Fanfan: Comment les psychiatres décèleront-ils une « particulière dangerosité caractérisée par un risque particulièrement élevé de commettre à nouveau une infraction » ? Est-ce à dire que la peine après la peine pourra être décidée sur le simple pronostic de troubles de la personnalité ?
Roland Coutanceau : Non, effectivement, c’est une question pertinente, puisque l’élément essentiel est justement de pouvoir évaluer ce qu’on appelle la dangerosité criminologique. Il y a deux manières de l’évaluer. L’une est statistique, par exemple, le fait d’avoir déjà été condamné deux fois pour le même délit, le fait d’être un pédophile exclusif, le fait d’être obsédé par ses fantasmes, le fait de s’attaquer à un enfant en dehors de la famille, de s’attaquer à un enfant anonyme, qu’on ne connaît pas, sont statistiquement des critères de dangerosité.
Parallèlement, il peut y avoir une évaluation qualitative, qui est simplement la manière dont un homme est capable de parler de façon mature de son passage à l’acte, par exemple, la qualité de reconnaissance des faits, le fait de reconnaître ou non sa responsabilité, de reconnaître ou non la contrainte, ce qu’on ressent d’avoir fait ça (indifférence, vague malaise, honte ou culpabilité), le fait de s’intéresser aux conséquences pour la victime, enfin la manière de se positionner par rapport à la loi sociale, la loi des hommes qui vous interpellent, sont une manière d’évaluer l’évolution de l’homme après son acte.
Finalement, il y a donc une évaluation quantitative et une évaluation qualitative. Et de mon point de vue, c’est l’ensemble des deux qui permet de donner une évaluation de la dangerosité criminologique, soit faible, soit moyenne, soit forte.
Michaël : La rétention de sûreté ne montrerait-elle pas l’échec de la société dans son « devoir » de réinsertion, car certes, le criminel doit être condamné au nom de la société, mais celle-ci ne doit-elle pas permettre la réinsertion?
Roland Coutanceau : Bien sûr, et il y a donc deux manières de voir le centre de rétention. L’une fait qu’on pourrait craindre que ce soit un lieu où restent à durée indéterminée des sujets que l’on craint, mais l’autre, plus positive, et comme le souligne la loi, fait que cette orientation vers un centre de rétention (mesure de sûreté après la peine) ne puisse se faire que si, préalablement, on a tout fait pendant le temps de détention pour proposer à l’intéressé une prise en charge visant à diminuer sa dangerosité supposée.
Finalement, ce qui est essentiel, c’est que cette exceptionnelle mesure de rétention puisse catalyser le développement en milieu carcéral de centre pénitentiaire où il y a pour tous les sujets qui le souhaitent, et bien sûr, pour ceux qui apparaîtraient dangereux aux yeux de la société, la possibilité d’être suivis, d’être pris en charge, et accompagnés dans une évolution pendant le temps de peine. Finalement, donner du sens, donner du contenu à la peine elle-même.
Sarah PACA : M. Debré a proposé que le traitement hormonal, qui est déjà possible pour les délinquants sexuels, devienne obligatoire. Ce traitement n’est-il pas illusoire ? Les patients qui le reçoivent souffrent d’impuissance mais il est reconnu qu’ils n’en perdent pas moins le désir sexuel… et leurs fantasmes. Comment pouvons-nous croire alors qu’un traitement hormonal pourrait guérir des pédophiles et les empêcher d’agir ?
Roland Coutanceau : Là encore, je répondrai en tant que médecin. Au fond, le traitement hormonal antiandrogène, dit castration chimique, n’est pas un traitement miracle. Il peut être utile, surtout d’ailleurs s’il est bien compris et accepté par la personnalité de celui à qui on le prescrit.
Quelles sont les indications de ce traitement hormonal ? C’est le fait d’être un pédophile exclusif, i.e. centré au niveau de ses fantasmes exclusivement sur des enfants. C’est aussi que cette fantasmatique soit obsédante et permanente. C’est enfin que la personnalité en elle-même est très égocentrique, ou dit autrement, mégalomaniaque.
C’est quand les individus présentent au moins un de ces critères que, en ce qui me concerne, je souhaite leur prescrire le traitement antiandrogène. Encore faut-il que, dans la déontologie médicale, je puisse convaincre l’intéressé de prendre le traitement.
Il y a dans la prise en charge de quelqu’un qui a une dangerosité potentielle un dialogue d’homme à homme, où il faut d’une certaine manière le convaincre d’accepter dans son intérêt bien compris ce qu’on lui propose.
Voilà la réalité de terrain de prescription des anti-hormones : c’est intéressant, c’est utile, c’est souvent bien accepté par les individus, mais en même temps, comme tout traitement médical, il y a des effets secondaires, des contre-indications, et donc le médecin a besoin d’un minimum d’adhésion, ou simplement d’acceptation, de l’intéressé.
Florence Duthil : Certains criminels sont reconnus responsables de leurs actes au moment des faits. Ils présentent pourtant de graves troubles psychologiques et sont soignés en conséquence pendant leur incarcération. Est-ce qu’ils auraient dû en fait être reconnus irresponsables et être internés dans un hôpital psychiatrique ?
Roland Coutanceau : Les troubles mentaux sont très variables. Il y a des troubles mentaux qui font discuter l’abolition du discernement, et donc qui orientent vers l’irresponsabilité pénale, et donc l’hospitalisation en milieu psychiatrique. Ces troubles sont la schizophrénie en poussée délirante, la dépression grave accompagnée d’éléments délirants, la détérioration mentale du sujet âgé, et la débilité moyenne ou profonde. Dans ces cas, il peut y avoir abolition du discernement.
A un moindre degré, si le sujet est schizophrène mais stabilisé par un traitement, si quelqu’un a fait une dépression simple, ou encore si on est au début d’une détérioration, ou si l’on présente une débilité légère, là, l’expert conclura à l’altération du discernement. Le sujet sera jugé, mais, bien sûr, il faudra aménager la peine en le traitant de façon médicopsychologique, même s’il répond de ses actes, et donc qu’il fera une peine de prison si les actes sont graves.
Les troubles mentaux sont divers, complexes, d’intensité variable, et tantôt le sujet est finalement traité en hôpital (si l’on conclut à l’irresponsabilité), tantôt on le suit psychologiquement et psychiatriquement dans nos prisons.
Test : Etes-vous favorable à l’idée de rendre responsables pénalement ou civilement les personnes ayant des troubles mentaux ?
Roland Coutanceau : Au fond, le projet de loi vise à donner plus de solennité, plus de force à une réalité judiciaire qui existe déjà : le fait qu’on puisse faire appel à la chambre de l’instruction si un collège de psychiatres conclut à l’abolition de discernement.
Avant, le juge concluait finalement dans son cabinet. Si les parties civiles l’acceptent, la procédure judiciaire s’arrête là. Si les victimes ou la famille des victimes contestent la réalité d’un état mental grave chez le sujet mis en examen, là, un espace judiciaire symbolique permet de démontrer la matérialité des faits, c’est-à-dire si le malade mental en question est coupable ou pas de les avoir commis, et aussi permet un débat entre psychiatres pour finalement développer dans le champ social, au vu de tous, l’argumentation qui a fait que les psychiatres ont conclu à l’irresponsabilité. Il s’agit de pouvoir, d’une certaine façon pédagogique, démontrer que, parfois, la maladie mentale empêche un individu de disposer de son libre arbitre.
Artzaü : Ne serait-il pas plus judicieux d’augmenter le nombre de structures telles que les unités pour malades difficiles (UMD) au lieu de laisser ces criminels dangereux dans un univers carcéral et pas forcément adapté ?
Roland Coutanceau : Au-delà d’être pour ou contre un lieu de rétention, il faut à mon sens développer des lieux variés pour prendre en charge des sujets ayant des troubles de la personnalité.
On peut proposer des suivis en milieu de détention ordinaire. On peut également mettre en place des prisons spécialisées où seraient pris en charge de façon très structurée des sujets dont la société craint, à tort ou à raison, la dangerosité. Et ce pendant la peine.
On peut encore mieux préparer la sortie des sujets considérés comme les plus dangereux, en leur proposant pendant le temps de peine un suivi de groupe spécialisé. Le cas échéant, une prescription médicamenteuse, et enfin, la mise en place d’un bracelet électronique.
Le quatrième moyen est celui d’un centre de rétention, à double tutelle santé-justice, pour ceux qui sembleraient avoir échappé à tous les dispositifs possibles.
Mais la réalité de proposer un établissement socio-médico-judiciaire après la peine suppose qu’on ait développé pendant le temps de peine toutes les autres possibilités que j’ai précédemment énoncées.
Escarboucle : « La rétention de sûreté » n’est elle pas un détestable retour en arrière du point de vue des sciences criminelles. Je ne peux m’empêcher de penser à Lombroso et au « criminel-né », n’en revenons nous pas tout simplement au déterminisme : criminel tu as été, criminel ad vitam tu seras…
Roland Coutanceau : On peut être pour ou contre un lieu de rétention. Mais comme la langue d’Esope, tout dépend quelle utilisation on en fera. S’il s’agit d’avoir un lieu où croupissent les individus que l’on craint ad vitam aeternam, ce sera peut-être une régression. Si c’est un lieu où l’on prépare de façon structurée et soigneuse la sortie et l’accompagnement à la sortie de sujets qui ont fait la preuve de leur dangerosité, et si finalement le lieu a une dynamique de « mettre le paquet » sur toutes les possibilités de prévention de la récidive, cela peut être une expérimentation intéressante dans l’intérêt même de ces sujets particulièrement dangereux, car quoi de plus masochiste que de récidiver ?
En même temps, en tant que psychiatre criminologue, je souhaiterais qu’il y ait des établissements spécialisés à double tutelle santé-justice qui puissent prendre en charge pendant le temps de peine les sujets dangereux. C’est pourquoi j’avais proposé en ce qui me concerne que ce lieu spécialisé socio-médico-judiciaire puisse être ouvert à des sujets jugés comme dangereux pendant le temps même de la peine.
Artzau : Les sujets dangereux ont-ils tous besoin d’un traitement psychiatrique ?
Roland Coutanceau : C’est une très bonne question. Tous les sujets qui passent à l’acte ne sont bien sûr pas récidivistes. Ils n’ont pas la même structure de personnalité. Dès lors, il y a une intelligence sociale de proposer des suivis variés et, dans cet esprit, l’administration pénitentiaire développe actuellement des groupes de parole de sensibilité criminologique (ce n’est ni du soin ni de la thérapie) qui visent à la prévention de la récidive en travaillant avec les sujets le passage à l’acte, les ressorts du passage à l’acte, le contexte dans lequel on est passé à l’acte. Et ce type de suivi criminologique peut être animé par des professionnels de la justice, un peu comme dans d’autres pays, ces suivis sont gérés et animés par des criminologues qui ne sont ni psychiatres ni psychologues.
Ce que je pense profondément, c’est que la plupart des sujets qui passent à l’acte ont besoin qu’on les confronte à leur acte, qu’on les aide à exprimer les émotions qui ont entraîné l’acte, qu’on les aide à se maîtriser. Finalement, qu’on fasse avec eux un travail à la fois éducatif et psychologique.
Le suivi d’accompagnement peut donc être soit du soin, dans le champ de la santé publique, soit de l’accompagnement criminologique, dans le champ de la justice. Ce qui est intéressant dans cette conception, c’est qu’on a deux manières d’aider quelqu’un à changer, à évoluer, deux manières qui peuvent d’ailleurs être complémentaires. C’est le sens d’un programme de prévention de la récidive qui se développe actuellement dans l’administration pénitentiaire.
escarboucle : Au sujet de ces propositions, en a-t-on véritablement les moyens aujourd’hui en France à l’heure où nous n’avons dans la plupart des cas même pas de médecin-psychiatre coordinateur en milieu ouvert pour suivre les personnes sous suivi socio-judiciaire ?
Roland Coutanceau : Je vais faire une réponse provocatrice : d’une certaine manière, le problème des moyens est presque un faux problème. Ce qu’il faut, de mon point de vue, c’est changer les mentalités, développer les formations, pour que, du côté santé publique, les psychiatres et les psychologues s’intéressent aux troubles de la personnalité, comme il sont plus classiquement formés pour s’intéresser aux malades mentaux et aux simples névrosés.
Et aussi, comme je le développais dans ma réponse à la question précédente, la possibilité que des personnels de la justice puissent proposer des groupes de parole de sensibilité criminologique est un moyen simple, efficace, pertinent de doubler les moyens au service de l’accompagnement du sujet transgressif.
Si l’on a deux voies d’aide, deux voies d’accompagnement, l’une médico-psychologique, l’autre criminologique, on double les moyens avec des personnels qui sont déjà recrutés.
Sophie : Certains psychologues ou autres professionnels membres des commissions qui statueront sur la rétention de sûreté d’un détenu n’auront-ils pas tendance à prononcer cette rétention par peur de se sentir responsable en cas de récidive d’un détenu remis en liberté ?
Roland Coutanceau : D’abord, ce sont des magistrats qui décideront de l’orientation vers la rétention, sans doute après l’avis, d’une part, d’une commission pluridisciplinaire d’appréciation de la dangerosité, et d’autre part, d’expertise psychiatrique et psychologique faite par des psychiatres et des psychologues.
In fine, c’est un regard pluridisciplinaire qui va aboutir à la supposition d’une dangerosité importante d’un sujet qui, par ailleurs, aura peut-être refusé un certain nombre de propositions qu’on lui aura faites pendant le temps de peine. La responsabilité sera donc partagée. De plus, j’observe qu’aujourd’hui déjà des détenus sortent et récidivent sans que soient directement impliqués les experts qui ont pratiqué l’expertise ou les magistrats qui ont autorisé la sortie ou la liberté conditionnelle. C’est donc affaire d’une responsabilité grave, et là encore, qui suppose que le temps carcéral a été mis à profit pour proposer à ces sujets des évaluations, des prises en charge visant à la prévention de la récidive.
Au-delà du débat théorique, légitime au niveau des idées, de la philosophie, de l’éthique, de mon point de vue, le véritable défi, c’est de développer pendant le temps carcéral toutes les possibilités d’évaluation et de prise en charge.
Curieuse : Y a-t-il des cas de récidivistes sensibles aux programmes de prévention mis en place ?
Roland Coutanceau : Pour répondre à cette question, je vais essayer de montrer ce qui est fait par les quatre outils de prévention de la récidive, que je vais d’abord citer.
1) Le groupe de parole médico-psychologique ou criminologique.
2) La prescription de traitement médicamenteux.
3) Le bracelet électronique mobile.
4) Le fait qu’un policier puisse aller au domicile d’un sortant de prison.
Les groupes de parole ont pour objectif d’amener le sujet à reconnaître les faits, à reconnaître sa responsabilité, à comprendre ce qui motive son acte, à appréhender les conséquences pour les victimes, à lui apprendre aussi à mieux connaître ses failles, ses moments difficiles, à lui apprendre à se contrôler, à maîtriser sa violence ou ses fantasmes.
Le traitement médicamenteux a comme objet de rendre les fantasmes moins harcelants, moins persécutants, et là encore, de faciliter la maîtrise de sa sexualité par le sujet.
Le bracelet électronique mobile me semble particulièrement intéressant. Certains sujets ne voient en lui qu’un objet utilitaire : « si je n’accepte pas le bracelet, le juge ne me laissera pas sortir ». Mais d’autres voient en le bracelet une aide : « j’ai envie de ne pas récidiver, mais je ne suis pas sûr de moi. J’ai l’impression qu’avec le bracelet, ça me rappellera… ce que je risque ». Finalement, le bracelet, c’est être sûr que si on recommence, on sera pris.
Dans mon expérience, le criminel a souvent l’illusion que la fois prochaine il ne va pas se faire prendre. Si l’on est sûr de se faire prendre à tous les coups, c’est quand même particulièrement inhibiteur du passage à l’acte. En tous cas, je pense qu’il est intéressant d’observer l’efficacité du bracelet électronique, dont la mise en place est récente, sur l’évolution de sujets dangereux.
Enfin, certains pays font en sorte que quand certains sujets problématiques sortent, un policier aille les voir de temps à autre pour bien leur rappeler qu’on veille sur eux.
Voilà les idées qui sous-tendent ces quatre outils de prévention de la récidive. Et chacun jugera la pertinence de ce qui inspire chaque outil.
Cela étant, un peu comme en médecine, le fait de pianoter sur plusieurs outils fait diminuer la récidive. Mais il n’y a aucun moyen absolu d’empêcher un homme en liberté de recommencer s’il a la folie, la mégalomanie, s’il se « fout de tout ».
Ce qu’une société démocratique peut faire de mieux, c’est d’utiliser tous les moyens que l’on connaît pour prévenir la récidive dans l’intérêt de protection de la société, mais aussi dans l’intérêt bien compris du sujet lui-même.
Chat publié avec Constance Baudry sur Lemonde.fr le 11 janvier 2008
Bonjour, Monsieur Coutanceau,
En 1976, j’ai escaladé l’Aoraï à Tahiti avec les deux fils du général Coutanceau. Etes vous l’un d’eux ?
Bien amicalement,
Article fort intéressant. J’ai déjà écouté le Dr Coutanceau dans plusieurs reportages. Je suis d’accord avec les écrits ci-dessus.