon, dans un communiqué faisant part de la décision du chef de l’Etat de se tourner vers la Cour de cassation.

La loi permettant la détention illimitée de criminels supposés dangereux a été validée dans son principe, mais les Sages en ont cependant limité l’impact. Entre autres restrictions, le Conseil a pratiquement interdit son application aux condamnés actuels et aux personnes condamnées pour des faits commis avant la publication de la loi.

L’annonce de la décision présidentielle a provoqué la stupéfaction de l’Union syndicale des magistrats (USM), majoritaire dans la profession. « C’est une décision ahurissante, unique dans l’histoire de la Ve République », a estimé son secrétaire général, Laurent Bedouet. « Jamais un président n’a demandé au président de la Cour de cassation comment contourner une décision du Conseil constitutionnel », a-t-il ajouté. Il a rappelé l’article 62 de la Constitution, qui stipule que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours.

Article paru sur Lemonde.fr le 23 février 2008

Surveiller et punir

Lundi 25 février 2008

Appelé à se prononcer sur la loi très controversée instaurant la « rétention du sûreté » pour des criminels particulièrement dangereux, le Conseil constitutionnel peut estimer avoir rendu, jeudi 21 février, une décision équilibrée. Il en a, en effet, validé le principe : à l’avenir, les auteurs de certains crimes très graves (viols, pédophilie, meurtre de mineurs) ayant été condamnés à au moins quinze ans de prison et présentant une probabilité élevée de récidive pourront être placés, pour une durée sans cesse renouvelable, dans un centre du sûreté, autrement dit un hôpital-prison.

En revanche, le Conseil constitutionnel a fortement encadré l’application immédiate et rétroactive de cette mesure, défendue bec et ongles par le gouvernement jusqu’au bout de la discussion parlementaire du texte. Il a posé le principe que la rétention de sûreté ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou pour des faits antérieurs à cette publication. Autrement dit, concrètement, cette mesure ne pourra pas être appliquée avant une quinzaine d’années, à une exception cependant : celle de personnes libérées, mais placées sous surveillance de sûreté (bracelet électronique ou injonction de soins, par exemple) et qui ne respecteraient pas ces obligations.

Cet apparent équilibre est trompeur. Sourcilleux sur les modalités d’application, les « juges » constitutionnels n’en ont pas moins entériné une mesure qui bouleverse la philosophie pénale française. Au regard de celle-ci, la loi instaure des peines pour des faits qu’elle prévoit, et le juge ne peut condamner une personne que s’il est démontré qu’elle a commis une infraction. La décision pénale prend en compte la gravité des faits, la personnalité de l’auteur (y compris sa dangerosité), ainsi que les précédentes sanctions dont il a pu être l’objet. L’obligation de la société d’assurer la protection des victimes ne la dispense pas de respecter les droits du prévenu.

C’est ce fondement même de la sanction pénale – et de sa souhaitable valeur rédemptrice pour le condamné – qui est remis en cause par la rétention de sûreté. Les contorsions du Conseil constitutionnel pour expliquer qu’il ne s’agit pas d’une peine mais d’une « mesure de sûreté » ne masquent pas l’essentiel : le lien entre une infraction effectivement commise et l’enfermement de son auteur disparaît, en raison de la « dangerosité » supposée de la personne et des crimes éventuels qu’elle pourrait commettre.

Il est grave que, sous le coup de l’émotion provoquée par des crimes abominables, les responsables politiques et le législateur cèdent à l’unique obsession de surveiller et punir, et installent ainsi un droit nouveau. Il est plus regrettable encore que le Conseil constitutionnel leur emboîte le pas.

Edito paru dans le Monde le 23.02.08.

Les sages ont validé la loi Dati sur l’enfermement à vie en limitant sa rétroactivité.

Lundi 25 février 2008

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Ni consécration, ni camouflet. Le Conseil constitutionnel, réuni hier pour examiner la loi sur la rétention de sûreté, a décidé d’une censure partielle du texte. Une décision en demi-teinte, qui trahit la difficulté, voire l’impossibilité de préserver les grands principes constitutionnels tout en entérinant un des textes étendards du gouvernement.

Le fondement essentiel de la loi, qui permet l’enfermement à vie des criminels jugés les plus dangereux, a été validé par les onze «sages» (qui n’étaient en fait que huit, en l’absence de Pierre Joxe et des deux anciens présidents de la République Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac). Désormais, une «juridiction régionale de la rétention de sûreté» pourra donc prononcer le placement, à l’issue de leur peine, dans un centre «socio-médico- judiciaire» des auteurs de crimes «graves» ayant été condamnés à au moins quinze ans de prison ferme. Placement pour un an, renouvelable indéfiniment.

 

Obligations. Le Conseil constitutionnel a en outre estimé hier «que la rétention de sûreté n’est pas une peine» mais une «mesure de sûreté» , comme le précise un communiqué. Une interprétation – fortement contestée par les nombreux opposants au texte et les parlementaires socialistes à l’origine de la saisine – qui permet une application rétroactive du texte.

 

Toutefois, le Conseil a tenu à l’encadrer strictement : les détenus condamnés avant 2008 pour des crimes relevant de cette loi ne pourront pas être placés dès la fin de leur peine dans un centre «socio-médico-judiciaire». Ils seront d’abord libérés et placés sous «surveillance de sûreté». Un régime comportant un certain nombre d’obligations définies par les magistrats, «notamment le placement sous surveillance électronique mobile [bracelet] ou l’injonction de soins». C’est seulement s’ils ne respectent pas ces obligations qu’ils pourrontêtre placés «en urgence» en rétention de sûreté.

 

«Déception». «On peut se réjouir du fait que, pour l’essentiel, cette loi ne s’appliquera pas de manière rétroactive», analyse Laurent Bedouet, secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats, même s’il regrette que la loi ne soit «pas totalement censurée». Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature, est plus pessimiste. «C’est une grande déception, car le Conseil valide l’enfermement à vie au motif d’une dangerosité impossible à apprécier. C’est contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui je l’espère sanctionnera le texte.» La garde des Sceaux s’est, elle, immédiatement félicitée que le Conseil constitutionnel ait «validé la rétention de sûreté».

Article d’ONDINE MILLOT paru dans Libération le 21 février 2008

Lettre ouverte aux membres du Conseil constitutionnel

Lundi 25 février 2008

Vous êtes saisis de la constitutionnalité de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental adoptée définitivement le 8 février 2008 selon la procédure d’urgence, totalement injustifiée en l’espèce…

 

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,

Vous êtes saisis de la constitutionnalité de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental adoptée définitivement le 8 février 2008 selon la procédure d’urgence, totalement injustifiée en l’espèce.
Jamais sans doute un texte de loi n’a à ce point porté atteinte aux principes fondamentaux de notre droit qu’il s’agisse :
- du principe de la légalité des délits et des peines ;
- du principe de la non-application immédiate de la loi pénale plus sévère ;
- du principe de nécessité et de proportionnalité de la peine.

 

C’est à une révolution juridique que conduirait la loi si vous n’en sanctionniez pas l’évidente inconstitutionnalité. Il deviendrait alors possible par le seul jeu de la qualification de mesure de sûreté de contourner les garanties fondamentales entourant le prononcé d’une peine que vous avez vous-même consacrées.

La première question qui se pose est celle de savoir si la rétention de sûreté est une peine ou une mesure de sûreté.
Le code pénal, adopté en 1992 et entré en vigueur en mars 1994, ne connaît pas la catégorie des mesures de sûreté. Volontairement, le législateur de 1992 s’était refusé à distinguer parmi les sanctions pénales celles qui seraient des peines de celles qui seraient des mesures de sûreté. La seule distinction faite dans le code pénal est celle entre peines principales et peines complémentaires. Comme le précise solennellement son exposé des motifs : « Désormais toutes les sanctions pénales seront sans distinction des peines, elles sont d’ailleurs ressenties comme telles par le condamné. »
Seules les mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation dont les mineurs peuvent faire l’objet ainsi que les sanctions éducatives introduites par la loi du 9 septembre 2002 (article 122-8 du code pénal) échappent en partie au régime juridique des peines, précisément parce qu’il s’agit de mesures et sanctions purement éducatives et par définition plus douces que les peines. Le prononcé d’une mesure éducative demeure le principe pour les mineurs, comme vous l’avez rappelé en posant un principal fondamental reconnu par les lois de la République dans votre décision du 29 août 2002.

Si vous acceptiez de faire de la rétention une mesure de sûreté, c’est à une réécriture totale du Titre III du Livre premier du code pénal que le législateur devrait inévitablement se livrer.

La loi sur la rétention de sûreté a été délibérément insérée, non pas dans le code pénal, mais dans le code de procédure pénale comme ce fut le cas pour la surveillance judiciaire introduite par la loi du 12 décembre 2005 aux articles 723-29 et suivants. Le nouveau texte figure aux articles 706-53-13 et suivants, dans le titre relatif aux infractions de nature sexuelle et à la protection des mineurs victimes, alors même qu’il concerne beaucoup d’autres catégories d’infractions et toutes les victimes qu’elles soient majeures ou mineures. Indiscutablement la rétention de sûreté, en outre, n’est pas une mesure d’exécution de la peine comme la surveillance judiciaire mais une peine après la peine, prononcée pour un crime virtuel.

La deuxième question porte sur l’intangible principe de la non rétroactivité de la loi pénale plus sévère qui ne saurait en aucun cas dépendre de la qualification juridique de la rétention de sûreté.

Vous avez vous-mêmes, sans aucune exception et à de nombreuses reprises, considéré que toute sanction ayant le caractère d’une punition ne peut échapper au principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère (DC 30 décembre 1982 n° 82-155). Plus précisément encore à propos des périodes de sûreté introduites par la loi du 9 septembre 1986 vous avez affirmé qu’elles ne pouvaient être appliquées à des infractions commises avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (DC 3 septembre 1986 n° 86-215).

Quant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, elle est également très claire. En construisant dès l’arrêt Engel (23 novembre 1976) le concept de matière pénale, la Cour de Strasbourg a uniformisé le régime juridique des divers types de sanction en notant à propos des sanctions disciplinaires que : « Si les Etats pouvaient à leur guise qualifier une infraction de disciplinaire, plutôt que de pénale, le jeu des clauses fondamentales des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme se trouverait subordonné à leur volonté souveraine ». La même solution est reprise dans l’affaire Oztürk (21 février 1984) où il était simplement question de sanctions administratives. A fortiori, il ne peut en être que de même pour la rétention de sûreté prévue par la loi soumise à votre censure.

La troisième question, tout aussi fondamentale, est celle du prononcé d’une peine après la peine sans infraction. Ce n’est plus le droit sans peine mais la peine sans droit.

Que l’on se place sur le terrain éthique ou juridique, la rétention de sûreté, telle qu’elle est prévue dans la loi émotive adoptée le 8 février 2008, est une sorte de monstre qui inscrirait la France dans un modèle de politique criminelle totalitaire (Cf. M. Delmas-Marty, Les grands systèmes de politique criminelle, PUF, 1992), tel que nous avons pu le connaître aux heures les plus sombres de notre histoire ou tel qu’il fut consacré par le code pénal soviétique de 1926. Seul le mouvement positiviste de la fin du 19ème siècle, déterministe par essence, s’est risqué à fonder des mesures privatives de liberté sur la probabilité de la commission d’une infraction, croyant à l’époque qu’elle pouvait être scientifiquement évaluée, ce que plus aucun spécialiste n’admet aujourd’hui.

Sur le plan éthique, c’est à un bouleversement auquel nous assisterions si vous avalisiez cette loi. Les auteurs de crimes graves, au nom d’une impossible société du risque zéro ou du principe de précaution perverti, seraient enfermés à leur sortie de prison non pas en vertu d’un jugement sanctionnant une nouvelle infraction, mais en raison d’un état considéré comme potentiellement dangereux. C’est pourtant bien la certitude de la libération qui favorise chez le condamné ses efforts de réinsertion. La rétention de sûreté ouvrant la possibilité d’une relégation éternelle fondée sur un simple pronostic est contraire aux valeurs humanistes.

 

Sur le plan juridique, l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est bafoué par la rétention de sûreté : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Comment une peine peut-elle être évidemment nécessaire quand elle est assise sur la seule probabilité ?

 

L’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens est également bafoué : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement par la loi ». Par définition, la rétention de sûreté s’appliquerait à des personnes innocentes, totalement innocentes, pas même suspectées. Ce, pour une durée renouvelable chaque année, sans limitation dans le temps. Et les mineurs, de manière encore plus invraisemblable, sont également visés.

 

Comme l’a écrit Robert Badinter, avec la rétention de sûreté « nous quittons la réalité des faits (le crime commis) pour la plasticité des hypothèses » (Le Monde, 27 novembre 2007).

 

Plus qu’une régression c’est l’effondrement des fondements de notre droit pénal qu’entraînerait l’introduction de la rétention de sûreté dans le code de procédure pénale.

 

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, à notre haute considération.

Signataires :

Thomas Clay, Professeur à l’Université de Versailles — Saint-Quentin
Geneviève Giudicelli-Delage, Professeur à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne
Jean-Paul Jean, Professeur associé à l’Université de Poitiers, Magistrat
Christine Lazerges, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Michel Massé, Professeur à l’Université de Poitiers
Reynald Ottenhof, Professeur émérite de l’Université de Nantes
Pierrette Poncela, Professeur à l’Université Paris X-Nanterre

Michel Debacq, Magistrat
Jean-Pierre Dintilhac, Magistrat
Robert Finielz, Magistrat
Roland Kessous, Magistrat
Pierre Lyon-Caen, Magistrat
Philippe Texier, Magistrat

Henri Leclerc, Avocat
Didier Liger, Avocat
Patrick Maisonneuve, Avocat
Jean-Pierre Mignard, Avocat
Alain Molla, Avocat
Frank Natali, Avocat

Lettre ouverte parue dans Libération le 18 février 2008