PRISON – Le fourgon a franchi le portail de fer pour passer les hauts murs de béton. A l’intérieur, Franck a retrouvé les grands bâtiments construits en croix et dispersés sur quatre hectares. La maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône (Rhône), établissement moderne en béton et portes automatiques. Il y a trois ans, Franck y a passé sa première nuit en prison. A 19 ans, il y est de retour pour la troisième fois. L’escorte l’a fait descendre pour le conduire au greffe, afin de remplir les formalités d’écrou. Posez votre main là, écartez bien les doigts. Une machine prend les empreintes digitales qui figureront sur une carte plastifiée qui permet de circuler et empêche d’échanger sa place à l’occasion d’un parloir. Puis la fouille, dans une petite pièce encombrée. Il faut se mettre nu, un gardien palpe vos vêtements, vous demande parfois d’ouvrir la bouche. Jusque-là, pas de surprise…
Le surveillant l’a conduit au quartier des nouveaux arrivants. Franck n’a rien reconnu. «Avant, c’était la terreur. Tu arrivais au bâtiment B et tu recevais un choc terrible, raconte-t-il. C’était tout noir, des cellules où tu ne pouvais pas t’appuyer contre les murs, tellement c’était dégueulasse. Au rez-de-chaussée d’un bâtiment où les mecs balancent tout par les fenêtres. Ça puait. Un gardien te mettait dans une cellule et personne ne t’expliquait rien. Tu découvrais tout seul en te demandant ce qui allait t’arriver. Ça n’a plus rien à voir.»
Loin du brouhaha et des cris
Depuis le 1er octobre, Villefranche expérimente un quartier des arrivants, à l’écart des autres bâtiments (1). Tout y est conçu pour diminuer le choc carcéral, éviter le risque de suicides et entamer un parcours visant à la réinsertion. Cette expérience s’appuie sur les règles pénitentiaires européennes révisées en 2006. Ces 108 règles, qui n’ont aucune valeur contraignante, visent à harmoniser les politiques carcérales communautaires. L’administration pénitentiaire française a décidé, en octobre 2006, de faire de leur mise en œuvre une priorité. Vingt-huit sites pilotes, dont Villefranche, ont été chargés d’expérimenter l’accueil des nouveaux arrivants et la mise en place de parcours d’exécution des peines adaptés à chaque détenu. Les nouveaux arrivent dans un ancien quartier des mineurs, refait à neuf en 2004 et repeint en septembre. Dans les couloirs, les teintes sont pastel. Ce réaménagement a coûté 122 000 euros en 2007. N’étaient les lourdes portes en fer, on se croirait dans un hôpital. A l’écart des autres bâtiments, les arrivants n’entendent pas le brouhaha inquiétant de la prison, les gars qui crient aux fenêtres ou qui hurlent en cellule. Quatre surveillants se relaient. Tous volontaires pour travailler dans ce bâtiment, ils suivent des formations avec les enseignants et les éducateurs de la prison. Parmi les 108 règles européennes, il y a celles-ci : «Le personnel doit avoir une idée claire du but poursuivi par le système pénitentiaire.» «Les devoirs du personnel excèdent ceux de simples gardiens et doivent tenir compte de la nécessité de faciliter la réinsertion des détenus dans la société à la fin de leur peine.»
Réveil, ménage et entretiens
Au détenu, le gardien donne un «kit arrivant» : un drap, deux couvertures, un tube de dentifrice, un gel douche, une brosse à dents, une paire de couverts en plastique, du papier et un stylo. Puis il le conduit dans l’une des dix-huit cellules, pour vingt-neuf places au total. Elles sont un peu plus grandes qu’en détention traditionnelle. Elles aussi dans les teintes pastel, très propres. Il y a une cabine de douche, un luxe lorsque l’on sort de quarante-huit heures de garde à vue. Pour ceux qui arrivent tard, un repas complet peut être réchauffé. «Cela n’a rien d’un quatre étoiles, ce n’est pas le but, prévient Jérôme Harnois, le directeur de la maison d’arrêt. Nous voulons seulement que le choc carcéral soit le moins rude possible, pour travailler ensuite avec un individu moins tendu, moins angoissé.»
Avant de refermer la porte, le gardien fait l’état des lieux avec le détenu. «Au bâtiment B, les cellules étaient tellement dégradées qu’on ne pouvait pas voir si le détenu abîmait quelque chose. Là, il doit rendre sa cellule aussi propre qu’il l’a trouvée. Cela lui donne un premier cadre.» raconte le lieutenant Jaubert, qui dirige le quartier,
La porte se referme. Un interphone permet d’alerter les gardiens ou, la nuit, le poste de commandement. Réveil à 7 heures. Le gardien tend une pelle et une balayette. Ménage jusqu’à 8 heures. Un planning, remis à chaque détenu, détaille les premières journées. Les matinées sont réservées à des entretiens avec le chef de détention, les services sociaux, scolaires, médicaux, d’insertion et de probation, de l’emploi et de la formation. Ensemble, les équipes ont suivi un stage de dynamique de groupe. Elles ont six jours pour essayer de mieux connaître le détenu et adapter son parcours carcéral. Les différents professionnels utilisent le même logiciel de «suivi comportemental». Chacun y le renseigne, le consulte. Pour l’arrivée d’un détenu, un gardien écrit : «Très fragile, première incarcération, à surveiller pour le risque suicidaire. A très peur de sortir de sa cellule.»Un enseignant ajoute : «Illettré, prioritaire pour le service scolaire.» Puis, les services sociaux ont relevé que l’homme était indigent. Auparavant, «les détenus ne restaient que deux ou trois jours aux « nouveaux arrivants », il fallait aller vite. Impossible de faire un boulot sérieux»,«On gérait un flux», conclut le lieutenant Jaubert. Cela s’appelait d’ailleurs le «transit». assure une enseignante.
L’après-midi est réservé aux promenades, dans une petite cour réservée aux nouveaux, où ils peuvent rester plus longtemps qu’en détention classique. Un moment au cours duquel les gardiens observent leur comportement collectif. D’après le lieutenant Jaubert, la situation s’est nettement apaisée. En trois mois, il recense seulement trois rapports d’incidents sur près de 300 détenus passés par le bâtiment des nouveaux arrivants. Le plus sérieux concernait un homme arrivé ivre, qui a dévasté sa cellule. Jean-Paul Fante, cadre à l’unité de consultation et de soins ambulatoires, confirme l’apaisement. Il ouvre un petit cahier où il consigne toutes les «coupures», c’est-à-dire les automutilations. En trois mois, aucune n’a été recensée. Le personnel médical pourrait lui aussi utiliser le logiciel de suivi comportemental, mais il évite pour l’instant de le faire, par souci du secret médical. «Sans révéler les pathologies des détenus, il y a peut-être un intérêt pour eux à ce que nous participions à un travail pluridisciplinaire, confie Jean-Paul Fante. Nous pouvons parfois éclairer une décision, sans trahir le secret médical.»
Ascension vers la sortie
Au bout de quatre jours, la commission du parcours d’exécution des peines réunit gardiens, enseignants, travailleurs sociaux, médecin… Elle détermine l’affectation du détenu. Doit-il bénéficier de cours, de soins, d’un travail ? Paraît-il apte à entamer un parcours de réinsertion ? Chacun donne son avis, puis le chef de détention tranche. Selon Alexandre Jaubert, «le détenu se retrouve ainsi au centre de la peine, et les professionnels autour». Un bâtiment, le «J», a été réservé aux courtes peines (dix-huit mois maximum) qui souhaitent se réinsérer. Il accueille 223 personnes sur quatre étages. Plus le détenu grimpe, et plus le régime devient souple. Au quatrième, le prisonnier est proche de la sortie. Il bénéficie d’un régime de promenade presque à la carte, aura bientôt accès au téléphone et à des parloirs plus longs. «Nous voulons arriver à un régime de confiance, en contractualisant avec le détenu, explique Jérôme Harnois, le directeur. Cela doit permettre de resserrer les liens familiaux avant la sortie et de favoriser les aménagements de peines.»
Des formations et des groupes de parole vont être mis en place pour répondre aux problématiques pénales l es plus fréquemment rencontrées. On y traitera de violences conjugales, d’alcool, de sécurité routière.
Pour le bâtiment J, dix gardiens ont été formés et fidélisés. «Dans les autres bâtiments, les gardiens tournent, explique le directeur. Ils gèrent un étage de 60 personnes, avec les douches et les promenades à surveiller. Au J, ils sont plus nombreux et ne travaillent que là. Ils connaissent les détenus, suivent leur parcours.»
Dans sa cellule, Nabil, déjà 26 séjours en prison, ne se fait pas trop d’illusions. «Ma réinsertion n’est pas gagnée.» Mais il montre son codétenu, Andy, 19 ans. «Avant, il n’y aurait rien eu pour lui. La prison aurait préparé son parcours de délinquant, comme elle l’a fait pour moi. Maintenant, ici, pour ceux qui veulent vraiment être réinsérés, il y a peut-être plus de chances.» En cas d’écart de conduite, les détenus peuvent être renvoyés en détention classique. Depuis le 1er octobre, c’est arrivé quatre fois, pour environ 350 détenus.
(1) Selon l’administration pénitentiaire, la maison d’arrêt comptait, la semaine dernière, 598 places pour 640 détenus.
Article de Ol.B., avec des photos de Félix LEDRU, paru sur Libé Lyon le 9 janvier 2008.